La couronne : ses fonctions, ses symboles

Vitrail de la cathédrale de Strasbourg, vers 1200. Musée de l’œuvre Notre-Dame.

Il y a quelques jours, l’Épiphanie nous a rappelé qu’il appartient au « hasard » de désigner une reine ou un roi de pacotille, qu’à l’occasion l’on coiffe d’une couronne de circonstance, colifichet de papier doré qui est bien loin d’incarner et de justement représenter les hautes valeurs spirituelles que les hommes accordèrent à la couronne en général, véhiculant de puissantes symboliques telles que l’élévation, l’illumination, le pouvoir, la lumière, l’honneur, la grandeur, la victoire ou encore la joie. Comme nous le verrons, le port de la couronne comme simple parure n’est pas, partout et de tout temps, accepté, son usage répondant à une codification rigoureuse. Mais, avant d’entrer dans le détail, tentons de répondre à cette première interrogation : quelles sont les principales fonctions de la couronne ?

Tout d’abord, considérons-en bien l’emplacement. Coiffant la cime du corps, elle place donc en exergue le caput, c’est-à-dire la tête, autrement dit le chef. Par cette position même, la signification sur-éminente de la couronne réside en ceci : c’est un instrument par lequel on capture les émanations provenant de la sphère céleste. Elle signale donc la spiritualité, le don et l’autorité acquise de droit divin. Certains auteurs antiques se sont posés la question de savoir depuis quand l’on considérait ainsi les choses. Répondons-leur grâce à ces quelques phrases d’Angelo de Gubernatis : « L’usage des couronnes est aussi ancien que le premier mythe solaire. Dès que le soleil apparut comme une tête de prince couronné, comme un dieu coiffé de l’auréole, la couronne devint l’attribut de tous les dieux » (1).

Le Printemps, Sandro Botticelli, 1482. A droite, nous voyons la déesse Flore, portant couronne et robe fleurie.

Le latin corona colle très près de son équivalent français, puisqu’il ne signifie pas moins que couronne et guirlande, dont la forme circulaire renvoie effectivement à l’astre diurne. Son infinie perfection est représentée figurativement à travers la forme qu’on a fait adopter à la couronne, ceinturant très adroitement la tête, et plus précisément ce chakra sommital, qu’à bon droit l’on désigne par l’expression « chakra de la couronne ». A ce titre, peut-on considérer la couronne comme un condensateur fluidique ? En tous les cas, « elle unit dans le couronné ce qui est au-dessous de lui et ce qui est au-dessus, mais en marquant les limites qui, en tout autres que lui, séparent le terrestre du céleste, l’humain du divin » (2). C’est pourquoi l’usurpation de couronne est aussi grave que celle d’identité. Étant un symbole de la lumière intérieure, témoin du degré d’élévation spirituelle le plus élevé, la couronne irradiante (comme celle des saints, par exemple), « qui éclaire l’âme de celui qui a triomphé dans un combat spirituel » (3), ne peut effectivement pas être substituée, sans quoi cela se verrait. Si l’on considère que la couronne de l’initié, de provenance céleste, est issue de l’Arbre de Vie du Paradis (selon certaines traditions), l’on peut comprendre en quoi cela ne collerait pas si jamais l’imméritant s’arrogeait par force ou par fourberie une couronne qui ne lui est pas destinée, coutume, hélas, de plus en plus répandue en ces dernières décennies où règne la médiocratie…

Quand la Ruse couronne la Sottise, le pire est à craindre… Le Roman de Renard, illustration de Simonne Baudoin, Casterman, 1957.

Enfin, venons-en maintenant à la troisième grande fonction de la couronne. Étymologiquement, le mot couronne s’adresse à des verbes comme tourner et courber, sans doute pour bien rappeler qu’il y a de la rondeur dans la couronne, et qu’elle désigne, dans un sens plus large, l’assemblée et la réunion. Ainsi, celui qui porte couronne réunit-il des adeptes et se positionne-t-il comme un symbole d’identification. Dans ce cadre, la couronne rapproche qui la porte de la divinité qu’elle consacre. Leur composition était fort variable selon les divinités dont il était question. Ces antiques couronnes, de facture fort simple, étaient confectionnées dans un ou plusieurs motifs végétaux (feuilles, fruits, fleurs) qui disent quelque chose de qui les portent et l’occasion de se prêter à un tel rite. Voici une petite liste de plantes (en relation avec une divinité et diverses fonctions) que l’on employait pour en confectionner des couronnes :

  • Le laurier d’Apollon, comme protection contre la foudre et le tonnerre.
  • Le dictame de Lucine : l’on place en relation cette déesse invoquée lors des accouchements avec une plante à réputation obstétricale durant l’Antiquité.
  • L’olivier d’Athéna et d’Eiréné pour figurer la paix.
  • Le figuier de Chronos : des couronnes de rameaux de figuier étaient accrochées aux mêmes arbres afin d’assurer le complet mûrissement de leurs fruits.

Certains végétaux s’expliquent aussi « selon l’épisode mythologique auquel ils font référence » (4) et qui ne sont pas forcément évoqués dès lors qu’apparaissent ces symboles végétaux dans les textes antiques et dont la matière « révèle en même temps quelles forces supra-terrestres ont été captées et utilisées pour réussir l’exploit récompensé » (5). Voici donc quelques autres de ces insignes végétaux dont on élaborait des couronnes :

  • La vigne (Dionysos, Bacchus, Silène, Rhéa)
  • Le myrte (Aphrodite, Vénus)
  • Le chêne (Zeus, Rhéa)
  • Le peuplier blanc (Héraclès)
  • Les épis de blé (Déméter, Cérès)
  • L’asphodèle (Perséphone, Artémis, Sémélé, Dionysos)
  • Le narcisse (Perséphone)
  • Le dattier du désert (Isis)

Note : il n’est pas rare qu’à une divinité donnée corresponde plus d’un végétal. Par exemple, dans le cas de Déméter, on lui associe également le pavot et le narcisse (parce que funéraires et chthoniens), à Héraclès, la jusquiame, plante qui rend fou et stupide, pour rappeler le meurtre de ses enfants que le héros commît sous l’emprise de la folie instillée dans son esprit par la déesse Héra, enfin, à Dionysos, la rose (lors des banquets, il était de coutume de se coiffer de couronnes de roses parce que cette fleur avait, pensait-on, le pouvoir d’effacer les effets de l’ivresse).

Parfois, l’on établissait un lien entre une plante et une fonction, sans l’expliquer par l’intercession d’une quelconque divinité. C’est, par exemple, le cas du lierre et du raifort, dont les couronnes permettaient d’identifier les sorcières par l’intermédiaire d’un don de double vue, véritable capacité divinatoire. Il n’est pas surprenant de placer, à proximité du siège de la pensée, une plante dont les émanations vont avoir des effets bénéfiques sur le cerveau. Dans cette perspective, l’on comprend mieux pourquoi la devineresse de Delphes, la célèbre Pythie, se ceignait le front d’une couronne de feuilles de laurier qui participait ainsi de l’oracle.

Reine ou sorcière ? Erlé Ferronnière, Halloween, éditions Avis de tempête, 1998.

Alors que la couronne de cinnamome apportait la paix, celle d’amarante protégeait son porteur des médisances dont il pouvait être l’objet, en particulier les poètes. Enfin, la civica corona (c’est-à-dire la couronne civique, en rameaux de chêne), était attribuée à toute personne ayant sauvé la vie d’un citoyen.

D’informations que l’on peut glaner çà et là, il ressort que bien des domaines étaient concernés par le port des couronnes. Recensons-en quelques-uns.

  • Les couronnes militaires : elles faisaient office de médaille (ou presque). On en distinguait de plusieurs espèces qui récompensaient différents actes de bravoure : la muralis corona (offerte au premier qui pénètre dans une ville assiégée), la castrensis corona (au premier qui pénètre dans le camp ennemi), la rostrata corona (à celui qui aborde le premier un navire ennemi), l’obsidionalis corona (décernée lors de la délivrance d’une ville assiégée), la triomphalis corona (qui consacrait les généraux victorieux), etc.
  • La victoire ne concerne pas que le domaine guerrier. Ainsi voit-on les couronnes être attribuées aux conquérants des jeux sportifs (une couronne d’olivier était remise aux vainqueurs des jeux d’Olympie, une autre en palmier aux Apollonies), mais également lors des concours de poésie. La couronne comme prix de la victoire pose cependant question, sachant que si le prix est ce que l’on reçoit, c’est également ce qui nous coûte…
  • Les funérailles et les repas funèbres : des couronnes – parfois de cyprès – ornaient le front des convives. L’on prenait soin de couronner aussi bien le défunt que ses parents.
  • Les rites nuptiaux et les mariages : lors du mariage d’Hélène avec Ménélas, celle-ci portait une couronne de lotus. Mais bien d’autres végétaux participaient à ces événements : l’oranger, la menthe, la marjolaine, le myrte ou encore le gattilier, dont les couronnes étaient offertes aux jeunes couples mariés, afin qu’elles leur assurent fidélité (le gattilier est placé sous la houlette de la déesse Héra, patronne du mariage et des liens fidèles entre époux).
  • Les cérémonies religieuses et les processions rituelles. Dans la première perspective, il n’était pas rare, en l’honneur de la divinité pour laquelle on ordonnait un sacrifice, que les sacrificateurs soient couronnés, de même que leurs victimes. Dans le second cas, l’on a vu, dans bien des pays (Inde, Grèce, Allemagne, pays slaves, etc.), en bien des époques, processionner des jeunes filles parées de couronnes ou de guirlandes, ce qui semble, dans la plupart des cas, procéder d’une volonté de rendre hommage à l’annuel retour de la fécondité, en particulier lorsque ces manifestations propitiatoires ont lieu aux premières amorces printanières. A l’humble niveau qu’occupe l’être humain, cela apparaît comme la réitération de l’apparition terrestre de ces couronnes tombées des cieux, semences divines qui n’ont pas d’autre but que d’accorder à l’Univers toute la vigueur nécessaire. L’on retrouve l’idée de nuptialité, consacrée par une couronne végétale adaptée, lorsque la jeune fille se lie à son futur mari. La couronne qu’on lui voit alors porter, possède à peu près le même sens que les anneaux, c’est-à-dire celui du lien librement consenti, qui est alors une acceptation, non pas une contrainte.

Bien au-delà de ces origines illustres, la couronne «  a figuré avec des matériaux divers [NdA : en or solaire et masculin, en argent lunaire et féminin, etc.] au front ou à la main […] des génies, des savants, des poètes, des allégories » (6) représentant bon nombre d’aspects que nous avons déjà abordés ci-dessus. Aujourd’hui, la couronne factice, posée de traviole sur la tête d’une quelconque miss rappelle à quel point l’humanité est tombée bien bas, bien éloignée des enseignements bibliques : « Sois fidèle jusqu’à la mort, et je te donnerai la couronne de vie » (7), c’est-à-dire l’immortalité. Quel dommage que beaucoup lui préfèrent le caractère éphémère de la petite gloriole sans foi ni loi.

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  1. Angelo de Gubernatis, La mythologie des plantes, Tome 1, p. 103.
  2. Jean Chevalier & Alain Gheerbrant, Dictionnaire des symboles, p. 303.
  3. Ibidem, p. 304.
  4. Guy Ducourthial, Petite flore mythologique, p. 53.
  5. Jean Chevalier & Alain Gheerbrant, Dictionnaire des symboles, p. 304.
  6. Ibidem, p. 306.
  7. Apocalypse, II, 10.

© Books of Dante – 2021

Annonciation, Hans Süss von Kulmbach (1480-1522).