
Synonymes : blé noir, blé rouge, blé de Turquie (ainsi apparaît-il dans Les Grandes heures d’Anne de Bretagne), blé de Barbarie, blé de Tartarie, sarrasin de Tartarie, sarrasin de Russie, blé martin, bucail, bouquette, beaucuit, carabin, dragée de cheval, dragée de pourceau, renouée sarrasin, sarrazin.
« Quel présent nous ont fait les Maures en nous envoyant le sarrasin ! », s’exclamait Brillat-Savarin, pas forcément pétri d’exactitude, tant géographiquement qu’historiquement, pour le coup. Non pas qu’il en était le fol consommateur, mais parce qu’il lui savait bon gré d’engraisser les poulardes qu’ensuite il dévorait. Mais il était d’accord sur un point : le sarrasin est l’un des aliments de santé des animaux de basse-cour. Et si c’est bon pour eux, c’est peut-être également bon pour nous. Cependant, Brillat-Savarin n’est pas allé jusque-là (il mangeait du sarrasin par poularde interposée ^.^), c’est-à-dire jusqu’à un point qui avait été remarqué une trentaine d’années plus tôt par Desbois de Rochefort, qui consigna dans son ouvrage posthume la pratique, courante en plusieurs régions de France1, de mêler à de la farine de seigle du sarrasin pour faire du pain, c’est-à-dire l’aliment quotidien de millions de Français à la veille de la Révolution française.
D’où vient le fait que le sarrasin passe pour l’aliment de celui qui est trop indigent pour se nourrir de blé ? On peut imaginer le sarrasin dans les chaumières d’Europe médiévale, humides et malodorantes, où grouillent la vermine et les maladies. Mais on se tromperait, puisque, à cette époque, le sarrasin y était parfaitement inconnu, ces populations-là se contentant de seigle et écopant de l’ergotisme au passage. Le pain du pauvre en appelait donc à d’autres substituts.
Provenant d’Asie centrale et occidentale, de Mandchourie et de Sibérie2, « le sarrasin a été introduit par les Mongols et les Turcs aux environs de la mer Noire, d’où les échanges commerciaux l’a transmis au début du XVe siècle à l’Europe centrale et occidentale »3. Cependant, bien avant cela, il dut bien transiter par une autre route pour se trouver cultivé en Espagne, occupée par les Maures, dès le VIIIe siècle, d’où ce nom de sarrasin qu’on lui a conservé.
Et cette réputation, alors ? Comment expliquer, lisant Roques, que le pain de sarrasin, c’est bof-bof, drôle de couleur et drôle de goût ? (Peut-être pas pour qui a faim ; mais, à ce dernier, proposez-lui du pain de froment et du pain de sarrasin. Lequel des deux pensez-vous qu’il va préférer ?) Roques n’était donc pas de ceux à qui l’on fait manger de ce pain-là. « Il n’en est pas de même des gâteaux et de la bouillie qu’on prépare avec de la farine récente et bien conservée. La bouillie se mange chaude ou froide, frite ou grillée ; on la coupe par tranche, et on la met à la poêle comme le poisson »4. On fait donc du sarrasin ce que l’on fait de la polenta de maïs en Italie. En France, il y a encore deux siècles, bouillie et galette au lait ou au cidre constituaient deux des principales sources de nourriture quotidienne. Mais Roques et d’autres médecins de son temps, contrairement à Desbois de Rochefort et Brillat-Savarin (qui, au reste, n’était même pas médecin mais gastrolâtre), mettaient en garde face à cette excessive sur-consommation de sarrasin lors des repas. De quoi donc le sarrasin est-il accusé ? D’affliger ceux qui le consomment d’avoir « le teint blafard, livide », de tomber « dans un état de langueur », « d’émousser leur intelligence et de les abrutir ». Selon Roques et Cie, la consommation exclusive de sarrasin serait à l’origine d’une intelligence défectueuse, d’une lenteur singulière dans les mouvements et d’une inertie stupide. Il faut très certainement voir dans ce jugement non scientifique l’influence de la « mauvaise » réputation du sarrasin, un « blé impur », ne produisant pas de farine blanche, mais grisâtre, poussant le vice à être parfaitement inapte à la panification, ou du moins se réduisant à « une masse insipide, indigeste, sans liaison ». Le sarrasin serait donc l’ennemi du compagnon, de l’amitié et du lien indéfectible que l’on établit entre les êtres. Qu’est-ce que c’est que ce blé noir, sinon une plante d’origine barbare (héritée des Sarrasins), ainsi donc placée en dehors de la chrétienté, à l’inverse du blé, graine christique s’il en est, et fort en honneur pour cette raison, poussant dans des terres riches, au contraire de ce sarrasin tout dépenaillé qui survit tant bien que mal sur des sols siliceux particulièrement pauvres ? Or, si l’on inverse cette perspective, on se rend compte facilement que le sarrasin est une plante qui valorise un type de sols que sa culture même conserve « propres », puisque télétoxique par sécrétions racinaires, il élimine lui-même les adventices sans qu’il soit besoin d’abuser de ces pesticides par trop coûteux. A l’inverse, le blé, pour donner quelque chose, dépend essentiellement de la nature et de la richesse du sol auquel on le confie.
Dans quelque conte, on fait adopter au sarrasin une fonction assez trouble, puisqu’on l’accoquine au diable, alors que Dieu conserve par devers lui le blé et d’autres plantes alimentaires « positives ». Aujourd’hui, force est de reconnaître que le point de vue s’est déplacé : des blés trafiqués contiennent de ces grosses molécules de gluten que l’on n’y trouvait pas autrefois en aussi grande quantité. Cette protéine (comme d’autres – les lectines, par exemple, et dont on parle peu en Europe) est responsable de divers troubles à la portée plus ou moins étendue. Quant aux lectines les plus problématiques, ce sont celles présentes dans des plantes également riches en gluten, c’est-à-dire les céréales, mais on en trouve aussi parmi des légumineuses (pois chiches, lentilles) et des plantes alimentaires de la famille des Solanacées (tomate, poivron, aubergine). Et c’est là que surgit le sarrasin. Celui qu’autrefois l’on décriait, le réservant à la plèbe, celui auquel on faisait un mauvais procès, s’avère à même de pallier l’inconfort induit par une consommation morbifique d’aliments contenant trop de gluten. Ce sarrasin noir des sols miséreux ne provoque justement pas les travers qu’occasionne ce blé trop blanc des sols riches et bourrés de joyeusetés. C’est là un sacré retournement de situation ! Pourtant, si l’on regarde dans le détail, l’on se rendra compte que l’inversion ne s’est pas effectuée selon un fil tendu entre l’époque de Roques et la nôtre, mais qu’il y a eu, entre les deux bornes, d’autres jalons qui entrèrent en dissonance complète avec ce que l’on put bien raconter de négatif au sujet du sarrasin. Un siècle après Roques à peine, le docteur Leclerc dressait un portrait flatteur du sarrasin que Paul-Victor Fournier restitue à peu près en ces termes : « Cet aliment substantiel produit un état d’euphorie et d’équilibre intellectuel qui, d’une part, porte à l’optimisme et à l’indulgence, et d’autre part, favorise le travail de l’esprit et aboutit à un meilleur rendement. Ceux qui en font leur principale nourriture se distingueraient par la bonne humeur et la douceur du caractère. Qu’attend-on pour l’imposer à toute l’humanité ? »5. Il est parfois rapporté que le sarrasin est symbole de protection et de guérison. On comprend aisément pourquoi à la lecture de ces dernières lignes.
Plante annuelle rustique d’une petite cinquantaine de centimètres des pieds à la tête, le sarrasin érige des tiges nodulaires striées, un peu rameuses, vertes ou trempées de rouge. L’appareil foliaire se compose de deux types de feuilles : les plus immédiatement visibles sont les inférieures. Cordiformes avec une pointe bien marquée, plus ou moins sagittées, elles peuvent parfois adopter l’allure d’une feuille de lierre grimpant. Dans tous les cas, elles conservent de longs pétioles, tandis que les feuilles supérieures n’en ont pas, étant sessiles et rattachées directement à la tige du sarrasin. Remarquons une spécificité des Polygonacées, c’est-à-dire une pièce foliaire appelée ochréa formant un manchon sur la tige à la naissance de chaque pétiole.
Les fleurs, très souvent blanches mais parfois légèrement rosées, comptant cinq pétales et formant de petits bouquets au sommet de la plante, ainsi qu’à l’aisselle des feuilles, paraissent de juin à août. Ces petits glomérules touffus produisent des semences à trois faces bien nettes, et dont la couleur une fois parfaitement mûres, n’est pas seulement celle qui justifie le nom de blé noir accordé au sarrasin : en effet, dans le commerce, l’on voit du sarrasin beige, jaune roussâtre ou bien encore vert teinté de roux.

Le sarrasin en phytothérapie
Le sarrasin, tout bon blé noir qu’il est, est-il une céréale ? Ne peut détenir ce titre que la plante dont Cérès (Déméter), après avoir passé l’araire dans le champ, plaça la semence dans le sillon. Ainsi, les céréales, dans lesquelles il n’est pas bien difficile de lire le nom de la déesse, ce sont le blé, l’orge ou encore le maïs, pour n’évoquer que les plus courantes. Le sarrasin, non. On lui attribue le substantif de pseudo-céréale, c’est-à-dire de fausse céréale. Mais bien souvent, par ignorance ou par paresse, on escamote le préfixe et l’on transmute le sarrasin en une céréale, à l’égal du blé. Cette précision étant établie, passons donc à la suite.
Du sarrasin, l’on utilise principalement la semence inodore et à faible goût farineux, ainsi que, quelquefois, les fleurs fraîches (bien que cela demeure parfaitement anecdotique). Voici, à peu près, de quoi est constitué un grain de sarrasin :
- Matières amylacées : 55 %
- Cellulose : 14 %
- Matières azotées : 11 %
- Matières grasses (dont lécithine) : 3 %
- Sels minéraux : 3 %
- Sucres (saccharose) : 1 à 2 %
Première chose remarquable, « la richesse du sarrasin en principes minéraux n’est guère dépassée, parmi les céréales, que par l’avoine, », consignait Paul-Victor Fournier6. On les y trouve fort nombreux en effet : zinc, sélénium, manganèse, calcium, fer, cuivre, potassium, magnésium, phosphore, etc. Histoire de faire bonne figure, il n’a pas non plus à pâlir d’une carence vitaminique, puisqu’il propose à profusion des vitamines du groupe B (1, 2, 3, 5, 6 et 9), ainsi que de la vitamine E.
On remarquera la présence de plusieurs flavonoïdes, dont la vitexine, la quercétine, mais essentiellement la rutine, molécule anti-inflammatoire, impliquée, comme la précédente, dans l’abaissement du risque de cancer et de maladies cardiaques. Cela va nous obliger à promouvoir le rôle prophylactique capital du sarrasin.
Afin d’en rajouter une couche, l’on trouve dans le sarrasin plus de polyphénols et d’acides aminés (au nombre de douze !) que dans le blé, ce qui nous impose de nous pencher sur ce dernier point avec une attention redoublée :
- l’histidine est un acide aminé essentiel ; présent dans l’hémoglobine, il permet de maintenir le pH sanguin ;
- l’arginine : énergétique, sa dégradation fournit du carbone et de l’azote aux cellules ;
- la lysine : non synthétisé par l’organisme, cet acide aminé essentiel doit donc être fourni par l’alimentation ;
- le tryptophane est un précurseur de la sérotonine et de la mélatonine, deux hormones agissant sur le rythme circadien qu’elles régulent ;
- la cystine : acide aminé soufré de la famille proche de la méthionine, elle joue un rôle important dans la bonne santé des ongles et des cheveux ;
- la leucine : l’un des neufs acides aminés essentiels, qui augmente la résistance à la fatigue physique.
Enfin, la graine de sarrasin se remarque par la présence de lignanes (des phytohormones) et de D-chiro-inositol, molécule assez peu fréquente dans le règne végétal.
Aujourd’hui davantage présente dans les commerces de produits biologiques spécialisés, la farine de sarrasin présente une composition biochimique que nous pouvons présenter à l’aide de quelques chiffres :
- Glucide : 70 %
- Protéines : 9 à 14 %
- Fibres : 4 à 6 %
Cela explique le bas index glycémique (établi à 40) de cette farine, dont la consommation au repas du soir est parfaitement recommandée. Les protéines du sarrasin ont le mérite d’être absorbées plus lentement que d’autres.
Pour en finir avec le cours de chimie, attirons l’attention sur un point d’importance : parce que non céréale, le sarrasin ne contient aucun gluten que ce soit, cette substance indésirable aux allergiques et autres intolérants. Ce gluten-là, on pourra se rappeler qu’il existe dans les « vraies » céréales dont les initiales forment l’acronyme campagnard que voici : SABOT (Seigle, Avoine, Blé, Orge, Triticale). On peut encore y ajouter l’épeautre et le kamut (avec un K, c’était tout de suite moins drôle pour fabriquer, comme au scrabble, un mot de sept lettres !) Ainsi, tout ceux à qui répugne le gluten, peuvent parfaitement s’en remettre au sarrasin, de même qu’au quinoa, à l’amarante, etc., qui n’en contiennent pas non plus.
Propriétés thérapeutiques
- Fortifiant général, énergétique, nutritif, anti-asthénique, reminéralisant
- Digestif, laxatif, déconstipant, anticancéreux intestinal (?)
- Anti-inflammatoire
- Protecteur vasculaire et veineux, renforce les parois des capillaires, prévient les affections relevant d’une insuffisance veineuse
- Régulateur du système nerveux, euphorisant
- Antioxydant puissant
- Hypoallergénique
Usages thérapeutiques
- Troubles de la sphère gastro-intestinale : intolérance et allergie au gluten, dyspepsie, entérite
- Troubles de la sphère cardiovasculaire et circulatoire : prophylaxie dans l’hypertension et l’artériosclérose, varice, hémorroïdes, phlébite, thrombose, thrombophlébite, hypercholestérolémie (LDL), œdème, insuffisance veineuse, engelure, fragilité vasculaire, purpura, hémorragie rétinienne, cicatrisation de la cornée, maux de tête
- Affections cutanées : allergie, démangeaison, eczéma, dermatose, érysipèle, contusion, cor, retirer des corps étrangers fichés dans les chairs, soin de la peau (rides et ridules), des ongles et des cheveux
- Troubles de la sphère génitale : leucorrhée, spermatorrhée, syndrome des ovaires polykystiques (SOPK)
- Troubles de la sphère hépatique : fatigue hépatique, sueur jaune de l’ictérique
- Troubles du système nerveux : troubles du sommeil, surmenage intellectuel
- Arthrite
- Alimentation générale, alimentation de la femme enceinte, de l’adolescent, du convalescent, du cardio-rénal
Modes d’emploi
- Infusion : plus clairement, il s’agit de ce qu’on appelle thé de sarrasin, qui est effectivement une infusion de graines de sarrasin grillées ou torréfiées, qu’on nomme kasha dans le jargon des connaisseurs.
- Bouillie de sarrasin : sorte de « gruau » cuit en potage comme l’orge mondée dans de l’eau ou du lait. Comme le sarrasin constitue encore un ingrédient de choix dans les pays d’Europe de l’est, en Russie, en Ukraine et en Pologne, la kasha demeure un plat essentiel. Il s’agit d’une bouillie de sarrasin, parfois accompagné de riz ou de blé selon les régions7. On peut l’assaisonner avec des herbes, du sel et du poivre par exemple, ou bien y adjoindre des amandes ou des noisettes pilées, des œufs battus, l’aromatiser à l’eau de fleurs d’oranger, y ajouter un soupçon de miel ou de sucre si l’on veut orienter sa recette en direction des desserts. En général, le sarrasin se cuit comme les lentilles. Mais on peut aussi procéder comme le riz et en faire un pilaf.
- Comment ne pas évoquer la galette de sarrasin, qu’obligatoirement l’on associe à la Bretagne ? Comme nous l’avons pu voir dans la première partie de cet article, il n’y a pas que l’Armorique qui peut se réclamer de ces crêpes de blé noir, puisque, fait moins connu, dans les Ardennes, on fabrique localement de ces crêpes, bien plus trapues cependant, dans lesquelles on mêle parfois la farine de sarrasin à celle du blé. Moins fine crêpe qu’épaisse galette, on donne à cette spécialité ardennaise les noms de vôte, vaute, berdelle ou encore tantimolle. Quant à la galette classique de blé noir à la mode bretonne, il importe de faire le mélange suivant : ¾ de farine de sarrasin et ¼ de farine de blé, sans quoi la cuisson pourra s’avérer laborieuse, le sarrasin, comme l’on sait, ne contenant aucun agent liant tel que ce gluten présent dans la farine de blé. Délayée à l’eau ou au cidre, la pâte de la galette bretonne impose qu’on la laisse reposer plusieurs heures avant son utilisation. L’adjonction de fécule d’arrow-root en lieu et place de la farine de blé permet généralement d’éviter le désagrément de la galette qui se désagrège en cours de cuisson, et de pouvoir la retourner pour la cuire des deux côtés.
- Dans le registre des autres spécialités, on croise, depuis plusieurs années, de plus en plus de ces pâtes alimentaires sans gluten : ainsi, lentille corail, pois chiche et sarrasin se livrent-ils au jeu de la concurrence, mais restent cependant minoritaires face à l’exorbitante sur-représentation des pâtes alimentaires à base de semoule de blé dans le rayon pâtes/riz de la grande distribution. Les pâtes de sarrasin, si on ne les cuit pas excessivement (c’est-à-dire moins que les pâtes au blé), se tiennent parfaitement à la cuisson, sans partir en brioche, si vous voyez ce que je veux dire et que cette expression vous est familière. Bref, comme j’ai banni de mon alimentation toutes les sources de céréales glutineuses, je puis vous confirmer l’excellence de cette alternative que sont les pâtes au sarrasin, loin de démériter face aux pâtes classiques. On pensera encore aux crozets savoyards, ainsi qu’à cette autre spécialité, les pizzocheri, dont on se régale tant en Suisse qu’en Italie.
- Faire du pain avec de la farine de sarrasin est compliqué. Il existe pourtant bien des recettes à droite à gauche, que j’ai tentées, sans jamais en être convaincu : jolie forme à la cuisson, mais goût atroce, pain qui ne se tient pas et qui tombe en poussière au bout de quelques jours, etc. Rien de neuf sous la voûte céleste si l’on en croit Alexandre Dumas qui écrivait dans son Grand dictionnaire de cuisine : « On ne peut se dispenser de dire que le pain qu’on en fait est le plus mauvais de tous ; sec le lendemain de sa cuisson, il se fend, s’émiette et devient alors venteux et détestable ». Préférez le pain à la farine de châtaigne, vous vous régalerez autrement. Faire du pain de sarrasin ? Non, non. J’ai donc abandonné cette idée, préférant mixer la farine de sarrasin à d’autres farines (millet, banane verte, amarante, manioc, etc., selon ce que j’ai en stock à la maison). Je compte généralement 2/3 de farine de sarrasin pour 1/3 d’autre(s) farine(s). A cela, j’ajoute du bicarbonate de soude, un peu de Mix’Gom ou autre substance apparentée, et, en principe, j’obtiens une pâte qui peut se transformer en un gâteau qui lève un peu tout de même. Ce qui m’arrange. Un gâteau par semaine, c’est bien suffisant. Et puis, manger du pain, même de sarrasin ou de je ne sais quelle autre farine sans gluten à tous les repas, eh bien, je m’en passe depuis plus d’un an et cela ne me manque absolument pas. C’est vrai que pour moi qui avais un grand-père boulanger, ça peut faire désordre. Mais il y a un équilibre en toutes choses, n’est-ce pas ?
- Poursuivons dans les usages alimentaires possibles à base de sarrasin : j’ai récemment appris que les jeunes feuilles se consomment à la manière d’un légume vert, ce qui implique de semer soi-même son sarrasin, car je ne pense pas qu’il se vende en cet état sur les étals des marchés. Chose plus facilement réalisable : le sarrasin germé. Plutôt que des graines de poireau, de radis ou de je ne sais quelle luzerne alfa-alfa, pourquoi ne vous laisseriez-vous pas tenter par des graines de sarrasin à mettre au germoir (à la condition qu’il ne s’agisse pas de sarrasin grillé, bien incapable de germer) ?
- Dernier point : le cataplasme de farine de sarrasin, que l’on mêle à du blanc d’œuf et du vin parfois, juste assez pour que cette pâte ne dégouline pas partout. Appliquée localement, cette préparation permet de soulager les articulations douloureuses, les affections cutanées telles que celles que nous avons listées plus haut, etc.
Précautions d’emploi, contre-indications et autres informations
- Récolte : elle est tardive et échelonnée dans le temps, ce qui complique un peu l’opération. Si la plupart des plants sont parfaitement fructifiés à la fin du mois de septembre, d’autres prennent le temps de voir venir, lambinant jusqu’en octobre, novembre parfois. Cela explique que la mécanisation en grand du sarrasin s’avère rapidement une tâche complexe, et que la culture de cette plante ait été battue en brèche pas celles du maïs et de la pomme de terre dont la simultanéité du mûrissement les ont fait préférer au sarrasin, bien que ces deux plantes du nouveau monde ne présentent pas que des intérêts. Le sarrasin n’est donc pas le fer-de-lance du capitalisme forcené et libéral, bien au contraire.
- Les fleurs de sarrasin sont très mellifères et offrent aux abeilles un abondant nectar. Le miel obtenu est généralement de couleur brune, à l’odeur et à la saveur prononcées.
- Plante fourragère, il est parfois consommé par le bétail. Mais, lorsque le sarrasin est en fleurs, il présente l’inconvénient d’être dermotoxique. Il est alors susceptible de provoquer des inflammations cutanées à l’instar du millepertuis. Chez l’homme, ce problème se rencontre chez celui qui aurait consommé de son miel. On donne à ce phénomène le nom de fagopyrisme.
- Autres espèces : – le sarrasin de Tartarie (Fagopyrum tataricum) : au rapport du docteur Roques, cette espèce, anciennement cultivée dans le nord de la France, passe pour plus robuste, davantage productive et tout aussi comestible par ses semences « grosses, triangulaires, noirâtres, à angles saillants et dentés »8 ; – le sarrasin vivace (Fagopyrum dibotrys ou cymosum), plante d’Asie orientale et centrale (Chine, Népal, Inde, Birmanie), cumule les fonctions de plante ornementale, fourragère et médicinale. Sur ce dernier point, la médecine traditionnelle chinoise fait appel à elle pour ses propriétés immunostimulantes ; elle est utilisée en cas de bronchite, d’œdème pulmonaire, d’inflammation de la vésicule biliaire, etc. A ce titre la même médecine traditionnelle chinoise signale à notre intérêt que la semence douce et fraîche du sarrasin commun s’applique plus précisément à assurer aux méridiens de la Rate, de l’Estomac et du Gros intestin, de convenables et correctes fonctions.
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- Aujourd’hui encore, bien des régions manifestent un attachement à cette pseudo-céréale : la Normandie, le Limousin, le Rouergue, l’Auvergne, les Pyrénées et, bien entendu, la Bretagne, soit dans bien des endroits tout de même, où il n’était pas que consommé mais également cultivé. Notons que la France occupe, après la Russie, l’Ukraine et la Chine, le quatrième rang mondial des pays producteurs de sarrasin. 110 000 tonnes ont été produites en France pour la seule année 2014, une paille en comparaison des 40 millions de tonnes de blé qu’elle produisait dans l’hexagone dans le même temps. A l’heure actuelle, la France est importatrice de sarrasin, c’est dire la demande ! Il faut croire que les 5 à 6000 ha cultivés de sarrasin ne permettent d’y pourvoir pas (en 1860, cette superficie était estimée à 750 000 ha en France).
- Depuis lors il a été précisément découvert que le point d’origine du sarrasin est la Chine.
- Paul-Victor Fournier, Dictionnaire des plantes médicinales et vénéneuses de France, p. 824.
- Joseph Roques, Nouveau traité des plantes usuelles, Tome 3, p. 287.
- Paul-Victor Fournier, Dictionnaire des plantes médicinales et vénéneuses de France, p. 824.
- Ibidem.
- Le terme kasha désigne autant l’ingrédient que le plat que l’on prépare avec lui.
- Joseph Roques, Nouveau traité des plantes usuelles, Tome 3, p. 292.
© Books of Dante – 2021
