Le calament officinal (Calamintha officinalis)

Synonymes : baume sauvage, menthe de montagne, calament de montagne, pouliot de montagne, fausse marjolaine, menthe de Charlemagne, millespèle.

Rien de plus curieux que cette plante que l’on a connectée, pour une raison ou pour une autre, à pas moins d’une demi-douzaine d’autres lamiacées, sans omettre de signaler qu’elle a aussi été rapprochée de la mélisse, du népéta (ou cataire) et de la sarriette ! Elle est de ces plantes dont on fait un succédané de celles dont on s’est inspirées pour qualifier les calaments en général, ce qui fait que dans beaucoup d’endroits l’on ne trouve que quelques lignes dédiées à l’une ou l’autre de ces plantes, s’inspirant, à chaque fois du même schéma, concernant les propriétés et usages : « Les mêmes que la mélisse » (Reclu) ; « Très voisin de la menthe par son odeur, sa saveur et ses propriétés » (Leclerc) ; « Plante […] dont les propriétés sont très voisines de celles de la mélisse et des diverses menthes » (Botan), etc. Enfin… Associer le calament à la mélisse, voire au basilic, passe encore, mais au thym !, alors qu’il saute aux yeux (et aussi au nez), qu’il est plus proche encore de la menthe, comme le montre bien davantage son nom latin calamintha, autant que son équivalent en français vernaculaire. Calamintha est un terme que l’on décompose généralement par deux racines grecques, kala, qui veut dire « belle », « excellente », et mintha, la menthe, donc. Le calament serait donc la belle menthe. Une autre explication, écartant l’idée même de beauté, y verrait davantage non pas kala mais kalamos, signifiant « tige ». Ainsi, le calament serait une plante aux mêmes tiges que la menthe. Ce qui n’est pas bien glorieux, ni trop original. En réalité, le mot kalaminthê, outre qu’on ne sache pas trop ce qu’il veut dire, est également un nom fourre-tout qui « offre un nouvel exemple de la fâcheuse habitude qu’avaient les Grecs comme les Romains d’employer plusieurs mots pour nommer le même végétal, mais aussi de n’en utiliser qu’un seul pour désigner plusieurs plantes «  (1). Malgré cette antique cacophonie qui a fait entendre ses inharmonieuses discordances jusqu’à nous, l’on sait du moins qu’autrefois la kalaminthê était perçue comme un végétal au parfum de menthe, mais dont l’étymologie reste discutée. Et encore, cela ne concerne-t-il que quelques espèces de calaments : le clinopode (Calamintha clinopodium) est à peu près inodore et l’acinos (Calamintha acinos) se trouve être dans les mêmes dispositions (chez ce dernier, c’est très variable : soit il ne sent absolument rien, soit il exhale une franche odeur de menthe, sans qu’on comprenne bien ce qui peut être à l’origine d’une telle disparité). Et là où ça se complique pour notre affaire, c’est lorsque l’on apprend que le calament était un simple fort réputé non seulement durant l’Antiquité gréco-romaine, mais aussi pendant une bonne partie du Moyen-Âge. « Tu sens la calamenthe », disait Aristophane dans l’une de ses pièces. Pour nous ça sent plutôt le roussi, parce qu’il ne faut pas se contenter d’ouvrir un vieux bouquin et d’y rechercher le mot calament dans l’index si jamais il en est pourvu d’un, puisqu’il n’est en rien obligatoire qu’au mot calament écrit dans tel ou tel ouvrage antique ou médiéval, fasse écho l’image exacte répondant, aujourd’hui, au nom de calament, c’est-à-dire les plantes que le latin a estampillées Calamintha et dont nous abordons quelques spécimens ici-même. Par exemple, la calamintha de l’Herbarius du pseudo-Apulée est-elle de même nature que la kalaminthê abordée par quelques anciens opuscules astrologiques ? Au sein de cette ambiance nébuleuse, une chose est certaine : d’Hippocrate aux auteurs de l’Antiquité tardive, qu’ils soirent latins ou grecs, l’on croise ce terme, calamintha. Mais, piochés ici ou là, se valent-ils tous ? Rien n’est moins certain. Peu prolixes à son sujet, les traités hippocratiques ont au moins le mérite de porter à la face du monde une plante du nom de kalaminthê (à défaut d’y voir assurément le calament). Puis vient Dioscoride qui regroupe au sein d’un même paragraphe (Materia medica, Livre III, chapitre 34) la description de trois plantes au goût brûlant et âcre que cet auteur rassemble pour d’évidentes raisons thérapeutiques, bien qu’on puisse douter de la filiation botanique existant de l’un aux autres. Du moins peut-on dire que, selon Dioscoride, ces plantes sont profitables aux déchirures musculaires, aux meurtrissures, ainsi qu’aux spasmes. On leur accorde des vertus diurétique et stomachique (colique, vomissement). Elles endiguent, pense-t-on, les frissons et les tremblements qui viennent au commencement des fièvres. A cela, Pline n’en dit pas davantage au contraire de Galien qui s’avère plus détaillé encore (bien qu’il reprenne largement Dioscoride dans le texte). Pour lui, la kalaminthê est une « sorte de menthe sauvage, sans odeur, plus chaude et plus efficace que la menthe ». Il conseillait cependant de ne pas procéder par applications cutanées, cette plante étant censée provoquer des irritations et des brûlures de la peau (!), « mais il en prescrit néanmoins l’emploi pour soigner, par exemple, la goutte sciatique, provoquer la transpiration dans les cas de fièvre périodique, faire venir les menstrues, bien qu’elle puisse causer l’expulsion du fœtus après l’avoir détruit, évacuer les sérosités dans les cas d’éléphantiasis, soulager les asthmatiques, purger dans les cas d’ictères provoqués par un engorgement du foie, traiter les morsures d’animaux venimeux et tuer les vers qui se sont logés dans les intestins ou les oreilles » (2). Après Galien, rien de plus que cela ne sera ajouté au portrait thérapeutique de la kalaminthê. Du moins lors de cette Antiquité dite tardive (V-VII ème siècles après J.-C.). Cependant, en parallèle, on voit certains astrologiques férus de botanique se pencher sur le cas de cette mystérieuse plante, dont un opuscule au moins, rédigé en grec, lui accorde, sans qu’on nous explique ni pourquoi ni comment, une correspondance de cette plante avec le signe zodiacal de la Vierge. Que l’on nous dise que la kalaminthê « possède une très grande force », ce qui la rend « digne d’admiration », ne saurait nous faire oublier que ce traité astrologique ne dit rien ou pas grand-chose des usages thérapeutiques de cette plante, ce qui pourrait être la preuve, au cas contraire, que l’astrologie s’est bien préoccupée de prendre en compte les mélothésies planétaires. Or, ce n’est pas le cas. Dire uniquement que la kalaminthê est efficace contre les inflammations cutanées, les brûlures et les maux de tête, ne permet en aucune manière de tirer des plans sur la comète. « Il est en revanche possible que le choix des astrologues ait été guidé par des considérations sur certaines propriétés de la kalaminthê, en rapport avec la conception de parthenos, comme la pureté, la chasteté et la stérilité » (3), parthenos faisant bien évidemment référence à la virginité, et, par extension, au signe de la Vierge. Si cette kalaminthê est bien la même que ceux dont parlent la plupart des thérapeutes de l’Antiquité, alors il est possible de répondre à cette question. Concernant la pureté, souvenons-nous que la kalaminthê semble jouir de propriétés détersives particulièrement appuyées ; même sa vertu cicatrisante appelle à la purification (sans asepsie, la cicatrisation est beaucoup plus difficile). Ensuite, si l’on décortique dans le menu ce que nous mentionnent Galien, Dioscoride et consorts, il apparaît que cette kalaminthê (du moins, l’idée que l’on s’en fait) s’avère être une plante qui débarrasse l’organisme de ce qui le souille, c’est-à-dire la sueur, les sérosités, la bile, le sang des règles, les parasites intestinaux et auriculaires ; c’est à travers cela, entre autres, que la kalaminthê serait parthenos, et donc digne d’être placée sous la houlette du signe de la Vierge, et plus encore quand on sait que cette plante peut vaincre le venin des serpents, et que, répandue sur le sol, elle peut les faire fuir, ce qui nous fait parvenir au dernier point, celui consacré à la chasteté, le serpent étant une image phallique évidente. De plus, d’après Pline, la kalaminthê s’opposerait à la venue des rêves érotiques, et passerait pour possiblement anaphrodisiaque (à la manière des menthes durant l’Antiquité, avec lesquelles la kalaminthê partage bien plus qu’un point commun). Enfin, dernier point, la stérilité. « Cette dernière propriété est à rapprocher d’un des attributs du signe de la Vierge, qui, selon Vetius Valens, est ‘un signe double, stérile, affranchi, impropre à toute génération’. Enfin, le mot kala-minthê ne pouvait manquer d’évoquer aussi chez les Grecs le mythe de la nymphe Minthê vouée à une chasteté et à une stérilité éternelle » (4). Au sujet de cette figure mythologique, veuillez vous en référer à l’article portant sur les menthes en général.

Le calament officinal est une plante vivace aux racines rampantes et ligneuses qui s’érige, à l’aide de tiges rameuses, à pas loin de 50 cm de hauteur au grand maximum. Les feuilles, opposées, comme c’est typiquement le cas chez les Lamiacées, sont brièvement attachées aux tiges par de courts pétioles. Plus ou moins ovales, irrégulièrement dentées en scie, elles présentent la particularité d’être perforées comme celles du millepertuis. Vert foncé au-dessus, ces feuilles sont pour la plupart vert grisâtre sur leur face inférieure, ce qui, avec le caractère velu du calament, donne à cette plante une allure quelque peu poussiéreuse. Les fleurs, venant tardivement au mois de juillet, étalent leur floraison aux derniers mois de l’été, mais également aux toutes premières semaines de l’automne : j’ai cueilli du calament officinal en fleurs pas plus tard qu’il y a deux mois. Violettes, purpurines ou rose pâle, ces fleurs pédonculés et axillaires, de 2 cm de long, possèdent une « corolle dont le tube dépasse largement le calice, à lèvre supérieure échancrée et plus large que les trois divisions de la lèvre inférieure » (5).

Occupant une très large répartition, le calament officinal peuple une bonne partie de l’Europe (en sa partie sud surtout), de l’Asie occidentale et de l’Afrique du Nord. Dans toutes ces zones, elle fréquente surtout les sols essentiellement calcaires, formant ces lieux secs, rocailleux et montueux, les bordures de chemins, les lisières de forêts (sans jamais pénétrer à l’intérieur, sauf s’il s’agit de bois clairs et aérés), les zones buissonneuses et pâturées.

Le calament officinal en phytothérapie

Déposer comme ça, à brûle-pourpoint, que l’aromatique calament s’approche de la menthe par son parfum, c’est un peu court, c’est un peu bref, et ça ne prend pas. Son parfum, très agréable, est constitué d’une douceur balsamique pénétrante qui rappelle effectivement la menthe. Mais laquelle ? Le calament n’a pas les accents mentholés, forts et enivrants, de la menthe des champs, non plus que de la menthe poivrée. Il n’a rien de citronné comme la mélisse ou encore la menthe bergamote. L’on sent bien une menthe quand on froisse les feuilles du calament, peut-être une menthe verte, voire une menthe pouliot, en tous les cas quelque chose d’assez lourd et de robuste, contenant très probablement quelques cétones (à la matière de Calamintha incana, autre calament dont l’huile essentielle affiche entre autres choses de la pipéritone à l’analyse). Quelques informations, bien maigres, semblent avancer la présence de pulégone (molécule qui doit son nom au pouliot) au sein de l’huile essentielle de calament officinal que cette plante n’offre qu’en de toutes petites quantités (0,35 %). Cette dernière est peut-être comparable à la composition de l’huile essentielle de Calamintha pamphylia, contenant majoritairement de la pulégone (36 à 38 %) et de l’acétate de menthyle (10 à 28 %). Nous n’en sommes pas loin : le principal constituant biochimique de l’huile essentielle de calament officinal, c’est, non pas la pulégone, mais la carvone, plus exactement la même que l’on trouve en masse dans l’huile essentielle de menthe verte, c’est-à-dire la L-carvone. Il n’est donc pas totalement faux de dire que le calament officinal rappelle le parfum de la menthe. Ces quelques données demeurent du domaine de l’anecdote, puisque l’huile essentielle de calament officinal est quasi introuvable. Nous nous contenterons donc des feuilles et des fleurs, soit des sommités fleuries, et ce sera déjà pas mal vu les propriétés que cette belle plante oubliée sait prodiguer.

Propriétés thérapeutiques

  • Stimulant énergique, tonique, excitant
  • Digestif, stomachique, carminatif, vermifuge (?)
  • Expectorant, anticatarrhal
  • Sudorifique, fébrifuge
  • Antispasmodique
  • Vulnéraire
  • Emménagogue (?)
  • Astringent léger

Usages thérapeutiques

  • Troubles de la sphère gastro-intestinale : indigestion, atonie digestive, ensommeillement après repas, spasmes intestinaux, douleur gastrique, aérophagie, flatulence
  • Troubles de la sphère pulmonaire + ORL : catarrhe pulmonaire chronique, rhume, toux, infections respiratoires bénignes, asthme, « phtisie », bourdonnements d’oreilles
  • Hoquet
  • Troubles de la sphère gynécologique : aménorrhée
  • Défaillance, syncope, vertige
  • Migraine, maux de tête d’origine nerveuse

Modes d’emploi

  • Infusion de sommité fleuries sèches ou fraîches.
  • Décoction de sommités fleuries sèches ou fraîches dans du vinaigre avec adjonction de miel.
  • Décoction dans le vin blanc : « bouilli dans du vin blanc, il passait pour guérir infailliblement la mélancolie, d’où son nom populaire de ‘Wohlgemut’ (Bonne-humeur) » que lui accordèrent nos amis allemands (6), plus au fait des propriétés thérapeutiques du calament que nous autres Français.
  • Teinture alcoolique simple ou composée (= eau d’arquebusade, un vulnéraire tombé depuis longtemps en désuétude).
  • Sirop.

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • Récolte : autrefois, sans que j’en saisisse bien la raison, l’on conseillait de cueillir le calament avant le 21 août. Il est bien possible d’étendre cette activité tant que dure la floraison de cette plante. C’est ce à quoi je me suis livré la semaine du 15 octobre dans la Drôme, où j’ai croisé un petit gisement de cette plante à 800 m d’altitude.
  • Séchage : aussi simple et facile que celui de la menthe, et, de plus, excessivement rapide (dans de bonnes conditions – au sec et à l’ombre – il faut compter 4 à 5 jours). On peut pendre les rameaux sur des fils ou bien les placer bien à plat sur une claie si l’on dispose d’assez d’espace. Une fois sec, le calament se conserve parfaitement bien si on le garde de la lumière et de l’humidité. Ainsi, cela garantit tant son parfum que son utilité thérapeutique.
  • Il a été signalé la (neuro)toxicité de l’huile essentielle de calament officinal. Vu le peu que l’on sait au sujet de sa composition, l’on s’en doutait un peu, les cétones qu’elle contient pouvant amener des accidents convulsifs. On n’utilisera donc pas cette plante, même par le biais de la phytothérapie, durant la grossesse.
  • Autres espèces : – Le clinopode (Calamintha clinopodium), alias basilic sauvage, grand origan des haies ou encore « pied de lit », en raison « de ses fleurs en verticilles entassés et arrondis, imitant très bien une roulette de pied de lit » (7). – L’acinos (Calamintha acinos), petite plante maigre et annuelle, assez semblable au serpolet, très peu usité en phytothérapie. – Le calament népéta (Calamintha nepeta), à ne pas confondre avec la cataire ou herbe à chat (Nepeta cataria). – Le calament alpestre (Calamintha alpina). – Le calament à grandes fleurs (Calamintha grandiflora). Bien qu’on le dise « thé d’Aubrac », on le croise par ailleurs : je l’ai vu dans le nord de l’Isère en septembre dernier cf. photo ci-dessous).

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  1. Guy Ducourthial, Flore magique et astrologique de l’Antiquité, p. 424.
  2. Ibidem, p. 427.
  3. Ibidem.
  4. Ibidem, p. 428.
  5. François-Joseph Cazin, Traité pratique et raisonné des plantes médicinales indigènes, pp. 219-220.
  6. Paul-Victor Fournier, Dictionnaire des plantes médicinales et vénéneuses de France, p. 199.
  7. Joseph Roques, Nouveau traité des plantes usuelles, Tome 3, p. 140.

© Books of Dante – 2020

 

Calament à grandes fleurs (Calaminbtha grandiflora)