
Synonymes : branche-ursine, branc-ursine, branc-ursine vraie des anciens apothicaires, patte d’ours, pied d’ours, grande berce (sic), inérine, langue des ours (de l’allemand bärenklau, qu’on applique également à la berce du Caucase en raison de la similarité de ses feuilles avec celles de l’acanthe).
« Je ne reconnais pas l’architecture grecque, Monsieur ; je regarde la Madeleine comme un grand catafalque ; le Panthéon comme un biscuit de Savoie ; la façade du Louvre comme une niche à marionnettes. Je méprise la feuille d’acanthe et la cannelure, les oves et les tympans. » Face à une telle charge de Louis Reybaud (1799-1879), il va nous falloir opposer les plus solides arguments en faveur de l’acanthe. Mais qui se souvient encore de ce contemporain de Victor Hugo qu’était Reybaud ? Et puis l’acanthe, depuis ce temps, en a vu d’autre. Mais… commençons.
Étonnamment, du côté des Grecs, l’on n’a pas fait la part belle à la mythologie, elle si féconde à nous expliquer la venue sur terre des plantes suite aux caprices des dieux. Sur la question de l’acanthe, j’ai tout de même botté en touche, jusqu’à ce que je surprenne une maigre consolation, qui vaut ce qu’elle vaut. Dans cette micro-anecdote, tant le propos est léger, il y est question d’une nymphe dénommée Akantha dont s’éprit amoureusement le dieu Apollon. Mais mal lui en prit. Il faut dire qu’avec un nom pareil ! En effet, le nom de la belle s’explique par le biais de deux racines grecques : tout d’abord anthos qui veut dire « fleur » et aké « épine ». L’acanthe, rien de plus simple, est la fleur épineuse qu’on ne cueille pas sans quelque désagrément. En effet, Apollon dut supporter le coût de l’offense qu’il fit à Akantha, puisque celle-ci, tout naturellement, de ses piquants, lui griffa le visage, façon d’esquinter un peu la lumineuse beauté du dieu qui n’hésita pas à infliger sa vengeance à Akantha en la métamorphosant en une plante épineuse amoureuse du Soleil. Je vous préviens, en général on ne brode pas autant tout autour de ce motif, la plupart du temps c’est à peine si deux lignes de trame se juxtaposent sur cette croustillante et épineuse historiette mythologique, de troisième zone au moins. Mais rassurez-vous, j’ai beaucoup mieux que ça dans ma besace. En effet, après que j’aie pu être informé que certaines muses et déesses (?), de même que les jeunes filles vierges de l’Antiquité, se couronnaient de feuilles d’acanthe, sans qu’on puisse jamais en savoir davantage, je suis parvenu jusqu’à cet architecte célèbre du Ier siècle avant J.-C qu’était Vitruve. Voici ce qu’il écrit à ce sujet et que j’ai déniché – allez savoir pourquoi – dans Le Grand Dictionnaire de cuisine d’Alexandre Dumas : « Une jeune Corinthienne était morte peu de jours avant un heureux mariage, sa nourrice désolée mit dans une corbeille divers objets que la jeune fille avait aimés, les plaça sur son tombeau, et la couvrit d’une large tuile pour préserver ce qu’elle contenait des injures du temps. Le hasard voulut qu’un pied d’acanthe se trouvât sous la corbeille. Au printemps suivant, l’acanthe poussa, ses larges feuilles entourèrent la corbeille, mais arrêtées par les rebords de la tuile, elles se courbèrent et s’arrondir vers leurs extrémités. Callimaque passant par là, admira cette décoration champêtre, et résolut d’ajouter à la colonne corinthienne la belle forme que le hasard lui donnait. » C’est quelque peu fantaisiste, mais ça l’est à la manière de l’ordre corinthien, par rapport aux deux autres qui le précédèrent, c’est-à-dire le dorique et l’ionique. Apparus vraisemblablement l’un et l’autre au VIIe siècle avant J.-C., le plus dépouillé des deux demeure avant tout l’ordre dorique, puisque ses chapiteaux sont nus, comme on peut les voir au Parthénon d’Athènes, tandis que chez l’ordre ionique, les chapiteaux s’ornent déjà de quelques volutes. Le temple de l’Érechthéion, situé non loin du Parthénon, relève de cet ordre. Quant au corinthien proprement dit, il cadre à peu près avec le sculpteur Callimaque : si ce dernier fut actif surtout au Ve siècle avant J.-C., l’ordre corinthien serait apparu à la face du monde dans les années 380 avant J.-C. Ce style est au dorique ce que l’art gothique est à l’art roman. Pour s’en assurer, il faut attentivement observer les chapiteaux de la Maison carrée de Nîmes : ils portent tous une double rangée de feuilles d’acanthe, que l’on doit sans doute à une influence étrangère, asiatique ou pour le moins égyptienne.
Non seulement la feuille d’acanthe stylisée devint l’un des ornements de l’architecture classique, mais se déploya aussi au monde romain, traversa les siècles puisqu’elle intégra l’ensemble des garnitures de l’architecture gothique, côtoyant même cet autre élément tiré du règne végétal, la feuille de bardane, qui jouait des fonctions ornementales similaires. Même plus tardivement, à chaque grand roi – de Louis XIII à Louis XVI – l’on vit évoluer morphologiquement la feuille d’acanthe ornementale.
Après autant de siècles, il est à peu près possible que le symbolisme de départ se soit égaré en chemin. « L’acanthe est utilisée pour renforcer les forces vitales qui contribuent à l’évolution de l’âme », nous explique Claudine Brelet1. Je veux bien le croire ! Après avoir contemplé d’aussi près les frontons de maints temples dédiés à des dieux tout aussi nombreux parmi lesquels on trouve Zeus, Arès et Aphrodite, il apparaît presque normal que l’acanthe, plus que simple ornement, ait été touchée, un peu, par ces divins effluves auxquels elle prend part, en magnifiant les lieux dans lesquels se pratiquait l’antique religion des anciens Grecs. L’on vit l’acanthe orner également certains vêtements ainsi que du mobilier funéraire. On en justifiait la présence en la considérant comme un symbole de triomphe sur l’adversité, « pour indiquer que les épreuves de la vie et de la mort symbolisées par les piquants de la plante, étaient victorieusement surmontées »2. On peut aussi se demander si la feuille d’acanthe d’or que place Ovide sur une coupe d’airain ne participe pas du même symbolisme.
Après tout cela, il passerait pour tout à fait anecdotique de signaler le fait que l’acanthe fut, de temps à autre, rangée au nombre des espèces végétales dont usa la pharmacopée dans les temps antiques. En tout premier lieu, je ne crois pas qu’on la trouve chez tout autre que Dioscoride. Celle qu’il appelle paiderô est surtout vantée pour sa racine dont les cataplasmes s’appliquent sur les brûlures, les luxations, les fractures et les entorses. Par ailleurs, Dioscoride signale les possibles vertus diurétiques et antidysentériques de l’acanthe. En plus de cela, nous voyons dans le troisième livre de la Materia medica (chapitre 17), des informations supplémentaires non dénuées d’intérêt : « emplâtrées, les racines sont convenables aux membres démis de leur place, et aux brûlures causées par le feu. Bues, elles provoquent l’urine, mais elles restreignent le corps, et sont grandement utiles aux phtisiques, aux rompus et aux spasmés ». Sur ces beaux débuts, l’on ne peut qu’être enthousiaste et attendre la suite avec impatience. Mais l’on peut regretter qu’elle ne se soit jamais véritablement produite, le Moyen-Âge restant absolument muet sur le sujet de l’acanthe thérapeutique. Au début de la période qui lui fait suite, « Matthiole s’étonnait de ce discrédit succédant à un passé si glorieux »3, et le peu qui osèrent encore en parler sous ce spectre-là, n’en dirent pas davantage sinon des âneries. A ceux-là, nous ne discernerons donc pas de feuille d’acanthe, distinction publique que, généralement, l’on accorde aux écrivains.
Très rare à l’état sauvage en France (elle se localise surtout à sa fraction méridionale : Pyrénées-Orientales, Aude, Gard, Hérault, Var, Alpes-Maritimes, Corse), elle est bien plus souvent cultivée. Donnant alors l’impression d’être taillée dans le marbre, elle ne se remarque quasiment même plus malgré sa grande envergure : en effet, au plus fort de son développement, cette plante vivace peut atteindre 150 cm de hauteur, sublimée par des feuilles dont la longueur, mesurée entre l’extrémité du limbe et celle du pétiole, peut égaler un mètre. Pour maintenir tout cela solidement au-dessus de la surface du sol, il faut bien l’arrimer sous la terre, ce à quoi s’y entend l’acanthe, forant le sol à l’aide d’une épaisse racine fibreuse. C’est donc à cette condition que peut s’ériger une tige droite, simple, ferme, qui est garnie lors de l’époque de la floraison (au plus tôt : mai/août ; au plus tard : juillet/octobre), du milieu jusqu’au sommet, d’un épi floral constitué de fleurs intérieurement blanc jaunâtre, dont la corolle tubulée et labiée s’orne extérieurement d’une teinte rougeâtre allant du rose clair au pourpre. Chaque fleur est munie d’une bractée ovale et épineuse qui la soutient. C’est la seule partie de la plante qui le soit. A tout cela succède une période de fructification qui fait ressembler la hampe de l’acanthe à celle de la jacinthe, quand on lui laisse le temps de parvenir jusqu’à cette étape ultime où elle est capable de fabriquer des graines. Tout au long de la tige de l’acanthe, l’on voit un chapelet de fruits capsulaires formés de deux loges contenant chacune une semence réniforme de couleur rousse. Et durant tout ce temps, les feuilles n’ont pas cessé d’orner à profusion la base de la plante. Très amples, elles sont formées chacune de plusieurs lobes dentés mais non épineux, mous tout au contraire, d’où l’adjectif mollis associé au nom latin de l’acanthe. Vert foncé, lisses et brillantes au-dessus, l’on peut voir, si l’on soulève un peu l’exubérante masse foliaire de l’acanthe, que ses feuilles embrassent la partie inférieure du pétiole, ce qui fait que les eaux de pluie empruntent cette canule pour se diriger au cœur même de la plante.
L’acanthe est une plante typique des zones mésoxérophiles telles qu’on peut en voir, outre en France, dans tous ces pays baignés par la mer Méditerranée (Espagne, Italie, Grèce). Cela correspond donc à une exposition sur terres légères, rocailleuses et chaudes, mais suffisamment profondes pour pourvoir la quantité satisfaisante d’humidité à la plante qui ne renonce pas à quelque fraîcheur échappée des sous-sols. Là, on pourra éventuellement rencontrer l’acanthe en bordure de chemin, sur des terrains incultes et broussailleux, à basse altitude (300 m et moins).

L’acanthe en phytothérapie
Que vous dire qui n’ait jamais été dit au sujet de l’acanthe thérapeutique ? Aussi bien certains phytothérapeutes réservèrent l’épinard aux fourneaux de la cuisine, presque aussi exclusivement vîmes-nous l’acanthe se cantonner au seul domaine, certes flamboyant, de l’architecture. L’on pourrait interchanger ces deux plantes, faire de la feuille d’épinard le modèle d’un nouveau motif végétal applicable à je ne sais quelle colonne, et envisager, comme cela se fit en quelques endroits de Grèce et de la péninsule arabique, de vouer l’acanthe à une carrière alimentaire, ses jeunes feuilles crues étant, dit-on, comestibles. Mais ainsi ne sont pas les choses. En revanche, que reste-t-il de ces deux plantes dès lors qu’il s’agit de les convoquer au chevet du malade, à l’officine de l’apothicaire, au cabinet du maître-mire ? Eh bien, l’épinard s’y débrouille alors que l’acanthe bricole dans son coin, et encore sous étroite surveillance : en effet, ayant argué du fait que sa racine s’emploie à la manière de celle de la grande consoude, que ses propriétés s’apparentent à celles de la mauve et de la guimauve, l’on n’est pas allé plus avant, préférant opter pour la matière médicale immédiatement disponible. Et cela, l’acanthe l’est à grand-peine en France, sauf en quelques points méridionaux où il est préférable de l’abandonner à un rôle ornemental qu’elle joue, ma foi, à merveille. En envisager la culture est tout à fait possible, mais il est important de savoir que sa « domestication » donne paradoxalement lieu à des phénomènes végétatifs pour le moins « anarchiques » : avec l’acanthe, la rotation des cultures est rendue plus difficile du fait que ses tubercules souterrains peuvent subsister pendant des décennies sur le même terrain et former, à l’instar de la renouée du Japon, des colonies denses et durablement gênantes.
Bref, tout cela pour dire que cette plante éclatante ne brille pas par l’étendue des substances biochimiques qu’on est allé rechercher dans ses tissus. Que ressort-il donc des quelques vieilles études qui ont été consacrées à l’acanthe ? Eh bien, peu de choses en stricte réalité : du tanin, du mucilage, des sucres (dont du glucose), des substances de nature pectique. Bien qu’on ait un peu cherché dans les feuilles, les racines, la moelle contenue dans les pétioles et jusque dans les fleurs à odeur fort désagréable, l’on n’y a rien découvert d’un peu palpitant, et c’est bien dommage. Mais cela ne va pas nous empêcher de dérouler notre propos jusqu’au bout.
Propriétés thérapeutiques
- Émolliente
- Cicatrisante, vulnéraire
- Astringente, détersive
- Digestive
- Diurétique (?)
- Antispasmodique (?)
- Tonique musculo-ligamentaire
Usages thérapeutiques
- Troubles de la sphère respiratoire : catarrhe bronchique, hémoptysie
- Troubles de la sphère gastro-intestinale : inflammation des muqueuses de l’appareil digestif, irritation d’entrailles, phlegmasie viscérale, dysenterie
- Troubles de la sphère vésico-rénale : inflammation des muqueuses de l’appareil urinaire, ardeur d’urine, ténesme
- Troubles locomoteurs : luxation, entorse, traumatisme articulaire
- Affections cutanées : brûlure, morsure et piqûre (scorpion, serpent, tarentule), dartre et autres affections cutanées accompagnées d’ardeur et de prurit
- Hémorroïdes
Modes d’emploi
- Infusion de feuilles.
- Décoction de feuilles pour usage externe (lavement, fomentation).
- Extrait fluide.
- Suc frais.
- Cataplasme de feuilles ou de racine fraîche.
Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations
- Récolte : les fleurs peuvent être cueillies dès leur apparition et durant tous le temps que se poursuit leur floraison, autrement dit du printemps à l’été. Les feuilles se récoltent avant même qu’elles ne deviennent ligneuses, c’est-à-dire au tout début de l’été. Enfin, l’on extrait du sol les racines à l’automne.
- Séchage : celui des feuilles est possible à la condition de le réaliser dans un local sec et aéré, placé à l’ombre.
- Autre espèce : nous ne nous étalerons pas sur les trente et quelques espèces d’acanthes, mais signalerons simplement l’existence de cette autre acanthe, dont on parle souvent dès lors qu’on aborde l’acanthe dite molle, à savoir l’acanthe épineuse (Acanthus spinosus), dont la hampe florale reste morphologiquement proche de celle de sa consœur. Elle s’en distingue cependant nettement par ses feuilles dont le dessin ne se retrouve effectivement pas au sommet des colonnes de style corinthien.
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- Claudine Brelet, Médecines du monde, p. 161.
- Jean Chevalier & Alain Gheerbrant, Dictionnaire des symboles, p. 6.
- Paul-Victor Fournier, Dictionnaire des plantes médicinales et vénéneuses de France, p. 31.
© Books of Dante – 2021
