Le caféier (Coffea arabica)

Qu’on ignore ce que sont le maté, le rooibos, le kawa, passe encore, en revanche il est impossible de ne pas connaître le café tant il s’est imposé comme indispensable et incontournable depuis des siècles. Il y a jusqu’à ses contempteurs qui savent qui il est. Mais avant d’en parvenir jusque là, à faire partie du paysage comme l’un de ses plus évidents éléments, le café aura franchi bien des étapes ou, plus justement, il aura fait passer à l’homme un sale quart d’heure, parce que, en effet, la généreuse Nature ne fournit jamais le mode d’emploi, et le café n’a pas fait exception à cette règle. Comme l’usage d’une plante, tant sur le plan médicinal que gastronomique, est souvent lié à une légende, voici celle qui concerne le café : « Un couvent du Yémen possédait un troupeau de chèvres qui avaient l’habitude d’aller brouter sur les pentes des collines voisines. Kaldi, leur berger, remarqua que ses chèvres entraient dans une grande excitation chaque fois qu’elles broutaient les feuilles et les fruits du caféier. Le muphti, averti, essaya sur lui-même l’effet du breuvage obtenu par infusion de quelques fruits desséchés et se sentit envahi alors d’une merveilleuse exaltation : son esprit resta éveillé et vif, sans que son corps cède au sommeil. Tous les hommes saints du couvent, à sa suite, burent l’infusion afin de gagner sur le sommeil quelques heures de plus à consacrées à la prière et au recueillement . » Bien que yéménite, cette légende ne nous dit pas exactement d’où provient le café. Pour cela, il suffit de jeter un coup d’œil de l’autre côté de la mer Rouge : nous y voyons un pays nommé Éthiopie, dont l’une des anciennes provinces, située au sud-ouest, se nommait Kaffa, en relation évidente avec la présence de caféiers y poussant à l’état sauvage. Dans cette région, le café fut probablement un aliment avant de devenir une boisson. C’est, du moins, ce que laissait entendre Jacques Brosse dans les années 1970, remarquant que des tribus éthiopiennes en consomment « les graines bouillies, puis écrasées dans du beurre et assaisonnées de gros sel » (1). Cependant, malgré ses origines éthiopiennes, le café fut tout d’abord en usage au Yémen et en Arabie aux environs de l’an 1000, deux pays où il était également cultivé, et aujourd’hui encore une ville du Yémen reste indissociable du café : Mocha (Moka). Mais la suprématie de l’Arabie sur la question du café lui valut de longtemps en conserver le monopole, monopole dont l’origine même du mot café conserve des traces : il provient de l’arabe qahwa, emprunté plus tard par les Turcs, devenant kahvé (l’argot caoua est tout aussi dérivé de la langue arabe). Et que dire de l’adjectif latin arabica attelé au mot coffea ? Petit à petit, le café se déploie à la Perse et à l’Égypte, accompagnant les Arabes dans toutes les régions dans lesquelles ils s’installent. Dire l’importance du café dans le monde arabe est loin d’être une sinécure. Le café, symbole d’abondance et de bonheur, est vu comme une bénédiction céleste. D’ailleurs, ne dit-on pas qu’une « maison sans café est par le malheur visitée » ? La médecine arabe s’est, bien entendu, penchée sur le cas du café qu’elle considérait comme diurétique, antinévralgique et cardiotonique. C’est donc tout naturellement qu’elle l’employa contre les migraines, l’hypotension, la tendance à la somnolence, la coqueluche, l’asthme, etc.

Du Proche-Orient, le café se répandit aux ports méditerranéens de Venise et de Marseille, où une « maison de réunions », ouverte en 1654, était un lieu où l’on causait affaire tout en sirotant du café. Parallèlement, le café s’installa en Hollande et en Grande-Bretagne. Dans la seconde moitié du XVII ème siècle, on ne compte plus le nombre d’événements auxquels est lié le café. Tout d’abord, on le voit être servi à la cour du roi Louis XIV en 1664, c’est la première fois que l’on boit du café à Versailles, mais il reste peu apprécié du souverain en raison de son amertume. En 1672, la grande foire parisienne de Saint-Germain vit s’installer un Arménien qui ne vendait pas autre chose que du café qui eut, dit-on, un grand succès, alors que dans le même temps, l’ambassadeur turc Soliman Aga fit beaucoup pour le déploiement de l’usage du café en Europe, ici par voie diplomatique, mais ailleurs de manière plus « guerrière » : c’est, soi-disant, la défaite militaire turque de 1683 lors de la bataille de Vienne qui donna naissance au fameux café viennois. Les Turcs, torréfiant le café depuis 1553 puis le broyant au mortier et au pilon, vaincus, abandonnèrent aux mains autrichiennes près de 500 sacs de grains de café. Un soldat qui s’était distingué par son héroïsme les emmena avec lui. Puis, il fonda à Vienne un établissement public dans lequel il servit du café préparé selon une autre méthode : en le filtrant et en l’accompagnant de sucre et de lait, bien loin des usages du café « à la turque », donc. Le procédé utilisé par notre soldat reconverti, dit « à la Dubelloy », est l’ancêtre de la moderne percolation, qui est une lixiviation, c’est-à-dire une infiltration de l’eau à travers le café per descensum. Ce qui était particulièrement hardi puisque tel procédé n’apparut pas en France avant le milieu du XVIII ème siècle semble-t-il. Ce n’est qu’en toute fin de XVII ème siècle, en 1686, qu’un café similaire ouvrit ses portes en France : le Procope, situé rue de l’Ancienne Comédie, dans le 6 ème arrondissement de Paris. Espace alors orné de glaces et de tables en marbre, ce café, bien qu’il ne servit encore que du café bouilli, jouit très rapidement d’une grande réputation et attira philosophes et encyclopédistes (Diderot, D’Alembert, Helvétius, Voltaire qui pouvait en boire vingt tasses par jour, etc.). Mais, déjà, le café avait ses détracteurs. Ainsi, Madame de Sévigné, dans une lettre adressée à sa fille, écrit-elle que « la force que vous croyez que le café vous donne n’est qu’un faux bien, il est à craindre que vous ne vous en aperceviez trop tard ». A l’endroit du café, on prononce même le nom de poison. « Si c’est un poison, rétorque Fontenelle qui mourut centenaire et était aussi un grand amateur de café, c’est un poison bien lent. » Buffon, consommateur invétéré de café, mourut à l’âge de 81 ans. Mais tous n’eurent pas cette chance, comme Balzac dont le décès intervint à 51 ans, alors que l’auteur de La Comédie Humaine, épuisé, avalait selon toute vraisemblance des quantités pléthoriques de café. Talleyrand, quant à lui, pèsera le pour et le contre, synthétisant en une phrase ce que l’on a pu dire du café en son temps et durant les siècles qui l’ont précédé : « noir comme le diable, chaud comme l’enfer, pur comme un ange, doux comme l’amour. » Par la suite, nombre de ces cafés ouvrirent leurs portes et jouèrent, pour certains d’entre eux, un important rôle dans la vie littéraire, mondaine et politique (par exemple, Napoléon Ier fit, lui aussi, appel au pouvoir stimulant du café).

Comme c’est le cas de toute substance rencontrant un large succès, on cherche à s’affranchir du monopole imposé par l’unique fournisseur. C’est ainsi que les Hollandais installèrent des plantations de caféiers sur l’île de Java (où il fut rapidement remplacé par le théier après qu’une maladie épidémique ait mis à mal ces caféiers javanais), puis au Suriname, où il transita par le Brésil, pays dans lequel le climat particulièrement propice lui fut profitable, ainsi que les sols tropicaux riches, humides et ombragés. Côté français, on introduisit le caféier en Martinique et sur l’île de la Réunion. Tout cela contribua à rendre le café d’autant plus populaire dès le XVIII ème siècle, bien qu’il subit, par la suite, quelques interruptions de service durant les siècles suivants : ce fut le cas lors du blocus européen de 1808-1809, de la guerre de 14-18 et de celle de 39-45. Mais en temps de disette, l’on sait faire appel aux ersatz. C’est ainsi qu’en 1808-1809, on plébiscita la chicorée torréfiée, l’orge pendant la Première Guerre mondiale et le gland de chêne durant la seconde, signe évident que les populations ayant tiré avantage de ces artifices étaient depuis bien longtemps sous le charme du café. Il en va de même du tabac et de l’alcool dont les substituts plus ou moins heureux forment une liste longue comme le bras. Tout cela est d’autant plus ironique que, « à peu près à la même époque, le Brésil brûlait ses excédents de café dans les locomotives et détruisait des milliers d’hectares de plantation pour maintenir les prix à l’exportation » (2).

Tous les chemins que nous venons de parcourir nous feraient presque oublier que le café eut également une valeur thérapeutique alors même que d’autres en firent un objet d’influence et de pouvoir, et le plus étonnant, c’est que la plupart des informations relatives aux propriétés médicinales du café sont délivrées par des personnages qui ne furent pas même médecin ou pharmacien. Par exemple, Henri Sauval (1623-1676), dans son Histoire et recherche des antiquités de la vielle de Paris, fait la description de la pharmacie des Feuillants, fondée en 1637, « et qui attirait les regards des curieux et des étrangers. Ornée d’armoires vitrées, de tiroirs, entourée de tablettes, des cariatides figuraient les séparations et supportaient l’entablement du pourtour, chargé de beaux vases et de livres de pharmacie et de médecine […] L’armoire du milieu contenait des préparations chimiques […], les autres armoires remplies de tiroirs ou de tablettes étaient abondamment pourvues ‘de caffé, de canelle, beaume, camphre, etc.’ » (3). Curieuse époque où le café prend deux « f » et la cannelle qu’un seul « n », et où il est clair que les dernières substances citées ne sont là que pour seconder les premières. Rien n’étant véritablement établi au sujet du café, le précepte post hoc ergo propter hoc semblait jouer à fond : on disait du café qu’il avait la réputation d’être le meilleur remède contre la tristesse. Aussi, plutôt que de broyer du noir, on allait s’en jeter un derrière la luette, et là, soi-disant, miracle !… A propos de broyer, Brillat-Savarin qui, un jour, connut la nuit blanche provoquée par le petit noir, disait de son esprit qu’il tournait « comme un moulin dont les rouages sont en mouvement sans avoir quelque chose à moudre » (4). Même si notre homme raconte bien quelques sottises à propos du café (il « ordonnait » le café comme remède contre l’obésité), il est clairement établi que, pour lui, le café est affaire de grandes personnes : « C’est une obligation pour tous les papas et mamans du monde d’interdire sévèrement le café à leurs enfants, s’ils ne veulent pas avoir de petites machines sèches, rabougries et vieilles à vingt ans » (5). Aujourd’hui, les enfants ne boivent pas de café, ils biberonnent du coca : voyez le résultat !

A l’état sauvage, le caféier peut facilement devenir un petit arbre d’une dizaine de mètres de hauteur. Cultivé, on restreint sa hauteur par la taille. Svelte et semper virens, à l’écorce gris pâle, le caféier porte des feuilles coriaces, ovales, lisses et luisantes. La floraison, éphémère, voit le caféier se couvrir d’une myriade de fleurs blanches au parfum de jasmin. Les fruits du caféier, des drupes brillantes tout d’abord vertes, vont jaunir et s’empourprer. A maturité, leur chair est pulpeuse et sucrée. Chacune de ces drupes contient deux graines, les fameux grains de café qui deviendront aromatiques après séchage et torréfaction.

Le caféier en phytothérapie

Tout comme le thé noir, le café tel que nous le connaissons et l’utilisons, n’est pas un produit préparé par l’industrieuse Nature, il est le fait d’une intervention humaine appelée torréfaction, terme dont la racine latine, ô combien simple, signifie « griller », « rôtir ». Les grains de café sont donc exposés à un feu direct. Lors de ce processus, plusieurs réactions chimiques se produisent, par exemple la combinaison des sucres et de l’eau forme du caramel. Après grillage, on passe par une phase de refroidissement sans quoi les grains de café poursuivraient leur cuisson. Et c’est durant ce processus réglé comme du papier à musique que de vert le grain prend une couleur blonde, brune ou noirâtre, et que les variétés donnent lieu à de multiples gammes d’arômes qui se développent durant la torréfaction, un grain de café vert étant, au départ, parfaitement inodore.
La caféine, également appelée théine, est présente dans les feuilles de thé, comme nous l’avons récemment écrit dans un précédent article, mais on en trouve aussi dans le maté, le guarana, le cacao, la noix de cola, etc. Aussi étonnant que cela puisse paraître, le taux de caféine dans le café est plus faible que dans le thé, de 0,06 à 2 % pour le premier, de 1 à 5 % pour le second (6). Outre cela, le café contient des tanins, de la vitamine E (tocophérols), des acides phénols, des stérols et plusieurs centaines de principes aromatiques dont la caféone.

Propriétés thérapeutiques

  • Excitant et stimulant de l’appareil nerveux central (s’étendant à tous les autres : circulatoire, digestif, rénal), excitant psychique
  • Vasoconstricteur central et périphérique (vaisseaux pulmonaires, rénaux, cérébraux, coronaires), antimigraineux
  • Cardiotonique
  • Digestif, cholagogue
  • Diurétique
  • Augmente les effets antalgiques de certains médicaments analgésiques
  • Renforce le tonus musculaire
  • Minimise la gueule de bois : sans être à proprement parler un antidote de l’alcool, « le café atténue les effets dépressifs de l’alcool : la séquence café/pousse-café est un moyen habile pour maintenir à l’issue d’un repas une euphorie légère, sans abattement ni torpeur » (7)

Usages thérapeutiques

  • Asthénie physique et intellectuelle, fatigue, fatigue après une maladie infectieuse
  • Hypotension, bradycardie, hypokaliémie
  • Atonie gastrique, nausée
  • Migraine

En homéopathie : on utilise le remède coffea. Il soigne un ensemble de symptômes semblables à ceux du caféisme (tachycardie, insomnie, hyperidéation) selon la fameuse loi de similitude propre à Hahnemann. Ainsi, coffea rétablit un sommeil et un rythme cardiaque normaux.

Mode d’emploi

  • Lixiviation (le mot infusion est impropre)

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • A trop haute dose et à usage quotidien, le café est susceptible d’entraîner les effets suivants : agitation, tremblement, insomnies, névralgies, tachycardie, dépression. En tout état de cause, les personnes sujettes aux troubles suivants devront l’éviter : acidité gastrique, névrose, diarrhée, hypertension, palpitation, accès de goutte, insomnie. Il faut savoir que son usage quotidien et anormalement élevé a tendance à solliciter de manière exagérée l’organisme et peut parfois mener à une dépendance dont il n’est pas toujours évident de se défaire.
  • On utilise au moins deux autres caféiers : Coffea robusta et Coffea liberica. Ils diffèrent en arômes ainsi qu’en teneur en caféine.
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    1. Jacques Brosse, La magie des plantes, p. 190.
    2. Jean-Marie Pelt, Drogues et plantes magiques, p. 80.
    3. Émile Gilbert, La pharmacie à travers les âges, p. 290.
    4. Brillat-Savarin, Physiologie du goût, p. 116.
    5. Ibidem, p. 115.
    6. Une tasse de café compte de 0,1 à 0,2 g de caféine. La caféine du café torréfié est moins virulente que celle véhiculée par une décoction de café vert moulu, « sûr garant d’insomnie et d’excitation cérébrale et nerveuse quelquefois prolongés pendant plusieurs jours après l’ingestion » (Botan, p. 47).
    7. Jean-Marie Pelt, Drogues et plantes magiques, p. 116.

© Books of Dante – 2017