Il y a plusieurs années de cela maintenant, lorsque l’envie m’a pris d’entamer la rédaction d’un ouvrage portant sur la déesse Hécate, j’avais été bien surpris, lors de mes recherches, d’apprendre qu’elle comptait, parmi ses plantes fétiches et emblématiques, le platane. C’est ainsi qu’en parle précisément l’auteur anonyme des Argonautiques orphiques : « Aux derniers retranchements de son enceinte succède le bois sacré, ombragé d’arbres florissants, où poussent quantité de lauriers, de cornouillers et de grands platanes » (1). La présence d’un tel arbre au sein du bois de la déesse peut tout d’abord étonner, habitués que nous sommes à ne plus en remarquer les multiples alignements un peu partout en France. Pourtant, cet arbre qui fut si massivement planté le long des routes et sur les places des villages, nous ramène indirectement en des temps beaucoup plus reculés, où ce platane, aujourd’hui banal et commun, n’existait pas encore (2). Pourtant, si l’on avait l’opportunité de jeter un coup d’œil sur une prise de vue instantanée datant de l’Antiquité autant grecque que romaine, l’on serait tenté de hurler au mensonge. En effet, ne sont-ce pas des platanes que l’on voir orner tel jardin ou encore tel mail (3). Et l’on peut, si on le souhaite, multiplier les exemples à l’infini, montrant, à l’évidence que les Grecs et les Romains firent grand cas du platanos/platanus (du grec platys, « large », « plat », en référence à la taille et à l’allure des feuilles de cet arbre).
Cet arbre qui n’appartient à personne semble a contrario appartenir à tous : l’on voit peu de mythes fondateurs dans lesquels le platane participe pleinement. Par exemple, il ne prend en aucun cas part aux nombreuses métamorphoses dont foisonne la mythologie grecque. En revanche, il est de tous les carrefours, si je puis ainsi dire, et occupe bien plus de fonctions que ce que l’on peut imaginer au premier abord. Il faut donc en dire bien davantage que le laconique bout de phrase qui reconnaît que le platane était adoré des anciens Grecs. C’est certes un indice mais il n’est absolument pas satisfaisant.
Oui, le platane était particulièrement vénéré en Grèce. Socrate ne jurait-il point par le platane ? Pour mieux comprendre ce fait, précisons que les lieux en lesquels les Grecs plantaient des platanes formaient des promenades à l’ombrage desquelles il était de bon ton de converser, mais aussi de prodiguer des enseignements. Ainsi faisait Épicure dont les jardins étaient ornés de platanes. De plus, « tous les fameux portiques où s’enseignaient les sciences et les mœurs, étaient précédés de grandes allées de ces beaux arbres : alors les avenues de la philosophie étaient riantes [NdA : Ovide déclarait le platane « ami de la joie »] ; on ne la voyait point sédentaire et renfrognée, creuser dans le vide au fond d’un cabinet poudreux » (4).
Dans l’histoire, il existe de nombreux platanes liés à un événement marquant, un fragment de mythe ou bien encore un grand personnage. Recensons-en quelques-uns.
Sans qu’il appartienne jamais à aucune divinité qui en aurait fait son emblème privilégié, l’on peut cependant faire la remarque qu’à l’abord de lieux de culte dédiés à Zeus, l’on trouve assez fréquemment des platanes. Au II ème siècle après J.-C., Pausanias signalait qu’un bois de platanes se tenait à Olympie, à proximité du temple consacré à Zeus. Bien plus tôt encore, Hérodote fit la remarque qu’à Labranda (en actuelle Turquie) le sanctuaire de Zeus (dont on voit encore des ruines) était cerné par un vaste enclos sacré planté de platanes. Le même Pausanias, considérant ce qui s’apparente plus ou moins à un bosquet d’arbres de type platane (platanistas, dit-il), près de Sparte, émit l’hypothèse qu’il pouvait bien s’agir là d’un bois sacré dédié à Hélène qui, bien qu’elle ne soit pas une déesse, est une figure souvent citée en accord avec le platane. De même, Pausanias vit-il, à Caphyes, en Arcadie, le platane qu’y fit planter Ménélas, l’époux d’Hélène, avant de partir pour s’engager dans la guerre à Troie. Mais il se peut bien aussi qu’il s’agisse d’un autre platane, planté à Delphes par Agamemnon… Comme on le constate, rien n’est bien limpide sur ce point. Toujours présent où on ne l’attend pas, c’est bien encore d’un platane dont s’éprit Xerxès, traversant la Lycie. Le fait, rapporté par Hérodote puis Élien, précise qu’il « se prit d’une telle passion pour un platane, qu’il en fit orner les branches de colliers et de bracelets en or » (5). L’on voit que le platane suscite de bien curieux comportements. En voici d’autres. Un autre platane de Lycie était un véritable monstre végétal dont le tronc s’était tant creusé au fil du temps, qu’il forma une cavité assez grande pour y accueillir plusieurs personnes. L’histoire nous relate que Mucien, consul et lieutenant en Lycie, « mangea dans cette grotte avec 18 personnes, et il y passa la nuit sur des lits formés des feuilles de l’arbre, à l’abri de tous les vents, prêtant l’oreille au bruit de la pluie qui traversait le feuillage » (6). Cette volonté d’enfermement temporaire rappelle curieusement le fait qu’on découvrit dans le tronc d’un platane, une statue de Dionysos (celui-là même tiré de la cuisse de Zeus !…), ce qui, outre que cela pourrait asseoir le statut de « dendritès » de celui qui est « deux fois né », permet de se rapprocher de la divinité en question. On pense, en ce qui concerne Dionysos, « qu’en donnant sa vie à l’arbre qui est le sien, la divinité en quelque sorte réintègre l’habitat dont elle était sortie au printemps » (7). Dans quelle mesure fusionne-t-on avec la divinité qui anime un arbre en dînant et en dormant au creux de l’alcôve qu’il a formée des parois de son tronc ? N’entrons-nous pas, nous-mêmes, en contact avec bien des divinités et des entités de différentes natures en embrassant tout simplement l’arbre choisi par amour ou par nécessité ? Si cela semble relever d’une dimension sacrée, l’histoire nous apprend encore que de tels platanes n’étaient pas des phénomènes végétaux circonscrits qu’au seul monde grec (8), puisque se déroula, dans le Latium, à Vellitri, de fort curieuses agapes : c’est du moins ce que l’on apprend de Caligula lorsque est évoqué ce qu’il nommait le « festin du nid » : « Les branches [d’un platane] formaient un plancher, avec des bancs très larges disposés tout autour. Il dîna, au plus épais du feuillage, dans cette salle qui contenait 15 convives et les gens nécessaires pour le service » (9). De la part d’un empereur au règne aussi bref que foutraque, on n’en est pas à une folie près ! Avec l’extension romaine dans les provinces proches de l’Asie, le platane fut multiplié, tant pour son rafraîchissant ombrage que pour ses saines exhalaisons. Les Romains « avaient une telle prédilection pour cet arbre qu’ils l’arrosaient de vin, prétendant le faire croître plus vite par ces lustrations » (10). Cette anecdote, rapportée par Dioscoride et Pline, conseille donc de verser du rouge pour avoir la main verte. Bon.
Au-delà de cette attraction pour le platane, motivée pour des raisons bien différentes, j’ai dégagé, au fil de mes lectures, au moins quatre domaines dans lesquels il joue un rôle plus ou moins étendu.
Dans le premier, l’on voit Cadmos, frère d’Europe (de laquelle nous reparlerons), inventer l’alphabet écrit en mettant à profit des écorces de platane. Après qu’eut lieu l’enlèvement d’Europe par Zeus, métamorphosé en taureau à l’occasion, le père de Cadmos enjoignit ses fils de partir à la recherche de leur sœur. « Durant son voyage avec ses frères […], il enseignait l’alphabet aux marchands qu’il rencontrait, et laissait des messages – en écorce de platane – pour sa sœur » (11). Étant donné le lien existant entre Europe et le platane, on aurait pu penser que celle-ci aurait abandonné, comme autant d’indices, des écorces de platanes dans sa fuite (toute relative, puisqu’il s’agit d’un rapt brutal), que Cadmos n’aurait plus qu’à découvrir sur son chemin, au gré de ses pérégrinations…. Mais ce « mythe » me semble tronqué et ne parvient pas à dire ce qu’il souhaite… contrairement à celui qui l’enfante, en quelque sorte, c’est-à-dire l’enlèvement d’Europe par Zeus, mettant en scène le platane de Gortyne, en Crête, au pied duquel se tinrent les noces des deux tourtereaux (dans une autre version du mythe, il est expliqué qu’Europe se situe sous un platane au moment où elle est ravie par Zeus). C’est de cet événement que naquit le fait qu’on raconte encore parfois, à savoir que l’on prétend que ce platane existe toujours et, plus prodigieux encore, qu’il se vit paré de feuilles qui ne tombèrent plus jamais (ce qui aurait plausiblement protégé les amours des deux amants ou bien symbolisé la preuve de la viridité d’un tel arbre). Au reste, existerait-il en Crête un platane aux feuilles persistantes ? C’est ce que d’aucuns prétendent.
La deuxième fonction du platane concerne la vertu oraculaire. Dans l’Iliade, on voit se dérouler une forme de miracle : « sous un beau platane, au pied duquel une eau chatoyante coulait, Ulysse et ses compagnons sont les témoins d’une apparition fantastique envoyée par Zeus, qui, interprétée par le devin Calchas, devient un présage de la victoire future des Achéens sur les Troyens (12). Ce miracle, tel que le narre l’Iliade, tient en ceci : « Un serpent au dos roux, effrayant, que l’Olympien lui-même [NdA : c’est-à-dire Zeus] envoyait au jour, s’élança de dessous l’autel et se dressa vers le platane. Il y avait là de petits moineaux, tout jeunes, sur la branche la plus haute, blottis sous les feuilles ; ils étaient huit, et la mère qui les produisit faisait neuf. Le serpent les dévora malgré leurs cris affreux » (13). On voit encore le platane prendre le statut de présage dans un fragment, historique cette fois-ci : « On raconte […] qu’à l’arrivée de Xerxès à Laodicée, un platane se transforma en olivier, comme présage de la victoire des Grecs » (14).
Le troisième point se rattache à l’accointance du platane, par le truchement de son ombre profonde, avec l’obscurité du royaume des morts. Assez fréquemment associé au deuil, il est vrai qu’on planta un platane à l’abord de plusieurs tombeaux consignés par l’histoire (Diomède, Hélène, etc.).
Le dernier point nous amènera à expliciter la relation qu’entretient le platane avec le serpent. Il débutera par la question que voici : est-ce tout à fait un hasard si le père de la médecine, Hippocrate, prêta serment sous un platane de l’île de Cos ? Cette relation du platane au serpent est également visible à travers le dieu de la médecine lui-même, à savoir Asclépios, dont l’emblème est un bâton autour duquel s’enroule un serpent (à distinguer du caducée), divinité à laquelle fut assimilé le Phénicien Es(h)mun, autre divinité de la santé et de la guérison, et dont on dit communément qu’il guérissait par les serpents, animaux dont la morphologie rappelle les branches souples et tortueuses du platane. De leurs mues successives font écho celles de l’arbre duquel se détache de longs lambeaux d’écorce.
Afin de poursuivre dans cette voie, mentionnons la remarque d’Athénée. Dans les Deipnosophistes, il écrit qu’autrefois se tenait un platane à proximité de l’emplacement où se situait le serpent Python de Delphes, vaincu par Apollon, avant que celui-ci ne fasse de Delphes son sanctuaire par excellence. Cette relation reptilienne peut encore (peut-être ?) se lire dans une anecdote que nous livre Pline : « On cite les exemples, dit-il, de nombreux arbres qui, même sans orage ou sans autre cause qu’un prodige, sont tombés et se sont redressés tout seuls […]. Le fait le plus merveilleux, c’est qu’à Antandros [NdA : cité antique de Mysie] un platane déjà équarri repoussa spontanément et reprit sa hauteur qui était de quinze coudées, sa grosseur de quatre brasses ». Ce platane qui se redresse, raconte Pline, est chose fort étonnante et fabuleuse. Ne peut-on y voir l’érection, en lieu et place du serpent horizontal, du platane vertical ? C’est une hypothèse qui pourrait me séduire, mais elle ne me semble pas fondée, en ce sens que, à Delphes, ce n’est pas le platane, mais le laurier qui prit tout la place après l’éviction de Python (qui survit néanmoins à travers le nom même de la devineresse qui a pris sa place, la Pythie). Cette modification de statut donne l’impression d’une volonté d’accéder à une sphère de conscience supérieure, en quittant l’horizontalité chthonienne et serpentiforme de Python, au profit de cet arbre lumineux qu’est le platane.
En Europe, l’on rencontre principalement deux espèces de platanes, pour contredire Fournier qui en dénombre trois : « On trouve en France, fréquemment plantées, trois espèces différentes, originaires les unes du Proche-Orient, l’autre de l’Amérique septentrionale » (15). Tout cela peut surprendre. N’existe-t-il pas, en France, qu’une seule espèce de platane, celle qui borde les routes nationales et ombrage l’aire de jeu des pétanquistes ? A ce dernier, l’on a donné le nom botanique latin de Platanus acerifolius, mais c’est plus souvent qu’on l’appelle Platanus x hispanica. Ce qui est bien plus intéressant : à moins d’être aveugle, il ne me semble pas possible de rater cet indice de taille : le x, qui signifie qu’on a affaire à un hybride (on le retrouve dans les noms scientifiques d’autres plantes : la rose de Damas – Rosa x damascena, la menthe poivrée – Mentha x piperita, etc.). Cela implique que notre platane urbain – une chimère – est, en quelque sorte, le rejeton d’un autre platane, ancestral parent dans lequel on a bien voulu voir le platane oriental (Platanus orientalis) qui vivait déjà dans les Balkans et l’Asie mineure du temps des anciens Grecs. Par exemple, à Istanbul, l’on peut croiser de ces platanes aux grandes feuilles beaucoup plus divisées, comptant cinq à sept lobes aigus, à l’écorce qui ne se desquame pas en lunules comme le font les platanes d’Europe occidentale, mais en longues plaques, rappelant par-là ces grands arbres australiens que l’on appelle eucalyptus. Pour qu’un arbre puisse naître d’un autre, il faut nécessairement un deuxième parent. La reconnaissance et l’établissement du caractère sexuel des plantes ayant été acquis au prix d’âpres luttes, il me semble évident que nous ne pouvons faire ici l’impasse sur un fait aussi important (au passage, je vous recommande la lecture de l’intéressant ouvrage de Fleur Daugey, Les plantes ont-elles un sexe ?). Il a été découvert qu’un platane, en provenance d’Amérique du Nord, Platanus occidentalis, implanté sur le sol européen depuis quelques siècles seulement, s’était uni, par le truchement du pollen et des insectes, à ce platane oriental ramené eu Europe occidentale au XVI ème siècle par un botaniste français du nom de Pierre Belon. On pense aujourd’hui que l’hybridation sur le sol européen eut lieu dans un jardin botanique anglais, peut-être celui d’Oxford. Bien qu’hybride, ce platane n’est pas stérile, comme c’est habituellement le cas lors du croisement de deux espèces (par exemple, l’âne et la jument donnent naissance au mulet infécond). C’est, en botanique, un fait d’une extrême rareté, offrant une information non négligeable : « la fertilité d’un hybride atteste l’étroite parenté du patrimoine génétique des géniteurs » (16). C’est peut-être cette caractéristique qui amena Fournier à ne considérer Platanus x hispanica que comme un cultivar du Platanus orientalis. En tous les cas, cela en dit long sur le pouvoir de fertilité et de fécondité qu’on a attribué au platane depuis des millénaires ! Comment, lorsque l’on voit un platane « engloutissant » une fraction de mobilier urbain ou bien accueillant dans sa propre chair une autre espèce (17), douter de la puissance génésique qui l’anime ? Si l’on en croit les anciens Grecs et Crétois, le platane représentait les idées liées de fertilité et de fécondité. Dans le cas contraire, pourquoi auraient-ils dédié cet arbre à une déesse connue sous le nom de Gaïa ? Ce que nous confirme Jacques Brosse : « Comme tous les arbres dont les feuilles ont cinq lobes et par conséquent la forme d’une main, le platane, de même que le figuier, la vigne et le lierre, appartenait à la Grande Déesse » (18). L’on peut donc en déduire que notre platane, si banal au point qu’il en est presque devenu invisible, a hérité des caractères de ses illustres aïeuls, et que cela ne se résume pas à quelques traits strictement morphologiques. L’on sait très bien que l’enfant n’est jamais le strict produit d’une addition de 50 % du père et de 50 % de la mère, il possède aussi des qualités personnelles qui n’appartiennent qu’à lui. Par exemple, ses feuilles sont glabres sur leur face inférieure, tandis que celles de Platanus occidentalis sont couvertes de poils mous. Le lobe central des feuilles de Platanus x hispanica est plus long que chez son parent américain. Enfin, les fleurs du platane hybride, serrées en inflorescences globuleuses, se tiennent généralement par une ou deux, alors que chez Platanus orientalis on les voit réunies par trois à six au maximum.
Attardons-nous un peu sur Platanus occidentalis dont nous avons finalement peu parlé. Présent du Mexique au Canada, en passant par la Virginie et la Louisiane, ce géant (il peut dépasser 50 m de hauteur), apprécie rien moins que l’abord des rivières et des lacs. Il y a deux siècles, il était déjà bien acclimaté en France, comme en témoignent les lignes que lui accorda Joseph Roques en 1837. Cette espèce ornementale (de même que son compère oriental) prenait place dans les parcs et les jardins publics. Il partage encore bien des points communs avec son cousin oriental : on sait de ce dernier que des plantations massives furent à l’origine du recul des maladies épidémiques propres aux territoires du Proche-Orient. Il s’avère, de même, que le platane américain joua les mêmes fonctions d’épurateur, agissant tant sur les eaux stagnantes que sur les atmosphères viciées et putrides. C’est pour cela, entre autres, que Joseph Roques préconisait d’installer les hôpitaux près des surfaces arborées ou, du moins, de cerner ceux existant d’un épais rideau d’arbres – d’essences balsamiques si possible – afin que la convalescence s’opère en respirant les suaves émanations des platanes, des peupliers et des tilleuls, ajoutant que l’on aurait tout intérêt de faire de même auprès des sanatoriums, des bains publics, etc. Puisque « la médecine demande rarement des remèdes au platane […], qu’on ne dédaigne point cette grande pharmacopée aérienne ou les vieillards, les convalescents, viendraient respirer la santé ! » (19). Précision bien utile, puisque le platane est inusité en médecine à l’heure actuelle. Mais il n’en fut pas toujours ainsi, puisque, par ses grandes feuilles jonchant les parcs et les allées une fois l’automne venu, il passait pour un remède des affections cutanées, en particulier chez les anciens praticiens grecs et romains. Par exemple, les brûlures cèdent à l’aide d’un onguent composé de graisse et d’extraits de platane, ou bien par l’intermédiaire des cendres obtenues après combustion des fruits. Aux gerçures et engelures s’appliquent les mêmes remèdes. On considérait les feuilles comme astringentes, mais on voyait dans l’écorce et le fruit du platane des fractions végétales plus dessiccatives encore, ce qui explique que la cendre d’écorce de platane ait également été usitée contre la « rongne », les « ulcères vieux, humides et sales ». Aux dires de Pline, elles vinrent même dissiper les abcès. Les feuilles broyées venaient à bout des phlegmons à leur début et de la plupart des inflammations et autres enflures. Enfin, d’après Serenus Sammonicus, les dartres disgracieuses du visage s’amendent dès lors qu’on consomme, en les mangeant, des feuilles de platane. L’on sait depuis que le platane contient de l’allantoïne, ce qui pourrait expliquer ses bons effets sur l’interface cutanée.
La recommandation de Pline – se servir des feuilles et de l’écorce du platane contre les hémorragies – trouve un écho, un peu plus tard, dans les écrits de Serenus Sammonicus : « On prétend, écrit-il, aussi qu’il est bon de manger des baies de saule, ou de boire du vinaigre où l’on a fait infuser des baies de platane ; il n’est pas d’hémorragie qui ne cède à la vertu de ces remèdes » (20). Chez Hildegarde, on retrouve ce couple d’arbres comme remède contre les accès aigus de fièvre.
Bien plus tard, on a prétendu que le platane était stomachique, antiscorbutique et apte à passer pour un succédané du quinquina tant son écorce s’avère astringente. Mais rien ne permet d’en assurer l’exacte efficacité, sachant que tout cela est resté à l’état de lettre morte, de même que des affirmations plus anciennes comme l’efficience du platane sur les fluxions oculaires, les douleurs dentaires et les morsures de serpent (ce qui serait moins étonnant, vu ce que nous avons longuement abordé plus haut !…). En revanche, une remarque qui a été faite il y a 2000 ans déjà, reste toujours d’actualité : le caractère « offensant » des aigrettes piquantes qui se détachent du platane et qui s’insinuent partout : yeux, narines, oreilles, etc. Cela, les personnes sensibles et allergiques ont du mal à s’y soustraire dès que point le mois d’avril : cette sensation que d’infimes échardes de verre se logent dans les moindres recoins est tout à fait insupportable !
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- Argonautiques orphiques, p. 140.
- On peut néanmoins faire le constat qui réside en ceci : à l’heure actuelle, l’on fait de moins en moins appel au platane comme essence ornementale à planter. Outre que la mode en soit passée, les platanes européens subissent depuis la Seconde Guerre mondiale les effets ravageurs d’un champignon ayant débarqué en même temps que les Américains, d’où la disparition subséquente des rangées de platanes, telles qu’on les voyait le long du canal du Midi ou bien encore sur l’avenue du Prado à Marseille. Ce parasite qui a eu raison d’arbres plantés sous Napoléon Bonaparte a mené à faire d’autres choix. C’est pour cela qu’on croise bien plus souvent des micocouliers là où se tenaient autrefois des platanes dans la partie sud de la France.
- Mail est le nom assez peu usité par lequel on désigne une promenade publique. Dans le Satiricon, Pétrone place dans un de ses paysages un mail de platanes.
- Joseph Roques, Nouveau traité des plantes usuelles, Tome 3, p. 529.
- Angelo de Gubernatis, La mythologie des plantes, Tome 1, p. 295.
- Joseph Roques, Nouveau traité des plantes usuelles, Tome 3, p. 529.
- Jacques Brosse, Mythologie des arbres, p. 147.
- Selon le naturaliste Pline l’Ancien, le platane, de provenance grecque, parvint en Italie à peu près à l’époque du sac de Rome par Brennus, en 390 avant J.-C.
- Joseph Roques, Nouveau traité des plantes usuelles, Tome 3, p. 530.
- Ibidem.
- Michèle Bilimoff, Les plantes, les hommes et les dieux, p. 34.
- Jacques Brosse, Mythologie des arbres, p. 219.
- Homère, Iliade. Neuf oiseaux, comme autant d’années que dura le siège de la ville de Troie.
- Angelo de Gubernatis, La mythologie des plantes, Tome 1, p. 259.
- Paul-Victor Fournier, Dictionnaire des plantes médicinales et vénéneuses de France, p. 744.
- Jean-Marie Pelt, Carnets de voyage d’un botaniste, p. 20.
- A Montpellier, sur l’Esplanade, l’on peut contempler un platane dans le tronc duquel s’est installé un mûrier (Morus alba). Dans cette même ville, au jardin du Peyrou, il est possible de voir un vieux platane envelopper le pied métallique d’un banc public !
- Jacques Brosse, Mythologie des arbres, p. 146.
- Joseph Roques, Nouveau traité des plantes usuelles, Tome 3, pp. 528-533.
- Serenus Sammonicus, Préceptes médicaux, p. 31.
© Books of Dante – 2021