Le figuier (Ficus carica)

L’irrésistible figue ! Qu’elle soit sèche ou fraîche, remède ou dessert, on n’a jamais tari d’éloges à son sujet depuis des milliers d’années. Faisons donc une large place à ce fruit civilisateur autour duquel on a tant tourné qu’on pourrait en emplir des pages et des pages. En voici quelques-unes…

Beau week-end à toutes et à tous :)

Gilles



Les anciens Grecs considéraient la figue comme le fruit civilisateur que la déesse Déméter offrit aux premiers agriculteurs de l’histoire, après que Phytalis lui ait fait bon accueil alors que, éperdue, la déesse recherchait sa fille Coré enlevée par Hadès. Cela, c’est ce que l’on apprend si l’on se penche sur la mythologie grecque. Mais si l’on jette ses regards au delà, l’archéologie nous en fait savoir bien davantage sur le passé de la figue. Par exemple, au nord-est de l’état d’Israël, sur les rives du lac de Tibériade, le site archéologique dit d’Ohalo II a permis la mise à jour de plus d’une centaine (140) d’espèces de graines différentes dont des graines de figuier (et de framboisier, également). Dans ce site datant de 21 000 ans avant J.-C., il a été constaté un effet de sédentarisation certes limitée, visible en ce que les hommes s’y livrèrent à des ébauches de proto-agriculture suffisamment poussées pour que ces essais s’accompagnent déjà de la présence des habituelles « mauvaises » herbes qu’on voit surgir en pareil cas. Peut-on en déduire que, très probablement, il y a 20 000 ans, l’homme consommait occasionnellement les figues qu’il rencontrait sur son chemin ainsi que toutes ces baies qui lui valurent le surnom de chasseur-cueilleur ? Probablement. Sachant cela, et dans l’attente de tout ce qui nous reste encore à apprendre sur la figue, l’on ne s’étonnera pas qu’en Béarn l’on ait beaucoup d’estime pour les figuiers qui poussent près des habitations, ce qui est une façon de faire honneur à ce vieux compagnon de route historique. D’après Athénée de Naucratis, grammairien d’origine grecque, « c’est la figue qui a introduit parmi les hommes une manière de vivre moins grossière » et plus raffinée. De là à dire que ce fruit ait extirpé un pseudo-homme mal dégrossi de son statut de bête pour en faire un gentleman, il n’y a qu’un pas, que nous ne franchirons pas, d’autant que les hommes de Tibériade, d’il y a 23 000 ans, c’étaient déjà des Homo sapiens, c’est-à-dire des gens comme nous ^.^ Reconnaissons donc que s’être tourné du côté de la figue à cette époque fut loin d’être une erreur. On peut donc suggérer aux imbéciles d’aujourd’hui de manger des figues ^.^

Souvent placé à la limite de la vie et de la mort, le figuier passe pour un arbre anthropogonique et générateur : « les figues sont en relation, non seulement avec la fécondité, mais avec le monde des ancêtres, d’où celle-ci remonte, portée en quelque sorte, à partir des racines plongeant dans la terre, par la sève des arbres et singulièrement du figuier priapique. Ainsi dépose-t-on des figues dans les premiers sillons lors des labours et en abandonne-t-on sur les tombeaux et dans les sanctuaires comme la ‘part des Invisibles’ » ; les figues sont ‘l’offrande de choix réservée aux morts’ »1. C’est ainsi qu’on le considérait en Afrique du Nord il n’y a pas si longtemps, de même qu’en Égypte au temps des pharaons : il était alors arbre de vie, arbre de la déesse Nout portant des fruits conférant l’immortalité, également nourriture des défunts, prodiguant abondance, génération, prospérité et richesses multiples, ornement probable des cornes d’abondance avec grappes de raisins et autres grenades peintes en rouge sensuel. D’ailleurs, la vue qu’offre une figue entrouverte ne s’apparente-t-elle pas quelque peu à celle d’une grenade qu’une main experte aura séparée en deux parties ? La figue, en tant que réceptacle qui accueille de minuscules fleurs dont les véritables fruits ne sont autres que ces graines qu’on l’on sent craquer sous la dent quand les mâchoires se referment sur elles, appelle, par sa ronde douceur, un espoir de vie(s) nouvelle(s), à l’image de tous les fruits et légumes abritant une kyrielle de graines dans leur chair. Contrairement à la fraise, ces fruits minuscules ne sont pas extérieurs à la chair du réceptacle2. Pour que la figue se révèle, il faut donc la dévoiler. C’est à ce titre que les sycophantes – littéralement « les révélateurs de la figue » – jouèrent un rôle assez nébuleux, sans doute initialement dépositaires de certains mystères relatifs à la fécondité, mission probablement périlleuse tant les Grecs considéraient la figue aussi bien femelle que mâle (on s’étendra plus loin sur sa « sexualité »). « Sans doute [que] l’expression [de sycophante] cache-t-elle symboliquement un rite d’initiation de la fécondité » propre aux sociétés agraires primitives3. Comme l’on glisse très souvent du sacré au profane, le mot sycophante n’a plus servi qu’à nommer ceux qui dénonçaient la contrebande de figues – produit de première nécessité – et le vol de figues sur les figuiers consacrés. Devenu triste canéphore, le sycophante ne demeure plus qu’un vulgaire calomniateur et désigne, in fine, celui qui ouvre la bouche au lieu de la maintenir fermée. Puisque « les sycophantes révélaient […] en public des secrets qui auraient dû être tus », ils ont été suspectés de délation et de sacrilège4. Bref, terminons-en là avec cette information un peu indigeste et revenons-en aux rites de fécondité relatifs à la figue, au travers d’un procédé, la caprification, dont le sens, en l’espace de plusieurs siècles, s’est perdu : par exemple, au XIXe siècle, dans la campagne de Palerme, on suspendait des couronnes de rameaux de figuier aux arbres en cours de fructification afin d’assurer la parfaite maturation de leurs fruits. Or, quand on remonte le fil des sources, on constate que les arbres concernés par un tel rituel ne sont pas n’importe quels arbres fruitiers mais exclusivement des figuiers : on attachait des rameaux fleuris de figuier sauvage (ou caprifiguier) aux branches des figuiers cultivés afin de faciliter la fécondation des fleurs femelles de ceux-ci ! Caprifiguier, quel drôle de nom ! Il est très proche du capricorne, caper signifiant « bouc », terme issu d’un verbe grec, kapraein, « être en rut », ce qui rapproche ce figuier sauvage de la luxure et de la lubricité. A bien observer la forme scrotale de la figue, on comprendra de suite que l’expression « cueillir des figues » prend la même forme en grec – sykadzein – que cette autre expression : « palper les bourses ». A croire que tout tourne autour des parties, en somme. C’est pas peu dire ! Le nom grec de la figue est lui-même sujet à une interprétation sous-ventrière. Si, initialement, la Crète distinguait la figue fraîche, olynthos, de la sèche, sykon, c’est ce dernier mot qui s’est imposé en Grèce pour qualifier la figue, et ce quelque soit son état. Or, ce sykon fait référence au caractère succulent de la figue, en relation avec le latex blanc qui apparaît à la cassure du pédoncule (pour ne pas dire la queue). Si l’on rajoute à cela le fait que le mot sykon servait à désigner le mont de Vénus chez la femme, je pense que le panorama est à peu près complet, puisqu’il englobe aussi bien des aspects masculins que féminins. Ce latex est une forme d’« eau », et l’on connaît le pouvoir fécondant des eaux porteuses des germes de toute vie. Il est à l’image de la figue bourrée de semences, analogue en tout point aux testicules enfermés dans la toile du scrotum (c’est une raison pour laquelle, chez les Berbères, on n’emploie pas le mot usuel qui désigne la figue, trop semblable aux testicules, par pudeur, mais la saison à laquelle la figue est récoltée, c’est-à-dire l’automne, autrement dit : khrif). Ce fruit est déjà tout cela et même plus encore, car, par extension, il figure aussi, bien que plus rarement, un pseudo-membre viril. Or, comme la montée de sève est consacrée au dieu Mars (avant qu’il ne devienne qu’un simple dieu guerrier, Mars était un dieu de la nature en fleurs qui présidait au renouvellement printanier de la végétation), on peut y voir là son glyphe même : ♂ ne serait plus seulement la représentation d’un bouclier et d’une lance, mais la stylisation d’une verge en érection et d’un testicule vu de profil. Mais plus qu’à Mars, c’est davantage à Dionysos et à Priape auxquels on pense relativement aux vertus génératrices du figuier. On utilisait du bois de figuier pour sculpter des statues à l’effigie de ces divinités, quand ce n’était pas, de manière tout à fait univoque, des phallus que l’on processionnait lors des Dionysies. La portée sexuelle d’un tel rite était donc clairement affichée, et on cherchait à la magnifier grâce à des offrandes de figues faites au dieu de la vigne.



Pietro Bernini, Priape (1616). Metropolitan Museum of Art (New-York).


Du côté féminin, on accorda à la figue un « aspect de vulve aux saveurs occultes (Francis Ponge), ce qui, au reste, lui convient parfaitement, puisqu’en italien le mot fica (figue) s’applique aussi à la vulve (de même qu’aux testicules, au travers d’une expression que les Milanais ne sont pas prêts d’oublier : « fare la fica e la fava »). Coupe mystique offerte lors des mariages, la figue est encore l’image d’un sein que d’aucuns considérèrent comme avachi (de même qu’on y voyait un pauvre couillon fripé). Ce qui donne une drôle d’idée du rôle aphrodisiaque de la figue. Ne serait-elle pas l’expression d’une gloire fanée, séduction de la ridule et de la flétrissure ? Alors que, bien mûre et oubliée sur l’arbre, la figue prend l’allure d’un vieux pouf en simili cuir usé, son arbre, paré de feuilles à texture caoutchouteuse, laisse sourdre ce latex séminal à la moindre rupture. Avec un tel arsenal, on aurait pu s’attendre à ce que la figue se la joue BDSM, mais même pas ! Elle n’est pas si démonstrative, abandonne cravache et tenue intégrale de cuir noir à d’autres. Bien au contraire, cette mignonne grassette, grosse sultane joufflue, officie dans le secret de son alcôve qui dissimule ses amours aux regards, « chambre close où se célèbrent des noces » (André Gide). Elle est courtisane qui s’abrite dans son boudoir, femme languide assoupie dans la tiédeur du harem, toute transpirante d’ambre et de musc. Molle et melliflue, elle semble peu propice aux jeux d’amour, même quand on lui voit cette goutte visqueuse qu’on a nommé étrangement « larme de catin ». Elle paraît davantage portée à l’abandon lascif… d’autant que, paraît-il, le figuier protégerait en tant que felix arbor (arbre propice) du « coup de foudre »5. Cependant, au Moyen-Orient, où il semble que nous nous sommes transportés, les femmes confectionnaient des pénis artificiels en bois de figuier, qu’elles enduisaient ensuite d’une pulpe de dattes et de concombre. « Il est peu probable, conclut Jean-Luc Hennig, que cette technique ait uniquement été destinée à favoriser la conception »6. On pourrait s’arrêter là, mais non, j’ai décidé d’en rajouter une couche qui, malgré les apparences, poursuit sur la pente que nous avons empruntée depuis plusieurs dizaines de lignes. Sachez, donc, qu’en plus des analogies constatées entre la figue et les parties génitales tant masculines que féminines, que les anciens Grecs en découvrirent une autre entre ce fruit et le foie. Les Grecs engraissaient leurs oies avec des figues, ce qui avait pour conséquence de faire grossir le foie de ces volatiles. « Sous l’influence du nom grec, les Romains appelèrent le foie gras ficatum, le mot passa dans l’usage pour désigner le foie humain […]. Sans doute ne serait-ce là qu’une anecdote linguistique si le foie n’avait été pour les Anciens d’une part le siège des passions, en particulier de la colère, de la violence [NdA : Mars], et d’autre part un organe gorgé d’un suc amer, la bile, qui rappelle le lait âcre que contient la figue avant maturité »7. Galien rapportait que les hommes chargés de garder les vignes à l’approche des vendanges, ne se nourrissaient guère que de figues durant les deux mois qui précédaient la récolte du raisin. Et, tout comme les oies, ils avaient une très nette tendance à l’embonpoint, pour reprendre le bon mot d’Aristophane dans La Paix. Nous sont restées des expressions telles que « être gras comme une figue », « se nourrir de figues » (ficus edit), c’est-à-dire être abonné à la bonne chère et au luxe moelleux, en un mot « être figué », autrement dit : amolli et avachi. Nombreux furent les anciens Grecs et Romains à s’adonner au péché de la figue : Hérodote, Théophraste, Pline, Galien, Plutarque, Démocrite, etc., en firent l’éloge. Platon en fut si friand qu’on le surnomma phylosukos, le « mangeur de figues », une expression qui pourrait tout aussi bien s’appliquer aux jeunes gens dont aimait parfois à se régaler le philosophe.



Bassine remplie de figues carbonisées découvertes à Midéa (Grèce). 1250 à 1200 ans avant J.-C. Musée archéologique de Nauplie (Péloponnèse).


Huit siècles avant J.-C., Homère rapportait dans l’Odyssée que la culture du figuier avait déjà cours en Grèce. De même que chez les Égyptiens, la figue représenta une ressource alimentaire incontestable et faisait partie des repas avec le pain d’orge, les olives et le fromage de chèvre, et était consommée annuellement à l’état sec. Peut-être davantage que pour les Grecs, le figuier revêtit pour les Romains de l’Antiquité une importance capitale, puisque c’est, dit-on, un figuier qui stoppa dans sa course un panier jeté au Tibre, et qui ne contenait pas moins que Remus et Romulus. Le figuier aurait donc été impliqué au cœur même de la création de la cité de Rome, ce qui n’est pas rien. Cependant, la vénération du figuier dans la Rome antique s’avère relativement ambiguë. Le figuier était réputé dangereux lorsqu’on s’allongeait à son ombre, méthode privilégiée pour y faire la rencontre des fauni ficarii (plus tard apparentés à des spectres et à des démons spécifiques). On le disait si impur qu’il était à même de purifier l’impur, parce que ses caractéristiques rappelaient celles des choses – créatures monstrueuses ou livres impies – qu’on cherchait à détruire. Bien plus tard, dans les campagnes du département du Tarn, on considérait que brûler du bois de figuier dans la cheminée tarissait le lait des nourrices (Par sympathie ? Parce que le « lait » de l’arbre est desséché par la chaleur de l’âtre ?) Hildegarde de Bingen elle-même affirmait quelque chose d’approchant : « Si on fait brûler son bois dans le feu et que sa fumée touche quelqu’un, cette personne en est blessée et rendue malade »8. Mais ce qui, durant l’Antiquité, demeure le plus curieux concernant les pratiques ambiguës en rapport avec le figuier, c’est sans doute des rites expiatoires qui se pratiquaient en Grèce : « Il existait à Athènes, comme dans d’autres cités grecques, un rite annuel qui avait pour but d’expulser périodiquement la souillure de la ville, en processionnant à travers la cité deux pharmakoi »9 que l’on recrutait « parmi les gens de basse condition que leurs méfaits et leur laideur physique désignaient comme des êtres inférieurs, dégradés, le rebut de la société »10. On choisissait un homme et une femme. Au premier, l’on faisait porter un collier de figues noires, et à la seconde un collier de figues blanches. Cette cérémonie avait lieu le premier jour de la fête des Thargélies, durant laquelle on fouettait les profanes avec des rameaux de figuier, puis on les expulsait afin de bannir avec eux les calamités qui affectaient la cité. Le pharmakós, qui s’apparentait alors à ce que l’on peut appeler un bouc émissaire, n’avait pas que le sens de remède qu’on lui a conservé aujourd’hui, c’était avant tout l’être immolé en expiation des fautes d’un autre. A Rome aussi, on avait un sens de la pureté tout à fait extrémiste : on sait qu’il poussa un figuier sur le toit d’un temple dédié à la déesse Dia desservi par les vestales. Ce temple fut détruit de fond en comble. « De même que l’on ne tue pas un malade de peur qu’il puisse mourir, il faut qu’il y ait eu une raison plus sérieuse et plus grave pour amener la démolition de tout le temple sur le toit duquel le figuier avait poussé »11. Il faut dire qu’un arbre phallique (pour rappel : Adam, Mars, Dionysos, Priape, etc.) au beau milieu (c’est une image ! ^.^) des vestales, ça fait désordre tout de même !… On peut donc parler d’arbre hérétique, dans le sens où il est habité d’une inclination alternative, d’un choix d’existence différent de celui des vestales. Cette question de l’hérésie plaquée sur le figuier, on la retrouve bien évidemment dans le christianisme. Si, hérétique, la figue ne l’est sans doute pas, elle présente bel et bien un double visage dans ce vaste ensemble pas toujours cohérent qu’est la Bible. On se souviendra qu’il est communément admis que l’arbre tentateur du paradis perdu passe pour un figuier, comme inscrit dans la Genèse. Après leur faute, Eve et Adam « cousent des feuilles de figuier et se font des ceintures »12. L’idée est séduisante vu tout ce que nous avons dit des propriétés anthropogoniques et génésiques du figuier (si ce n’est pas lui, eh bien il s’agit de je ne sais quel autre pomum, terme qui ne nous dit à peu près rien, puisqu’il s’appliquait à la plupart des arbres fruitiers de l’époque). De phallique, il devint funéraire, sinistre, sinon diabolique. Il est vrai que le figuier, ne serait-ce que par son étrange configuration, projette une drôle d’ombre, indépendamment de son lien serré avec Judas dont on dit habituellement qu’il se serait pendu à un figuier (il se pendit à tellement d’arbres que le pauvre ne dût plus savoir où donner de la tête ^.^). Dans l’un de ses contes, le napolitain Giambattista Basile décrivait la figue en usant d’une image : son « col de pendu », disait-il. Par sa couleur (surtout quand la figue est violette), elle prend l’allure d’une petite bourse étranglée. Initialement blanche, c’est-à-dire non souillée, la figue prit cette couleur noire tandis que s’ensanglantèrent ses entrailles par la faute de Judas, ce qui priva même, dit-on parfois, le figuier de la capacité de fructifier. On incrimina donc le figuier sauvage, ce caprifiguier dont nous parlions tout à l’heure, car comment donc son homologue cultivé, qui fournit des fruits aussi savoureux, aurait-il bien pu s’associer à une aussi macabre opération ? Bien qu’orné d’une exubérance de feuilles, l’on ne vit plus un seul fruit venir au figuier sauvage après la pendaison de Judas à l’un de ces arbres. En Sicile, on pense qu’il ne fleurit plus depuis ce sinistre événement, et l’on voit dans chacune de ses feuilles comme un diable dessiné, ces feuilles même qui recouvrirent ces organes que nous ne saurions voir. En entremêlant Adam et Judas, la vie et la mort, une espèce d’alpha et d’oméga, le christianisme accorda effectivement une place bien singulière au figuier, semblable à ce qu’il fit d’un autre végétal. On dit de la figue qu’elle est aux fruits ce que la rose est aux fleurs. Il s’avère que ces deux végétaux partagent des caractéristiques communes dans leurs attributions symboliques, entre autres la valeur érotique qui, selon le « bord » dont on se réclame, peut être plaisante ou malfaisante. Enfin, il n’était pas en odeur de sainteté auprès de Jésus, car cet arbre incarne pour lui la vanité de l’intellectualisme, cette même science qu’il maudit dans Matthieu13 après avoir expulsé les marchands du Temple. Pour en terminer là, relativement à la décollation de saint Jean-Baptiste, qui eut lieu sous un figuier, l’on est beaucoup moins disert sur l’hypothétique rôle que cet arbre pût jouer à ce moment précis. C’est vrai que la décapitation de Jean le Baptiste, sous les dehors sanglants qu’elle peut prendre, est aussi un moyen de montrer que pour accéder à un état d’être supérieur, il faut être prêt à perdre la tête.

Après cela, entre interdits divers et malédiction, on peut se demander ce qu’il peut bien rester au figuier et à sa figue. Il paraît à peine croyable que des médecins, à toutes les époques, aient réussi à dépasser les différentes réputations faites à la figue afin de s’en servir comme matière médicale. Pourtant, ce fut bien le cas, bien que l’on ne s’empêchât pas de raconter quelques absurdités à son propos comme on le verra. En attendant, l’on peut dire que les vertus médicinales du figuier n’échappèrent pas aux anciens Grecs. Par exemple, Dioscoride, dans sa Materia medica (I, 154), exposa les principales vertus des figues fraîches mûres, ainsi que celles des figues sèches, qui s’opposent en presque tous les points : la première est rafraîchissante, coupe la soif et lâche l’estomac, tandis que la seconde est échauffante, engendre la soif et ramollit le ventre (cela ne l’empêche pas pour autant d’être un remède des poumons, des voies basses et du système vésico-rénal). Quant aux feuilles de figuier, on pouvait les cuire et les appliquer ainsi localement, formant des cataplasmes efficaces contre la « lèpre », les maladies cutanées chroniques, les plaies enflammées, ainsi que ces verrues dont la forme évoque celle d’une figue, les fics (en grec, le mot sukè désigne, d’ailleurs, autant le figuier que ce fic-là).

Au Moyen âge, l’école de Salerne, sise en un climat méditerranéen plein d’enthousiasme, connaissait parfaitement la figue : « Crue ou cuite, la figue est un fruit des meilleurs ». Mais gare aux excès, car elle est extrêmement nourrissante, en plus d’être laxative, pectorale et maturative des tumeurs. En plus de cela, la plupart des réceptuaires médiévaux la donnaient efficace contre la dysenterie et les hémorroïdes. Hildegarde de Bingen, pas située sous le même climat que la riante Campanie, qualifiait le Fichbaum « à l’image de la crainte », bien qu’elle indiquât que l’écorce et les feuilles de cet arbre pouvaient constituer de bons remèdes pour la poitrine et les reins, pour endiguer les maux de tête et le larmoiement. Quant au fruit, c’est tout juste si elle le jugeait correct pour le malade, et encore à condition de le modérer et de le tempérer en le trempant dans du vinaigre en tout premier lieu. En revanche, la figue « ne vaut rien à manger pour le bien-portant, parce qu’elle lui donne le goût du plaisir et de l’orgueil : il en deviendra ambitieux, recherchera les honneurs et sera cupide et aura des mœurs capricieuses, si bien qu’il ne sera jamais dans les mêmes dispositions d’esprit »14. Comment expliquer la dureté du ton de la bénédictine autrement que par le rapport potentiellement existant entre le figuier et Judas, une relation que Hildegarde ne devait pas ignorer. Si tel est le cas, nous constatons à quel point le prisme du dogme religieux est en mesure de faire dire bien des âneries. Comme quoi, même les plus grands esprits peuvent s’égarer, eux aussi, en vertu d’une croyance. Quoi que cela ne soit pas pire que les énormités qui furent déclamées durant la Renaissance, bien que l’estime que l’on avait pour le figuier transparaisse dans de nombreuses publications de l’époque. Nombre de médecins en recommandaient le fruit comme aliment d’hygiène et de santé, à destination des patraques et autres convalescents, ce à quoi nous ne pouvons qu’accorder raison à l’exposé des quelques informations qui suivront un peu plus loin, mais pas avant que nous nous soyons penchés sur un joli lot d’affabulations choisies ^.^ Dans le courant du XVIe siècle, Prosper Calamo soutenait qu’une trop grande consommation de figues provoquait bien des désagréments parmi lesquels la survenue d’ulcères gastro-intestinaux, ainsi que l’infestation par la gale et les poux (cette réputation aura la vie dure, puisqu’on rencontrait encore cette superstition dans le Dauphiné au XVIIIe siècle). Puis, un siècle plus tard, le médecin portugais Zacutus Lusitanus (1576-1642) relatait qu’un excès de figues occasionna, chez une femme enceinte, de bien curieux effets : une fièvre violente, des convulsions, une coloration pourpre de la peau… Enfin, le médecin genevois Théophile Bonet déclara dans un ouvrage de 1679 (Sepulchretum seu anatomica practica) qu’à la suite d’un trop copieux usage de figues, un enfant fut affecté par le genre de carcinome que l’on appelle squirrhe. En comparaison, Nicolas Lémery, une vingtaine d’années plus tard, ne fit pas plus que reprocher aux figues fraîches leur digestibilité compliquée, alors qu’il pensait les sèches de bien meilleur effet, comme le prétendait déjà un auteur de la Renaissance en 1597, Antoine Constantin. On sent bien qu’il y a trois siècles, il n’y avait pas encore tout à fait d’unanimité sur ce point : la figue est-elle digeste, si oui dans quel état ? En revanche, Lémery nous offre un portrait synthétique tout à fait convainquant des propriétés et usages de la figue : « Elles adoucissent les âcretés du rhume et de la poitrine, elles fortifient les poumons, elles amollissent les duretés, elles excitent l’accouchement, elles résistent au venin, elles soulagent les maladies des reins et de la vessie, étant prises intérieurement en décoction ; on en fait des gargarismes pour les maux de gorge et de la bouche ; on en applique aussi extérieurement pour digérer et pour hâter la suppuration »15. A cela, nous pouvons ajouter qu’au XVIIIe siècle, la figue, pour ses vertus émollientes, résolutives et maturatives, s’appliquait avec efficacité sur engelures, phlegmons, bubons et autres anthrax.



Le figuier est un arbre d’assez petite taille (3 à 5 m chez les spécimens cultivés, mais peut parfois atteindre le double si on le laisse croître sans l’entraver) qui pousse dans des sols rocailleux qui ne sauraient être ni acides ni trop humides. Bien qu’évoquant immanquablement le Sud, il est parfaitement exact que l’on a découvert des empreintes fossiles de feuilles de figuier dans le Bassin parisien. S’il peut effectivement se développer sous des latitudes septentrionales, c’est tout de même autour de la mer Méditerranée qu’il fructifie le mieux. Son aire de répartition géographique idéale, qui s’étend de l’Afrique du Nord aux pieds du Caucase, coïncide parfaitement avec celle de l’olivier. Dans ces zones ensoleillées, on peut procéder à deux récoltes annuelles, la première au début de l’été, l’autre en automne. Plus au nord, le manque de chaleur et le défaut d’ensoleillement font que la maturation des fruits s’en trouve ralentie, parfois inhibée (c’est un phénomène qui n’est en rien l’apanage du figuier, bien d’autres végétaux y sont sujets).

Ce drôle d’arbre au tronc gris et tortueux porte de larges feuilles palmées, alternes, profondément échancrées en lobes bien dessinés. Épaisses et succulentes, elles sont vert foncé au-dessus, plus pâles et pubescentes sur la face inférieure, enchâssées sur un pétiole rude. A cette caractéristique foliaire, on peut ajouter une autre étrangeté : le figuier semble dénué de fleurs. Pourtant, elles existent bel et bien, mais se cachent au sein de ce renflement que l’on appelle la figue, tapissant l’intérieur de cet appendice en forme de poire. On peut constater la présence de ces fleurs lorsqu’on coupe en deux une figue pas encore mûre. Plus tard, après la fécondation, les fleurs donneront naissance aux fruits véritables, de petits grains croquants contenus à foison dans la figue, qui n’est en définitive qu’un gros sac rempli de petits fruits. Pour en savoir davantage sur le mode de reproduction du figuier, veuillez consulter cette page.

De figuiers, il existe de multiples variétés dont les coloris des fruits s’étalent du très clair au très foncé (pour ne pas dire blanc ou noir, ce qui serait fort inexact). La coucourelle blanche est une figue à peau vert jaunâtre pâle, un peu à la façon de la figue dite de Marseille (vert pâle à jaune), de la Sucre vert (vert jaune) et de la Bourjassotte blanche (vert jaune également). Entre les deux teintes extrêmes, on trouve des figues vertes (Blanche d’Argenteuil) ou jaunes (Grosse jaune). Enfin, concernant les figues à la peau sombre, on observe plusieurs nuances : du rougeâtre plus ou moins violet (Sultane), du bleu ardoise (Bourjassotte noire), du violet (Bellone de Nice, un nom qui s’inspire peut-être de celui de la déesse de la guerre Bellona, tantôt sœur du dieu Mars, tantôt son épouse. Décidément !), du brun violet (Ronde de Bordeaux), enfin du noir violacé (Noire de Barbentane).



Deux variétés de figues : la « Longue noire de Caromb » et la « Goutte d’or ».


Le figuier en phytothérapie

Vu la disproportion que l’on peut constater entre les apports strictement médicaux abordés dans la partie précédente, et tout ce qui est du domaine de la croyance, de la mythologie et de la religion, on peut craindre de voir cette seconde partie relativement peu garnie. Si la gemmothérapie n’était pas venue nous sauver la mise, nous devrions encore nous contenter du peu qu’on a pu dire des effets thérapeutiques du figuier en phytothérapie, un arbre qui n’est pas autrement connu que pour l’usage de sa figue dans ce domaine (on voit, de temps à autre, d’anecdotiques recettes faisant participer les feuilles, les rameaux ou le latex, mais comme il y a absence de consensus à leur sujet, on n’ira pas plus loin sur ce point, nous contentant de la figue et de l’élixir de bourgeons de figuier).

Fruit bizarre qui n’en est pas un, la figue, qui se décline en plusieurs formats et coloris, est reconnue médicinale lorsqu’elle est jaune ou violette. En terme de composition, selon qu’elle est fraîche ou sèche, l’on observe de grandes disparités : c’est que l’on ne passe pas de 100 calories aux 100 g à l’état frais à 250 calories pour le même poids de figues sèches, sans que cela ne s’explique par une profonde transformation du profil biochimique de la figue. Voyons plutôt :

*Dont : fer, brome, calcium, manganèse…

A cela, rajoutons encore 1 % d’acides organiques, des enzymes, des flavonoïdes, une bonne part de vitamines (pro-vitamine A, vitamines B1, B2, B3, C), du mucilage, etc. Quant au latex de la plante, suc laiteux, âcre et corrosif, il contient lipodiastase, amylose, protéase et une quantité suffisante de furocoumarines pour rendre le figuier photosensibilisant par toutes ses parties vertes.

Propriétés thérapeutiques

La figue :

  • Nutritive, tonifiante
  • Stomachique, digeste, laxative légère, dépurative intestinale, vermifuge (?)
  • Expectorante légère, pectorale
  • Adoucissante, émolliente
  • Diurétique
  • Rafraîchissante
  • Maturative

L’élixir :

  • Sédatif, anxiolytique, régulateur du système nerveux
  • Régulateur de l’appétit, des sécrétions gastriques, abaisse l’acidité stomacale

Note : le latex est antalgique et purgatif, les feuilles emménagogues, prescrites en infusion quelques jours avant la date présumée du début des règles, mais aussi antitussives et toniques de la circulation. Quant au jeunes rameaux, ils constituent un laxatif doux bien adapté aux enfants.

Usages thérapeutiques

La figue :

  • Troubles de la sphère respiratoire : toux, enrouement, aphonie, irritation et inflammation de la gorge et des voies basses, rhume opiniâtre et traînant, catarrhe bronchique, bronchite, bronchite chronique, laryngite, trachéite, coqueluche, pneumonie, accès fébrile aigu
  • Troubles de la sphère vésico-rénale : cystite, néphrite et autres inflammations urinaires, catarrhe vésical, hydropisie
  • Troubles de la sphère gastro-intestinale : dyspepsie, constipation, constipation rebelle, gastrite, colite et autres inflammations intestinales, diarrhée, intoxication alimentaire (aux fruits de mer et poissons)
  • Affections bucco-dentaires : aphte, stomatite, gingivite, fluxion dentaire, abcès dentaire
  • Affections cutanées : furoncle, dartre, brûlure, plaie atone, piqûre d’insecte, morsure, tumeur cutanée enflammée, maladies cutanées chroniques
  • Maladies infectieuses : la figue est rafraîchissante lors de rougeole et scarlatine
  • Asthénie physique et/ou nerveuse, convalescence, grossesse ; la figue est aussi fort profitable de 7 à 77 ans (enfants, adolescents, personnes âgées), et jusqu’au sportif (qui fait appel à ses bons services depuis au moins le temps des athlètes grecs de l’Antiquité)

L’élixir :

  • Troubles de la sphère gastro-intestinale : mauvaise digestion, dyspepsie, nausée, vomissement, dysphagie œsophagienne, reflux gastro-duodénal, aérophagie, ballonnement, colite, diverticulite, colique, ulcère (duodénal, gastrique), pulsions alimentaires (boulimie, fringale, envie sucrée)
  • Troubles de la sphère gynécologique : améliore le syndrome prémenstruel, utile dans la plupart des effets pénibles de la ménopause
  • Troubles du système nerveux : stress, nervosité, angoisse, excès de pensées, insomnie, réveil nocturne, surmenage, burn-out, palpitations et tachycardie (d’origine nerveuse et non pas cardiaque), céphalée, migraine, mal des transports, jet lag (on saisit son implication dans les addictions alimentaires)
  • Action bénéfique auprès des articulations (souplesse, etc.)

Modes d’emploi

  • Figue fraîche ou sèche, en nature.
  • Figue sèche à faire tremper dans de l’eau à température ambiante toute la nuit (à la façon des pruneaux).
  • Cataplasme de figues fraîches.
  • Décoction de figues fraîches bouillies dans le lait ou l’eau (pour la valeur d’un bol de liquide, on compte trois à quatre figues coupées en quatre). A utiliser de suite, en tisane ou en gargarisme.
  • Décoction de feuilles de figuier fraîches : comptez 25 à 30 g par litre d’eau (pour lotion, compresse, bain de siège, etc.).
  • Suc de figuier (latex) en application locale sur les cors et les verrues.
  • Élixir gemmothérapeutique : 5 à 15 gouttes dans un verre d’eau trois fois par jour, en dehors de la prise des repas. En cas de compulsion alimentaire, on peut, en cas d’urgence, faire de cet élixir le même usage qu’avec le Rescue du docteur Bach : une goutte pure sur la langue.
  • Recette d’une boisson reconstituante (état fébrile, convalescence, etc.) donnée par Jean Valnet : dans 10 litres d’eau, placez 1 kg de figues fraîches et quelques baies de genévrier. Faites macérer pendant huit jours, filtrez et embouteillez.

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • Récolte : les figues se cueillent sur l’arbre entre août et septembre selon la localisation géographique. Pour les faire sécher, il faut tout d’abord les passer à l’eau salée bouillante, puis les exposer au soleil ou à la chaleur d’un four.
  • Quelques précautions doivent cependant être observées dès lors qu’on manipule le figuier à l’état frais : le suc laiteux qui sourd de la plante quand on en casse les feuilles, est caustique et irritant pour les muqueuses cutanées et oculaires. On observe parfois des dermites au contact des feuilles fraîches avec la peau. Possiblement photosensibilisant, ce latex n’est pas compatible avec une exposition solaire prolongée. Enfin, son application sur les cors et les verrues doit nous dispenser de l’employer partout ailleurs. Chomel relatait la mésaventure d’une dame de son époque, nous avertissant de la dangereuse causticité du suc de figuier : « Une dame en ayant mis plusieurs fois de suite sur un poireau qu’elle avait à la paupière inférieure, s’était attiré une violente inflammation, laquelle, jetant un peu de pus, était dégénérée en ulcère rongeant, qui avait mangé la paupière inférieure, et une portion des muscles de l’œil qui était tout à nu »16.
  • On considère que la figue sèche est de plus difficile digestion que la fraîche. Ceux qui ont de petites capacités digestives veilleront à cette distinction.
  • Le figuier (en gemmothérapie) est incompatible avec un traitement anticoagulant, ainsi que chez la femme enceinte.
  • Je ne vais pas m’étendre sur les innombrables usages culinaires de la figue, l’un des « quatre mendiants » (avec la noix, l’amande et le raisin sec), je me permets simplement de mentionner des emplois qui eurent cours et dont on n’entend plus parler : par exemple, à la lecture de Homère, l’on apprend que le latex de figuier fut utilisé parfois exclusivement comme présure pour faire cailler le lait (surtout bouilli) lors de la préparation de certains fromages. Ce même suc, qui présente bien des analogies avec le suc pancréatique, est capable de digérer la fibrine, c’est pourquoi, à l’instar du suc de papayer, il attendrit la viande (les recettes antiques de plats de viande qui requièrent de les cuire avec des figues, ne visent pas uniquement qu’un seul aspect gustatif). Sous des aspects convenables – sans doute sous l’égide de Vénus – il paraîtrait, selon Pline, que le figuier sauvage est capable de dompter les taureaux sauvages furieux (chose qu’on répétait encore dans la Maison rustique de 1597). Est-ce que tout cela peut avoir un rapport avec cette histoire d’attendrissement de la viande, hum ? ^.^ Quant aux figues fraîches, l’on sait bien que lorsque c’est la saison, on peut les déguster tout juste cueillies sur l’arbre. Fruit délicat et fragile, c’est ainsi qu’elle se mange préférablement, tant elle supporte avec difficulté les longs voyages. Sa chair se tale facilement, d’où il ressort que ce fruit moisit rapidement. Elle se transportait autrefois enveloppée dans des feuilles de chou, papier bulle naturel. Une fois sèches et complètement privées de leur eau de végétation, on peut les torréfier, les réduire en poudre et en élaborer une espèce de café ! Enfin, une fois tout ces préparatifs achevés, il ne reste plus qu’à faire la vaisselle : il paraît que les feuilles de figuier – sans que j’en ai bien saisi le mode d’emploi – s’avèrent être un très bon nettoyant des casseroles, bachasses et autres gamates !
  • Élixir floral de figuier : comme on utilise les fleurs pour confectionner ces élixirs-là, je me demande bien comment l’on s’y prend dans le cas du figuier. Sachez que cet élixir (à ne pas confondre avec ce qui se fabrique du côté de la gemmothérapie) permet d’apporter une plus large ouverture vers la confiance, en direction du monde extérieur. Il faut dire que la figue a un peu l’huître comme cousine ^.^ Il se destine donc non seulement à toutes les personnes animées par un excès de contrôle de soi, par peur de perdre pied, de se voir envahi et confus face à une situation perturbante. On retrouve, grâce à lui, de l’harmonie et de la souplesse dans le contrôle, ainsi que davantage de lucidité, chose qui semble un peu échapper au monde de la gemmothérapie. Se pose la question de savoir s’il est souhaitable de trop plébisciter le figuier, arbre qui forme peu de bourgeons et qui, paradoxalement, fait partie du quatuor de tête des ventes d’élixirs en gemmothérapie. N’est-ce pas risquer, à terme, une destruction de la matière première végétale ? A trop cueillir les mêmes bourgeons, ne peut-on craindre de scier la branche sur laquelle on s’est juché ? « Une gemmothérapie responsable se doit, elle aussi, de s’interroger sur les conséquences de l’augmentation du marché de la gemmothérapie sur les bourgeons prélevés en sauvage »17. La gemmothérapie, de même que l’aromathérapie, doit rester, à mon avis, un objet d’exception, car, de même que l’arbre cache la forêt, c’est un arbre en devenir qui se dissimule dans un seul bourgeon. Attention, donc, aux fringales immodérées pour tout ces remèdes dont on nous rebat les oreilles dès qu’on ouvre les pages de magasines consacrés à ces sujets : à l’élixir de bourgeons de figuier, ajoutons-y donc l’éleuthérocoque, la rhodiole, l’harpagophytum ou encore l’encens (Boswellia serrata, Boswellia carterii), toutes plantes sur lesquelles pèse un danger d’extinction à plus ou moins brève échéance.
  • Sur l’île de la Réunion, on appelle figue les bananes, chose tout à fait curieuse, peut-être relativement à l’image licencieuse que se trimballe la figue depuis des lustres, heureusement transposée à la banane dont la forme est, on ne peut mieux, suggestive ^.^
  • Autres espèces : il en existe une seule sur le territoire national, Ficus carica, donc. Partout ailleurs, les figuiers se comptent par centaines d’espèces différentes. Citons-en seulement quelques-unes, dont le majestueux figuier des pagodes (F. religiosa) abordé la semaine dernière, ainsi que ses compagnons, le figuier des marchands (F. benghalensis) et le figuier à cinq branches (F. racemosa), et tout un tas d’autres ficus : retusa, indica, cotinifolia, sycomorus, etc.

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  1. Jacques Brosse, Mythologie des arbres, p. 347.
  2. De la fraise à la figue, on peut se dire que, symboliquement, ces deux « fruits » sont bien différents : l’un, rouge extériorisé, affiche clairement sa tendance à la luxure, tandis que l’autre, violacé presque cyanosé intériorisé, semble habité par une crainte timide et maladive.
  3. Jean Chevalier & Alain Gheerbrant, Dictionnaire des symboles, p. 440.
  4. Jacques Brosse, Mythologie des arbres, p. 340.
  5. Alors que Zeus persécutait assidûment Gaïa, sans doute pour la violer, son fils Sykeus fit apparaître un arbre, le premier figuier, où elle put se cacher. Il existe une autre version de ce mythe qui inverse complètement la donne : Sykeus, un géant (ou titan) que Zeus poursuit (et pas pour lui faire des mamours) est métamorphosé en figuier par sa mère Gaïa. Je crois qu’il vaut mieux s’en tenir à cette dernière variante dont on doit le souvenir à Athénée, plutôt que la première qui me paraît être une incompréhension de lecture du mythe. Quoi qu’il en soit, cela a suffit pour désigner le figuier comme protecteur contre la foudre… ce qui est, convenons-en, un peu léger.
  6. Jean-Luc Hennig, Dictionnaire littéraire et érotique des fruits et légumes, pp. 233-234.
  7. Jacques Brosse, Mythologie des arbres, pp. 338-339.
  8. Hildegarde de Bingen, Physica, p. 168.
  9. Guy Ducourthial, Flore magique et astrologique de l’Antiquité, p. 108.
  10. Vittorio Bizzozero, L’univers des odeurs, p. 84.
  11. Angelo de Gubernatis, La mythologie des plantes, Tome 2, p. 142.
  12. Genèse, III, 7.
  13. Évangile selon saint Matthieu, XXI, 18-22.
  14. Hildegarde de Bingen, Physica, pp. 168-169.
  15. Nicolas Lémery, Dictionnaire universel des drogues simples, p. 360.
  16. Jean-Baptiste Chomel, Abrégé de l’histoire des plantes usuelles, p. 94.
  17. Aline Mercan, Manuel de phytothérapie écoresponsable, p. 111.

© Books of Dante – 2023