L’aulne (Alnus glutinosa)

Synonymes : aune, aunet, anois, verne, vernhe, vergne, verng, berng, pearne, freann, bouleau vergne.

« D’où viennent ces noms d’Alnus et d’Aulne ? », s’interrogeait Paul-Victor Fournier dans le courant des années 1940 avant de conclure à son ignorance (1). Une soixantaine d’années plus tard, Thierry Thévenin lui répond, affirmant que ces noms ont un rapport avec les lieux de vie privilégiés de l’aulne, se situant en bordure d’eau.
Bien qu’alnus ait toute l’apparence du latin, il reste que se dissimule dans ce mot une bonne part de francique, c’est-à-dire une langue pas vraiment méridionale, et dont on retrouve entre autres la trace dans l’actuel alder anglais, de même que dans l’erle allemand. Ainsi, l’alnus ne serait donc pas complètement latin. Il est, par ailleurs, bien difficile d’asseoir avec certitude cette hypothèse, sachant que durant l’Antiquité gréco-romaine, l’aulne – de même que le petit oiseau qui niche sporadiquement dans ses branches, le tarin des aulnes – semble plutôt avoir joui du privilège de l’invisibilité, et que, globalement cet arbre était mieux connu des ennemis des Romains, à savoir les Celtes et les Germains, que par les Romains eux-mêmes, ces peuples ayant eu, semble-t-il, davantage d’influence linguistique sur cet arbre. Par exemple, la forte présence de l’aulne dans le Massif central explique le nom donné aux Arvernes, dont on connaît le très célèbre chef Vercingétorix, appartenant à l’une des nombreuses tribus peuplant la Gaule au temps de son occupation par Jules César, réparties sur un territoire s’étendant à peu près aux départements actuels du Cantal, du Puy-de-Dôme, de l’Allier et de la Haute-Loire. Du nom des Arvernes découle celui de l’Auvergne. Pourtant, cela serait inexact d’affirmer que l’aulne est resté totalement inconnu du monde gréco-romain. Par exemple, au III ème siècle après J.-C., l’érudit Serenus Sammonicus mentionne par deux fois l’aulne dans ses Préceptes médicaux. Tout d’abord dans une recette censée soigner les affections de la rate : « Le liber, arraché, sans le secours du fer, à un aune que la cognée du bûcheron n’a jamais touché, donne une boisson singulièrement efficace, mais il faut avoir soin de la faire bouillir jusqu’à ce que l’eau soit réduite au tiers » (2). Plus loin, il propose une autre recette composée de cendres d’aulne mêlées à du miel et appliquée sur les ulcères et « les plaies dont l’origine est douteuse » (3). C’est bien maigre, et cela ne peut, en aucun cas, permettre d’affirmer que les Romains avaient une parfaite connaissance des bienfaits médicinaux de cet arbre.
Du côté des Grecs, l’aulne nous fait remonter au temps du premier homme de la mythologie grecque, Phoronée, fils du dieu fleuve Inachos (ou Inachus) et de la nymphe du frêne, Mélia. Dans l’Odyssée d’Homère, ne sont-ce point des aulnes qui poussent alentour l’antre de Calypso, que Victor Bérard localise sur la pointe nord du Maroc, faisant face à l’Espagne ? Mais encore peut-on douter de cette interprétation, sans compter que la géographie de l’Antiquité gréco-romaine est un domaine pour le moins ardu, pour ne pas dire casse-tête. Robert Graves explique que le nom grec de l’aulne, clethra, provient de cleio signifiant « j’enferme », « je clos ». Pourquoi ? Par le fait que « les fourrés d’aunes enfermèrent le héros dans l’île oraculaire en poussant autour de sa tombe. Les îles oraculaires semblent avoir été originellement des îles de fleuves et non des îles océaniques » (4). En effet, je ne suis pas certain que l’aulne pourrait résister bien longtemps les pieds dans l’eau salée, et il n’est pas, à ma connaissance, une espèce halophile. C’est en tous les cas cela qui rend la suite des aventures d’Ulysse encore plus troublante, puisque, un peu plus loin, Homère explique que ce sont dans de vieux aulnes qu’Ulysse trouve le bois nécessaire à la construction du radeau qui le mènera à d’autres rivages, thématique reprise et transmise bien plus tard par Virgile, qui concevait les embarcations primordiales comme nulle autre chose que de primitifs troncs d’aulne (de même qu’en Amérique du Nord, où l’on fabriqua des canots à l’aide de troncs d’aulne que l’on évidait pour ce faire). L’aulne aide-t-il alors Ulysse dans sa quête, lui qui est d’essence aquatique (mais non marine cependant) ? C’est l’une de ses signatures, et si l’aulne est commandé par Vénus, c’est en raison de son lien très étroit entretenu avec l’élément liquide. Et il n’est qu’à considérer ses principales indications thérapeutiques (qui le rapprochent du saule blanc et de la reine-des-prés) pour mieux comprendre cette relation.
L’aulne, de même que le frêne et l’orme, est une espèce pionnière, un mot qui exprime l’idée même de faire accéder quelque chose à un état autre, nouveau (par forcément meilleur ; en tous les cas, différent). C’est une donnée importante à retenir, qui est renforcée par le fait que cet arbre est aussi un préparateur de terrain pour des essences appréciant l’humus par-dessus tout, c’est-à-dire le hêtre et le chêne. C’est pourquoi, sur sols argilo-calcaires, on favorise le reboisement à l’aide de l’aulne : c’est le cas des sols marécageux assainis, des sols à fonds mouillés, et ceux sujets à l’inondation. Mes deux dernières rencontres récentes avec l’aulne (août 2019 dans la Drôme, octobre 2019 dans l’Isère) m’ont permis de constater, de visu, que l’aulne évolue autant en bordure de petits cours d’eau, que tout autour de l’eau quasiment immobile de tranquilles étangs. Ce qui contredit clairement les observations faites par l’auteur du Roi des aulnes, un roman paru en 1970, c’est-à-dire Michel Tournier, qui écrit, dans un de ses autres ouvrages (Le Vent Paraclet, 1978) que « l’aulne est l’arbre noir et maléfique des eaux mortes, de même que le saule est l’arbre vert et bénéfiques des eaux vives » (5). Cette opposition, qu’on conforte parfois en rappelant la promiscuité entre l’aulne et cet autre arbre de Perséphone qu’est le peuplier noir, m’apparaît pour le moins hâtive, assez peu réfléchie, et surtout tout à fait stérile. C’est pourquoi il nous faut poursuivre notre analyse, et affûter nos regards de davantage d’acuité. « Il fixe efficacement les berges, les protégeant de l’érosion des crues », explique Thierry Thévenin en faveur de l’aulne (6). En contenant le lit de la rivière et la berge de l’étang, il exerce donc une action sur la terre, mais également sur l’eau. C’est pourquoi l’aulne occupe cet interstice étroit compris entre l’eau – qu’elle soit courante ou immobile – et la terre qui la borde. Il représente une limite entre le solide et le liquide, la vie et la mort, et concernant ce dernier aspect, tant la mort physique que psychique, ce qui fait de l’aulne et de son ogham Fearn (ᚃ), un arbre assez proche de l’arcane sans nom du tarot de Marseille, dans sa dimension symbolique. C’est à cette lumière – qui doit être prise nécessairement en compte – que l’on peut remettre quelque peu en question les propos suivants : « En tirage, l’aulne peut donc nous indiquer de sonder le passé et la lignée ancestrale afin de mieux vivre le présent, et peut-être se libérer de problématiques anciennes qui stagnent et se décomposent dans l’eau de notre vie » (7). La critique s’adresse principalement à l’ultime partie de cette phrase, car plus que décomposer, l’aulne « enrichit le sol en azote, grâce à l’activité de ses racines qui, par l’intermédiaire des bactéries, permettent de restituer dans le sol une partie de l’azote atmosphérique. Dans le même temps, il ‘contrôle’ cet azote sous sa forme nitrique dans l’eau de la rivière. Des mesures ont permis de mettre en évidence son rôle de régulateur des pics de pollution aux nitrates dans les eaux vives » (8). Des eaux vives ! On pourrait objecter qu’il n’en va pas de même de l’aulne qui croupit en eaux dormantes, de ces marais aux miasmes méphitiques qui exhalent dans l’air leurs maléfices : dans ce cadre-là, il n’est pas impossible qu’on ait imaginé l’ombre d’une sorcière cachée à l’abri d’un de ses troncs. Il est vrai que le très invisible et inquiétant empire des eaux véhicule des émotions parfois fort angoissantes. Ajoutons à cela une caractéristique pour le moins curieuse, qui explique davantage son accointance avec l’eau, se mesurant ainsi : il « vit » plus longtemps à l’état mort sous l’eau, qu’à l’état vif, dans l’air, sur la terre ferme. Si, au bout d’un siècle, durée de son règne terrestre, il reste à l’air, non protégé par le fin vernis de l’eau, il finit par pourrir, alors que sous l’eau, jamais. Ce qui va en sens contraire de ce que l’on pense généralement : l’eau apporte censément la pourriture et la moisissure, toutes choses qu’on s’oblige à associer à la mort, à la déliquescence charnelle. Avec l’aulne, ça n’est pas le cas : plus il reste dans l’eau longtemps, et plus il est heureux, ce qui a dû poser question auprès des populations superstitieuses et arriérées, pour qui « l’aulne des marécages évoque les plaines brumeuses et les terres mouvantes du Nord, de l’Erlkönig […] qui plane sur ces tristes contrées » (9). L’Erlkönig, autrement dit le roi des aulnes, est cette figure légendaire que Goethe place au sein d’un poème daté de 1782 et qui décrit la panique, c’est-à-dire la terreur sacrée qu’éprouve un enfant, à cheval avec son père, durant la nuit déjà fort avancée :

Qui chevauche si tard à travers la nuit et le vent ?
C’est le père avec son enfant.
Il porte l’enfant dans ses bras,
Il le tient ferme, il le réchauffe.

« Mon fils, pourquoi cette peur, pourquoi te cacher ainsi le visage ?
Père, ne vois-tu pas le roi des Aulnes,
Le roi des Aulnes, avec sa couronne et ses longs cheveux ?
– Mon fils, c’est un brouillard qui traîne. »

La suite du poème est à l’avenant et l’ambiance qu’il communique est on ne peut plus glauque. Il se conclue, au reste, par la mort de l’enfant, qui survient sans qu’on comprenne vraiment pourquoi et comment. Tout ce qu’il est permis de remarquer, c’est que le père est aveugle aux manifestations du roi des aulnes, que seul l’enfant est capable de voir ; et c’est lui seul qui périt de cette vision. Mais c’est parce qu’on pense que c’est un ogre. Or l’ogre ne s’attaque, c’est bien connu, qu’aux enfants. Ce n’est pas une fantaisie isolée. Angelo de Gubernatis apporte quelques éléments qui pourraient confirmer le rôle funéraire de l’aulne : selon le légendaire germanique, l’aulne est un arbre qui, dit-on, pleure des gouttes de sang s’il sait qu’on souhaite l’abattre. Gubernatis ajoute même qu’il a valeur anthropogonique en se basant sur une vieille légende tyrolienne dont voici la trame pour le moins bizarre : « Un garçon va se percher sur un arbre et regarde d’en haut ce que font en bas les sorcières ; elles mettent en pièce un cadavre de femme, et jettent les morceaux en l’air ; le garçon attrape une côte et la garde auprès de soi. Les sorcières comptent ensuite les morceaux ; elles trouvent qu’il en manque un et le remplacent par un morceau d’aune ; alors le mort revient à la vie » (10). Tout cela susciterait bien des pourquoi, n’est-ce pas ? Mais pas autant dès lors qu’on sait que l’aulne est arbre de résurrection du fait des spirales qu’il dessine à l’aide de ses rameaux et de ses strobiles (11).
Cette résistance de son bois à l’action de l’eau explique de façon indubitable pourquoi il fut usité comme bois de construction des ponts : tant des piles – points d’appui – que des tabliers – enjambements et moyens de conduite. Le pont, comme liaison d’une berge à l’autre, se devait d’être solide et stable pour assurer la circulation sereine des biens, des personnes, des idées, de part et d’autre. Il a aussi participé à l’édification d’embarcadères, et des anciens ponts londoniens et vénitiens ; le Rialto, à Venise, est l’un d’entre eux. Mais, on le sait, le bois d’aulne résiste et persévère. Pour montrer, une fois de plus, que l’aulne n’est pas qu’immobilisme, mais aussi arbre de passage et de transport, mentionnons le fait que l’aulne servit à la fabrication de tonneaux et de conduites d’eau, et que sans jamais les concevoir, il soutient les chaussées, comme le mentionne l’architecte romain du Ier siècle avant J.-C., Vitruve, qui révèle dans son traité d’architecture, « qu’on se servait d’aunes pour établir les fondations des chaussées » (12). S’il n’est plus lui-même le lieu de passage, le moyen qui conduit, il en est aussi le support, ce qui lui confère son rôle immobile en bien des situations, à commencer par les pilotis des maisons constituant les antiques cités lacustres, lieux de vie de même que certaines villes hollandaises, ainsi que Venise, qui reposent essentiellement sur des milliers de troncs d’aulnes sous-marins. Cette pratique architecturale était déjà connue du temps de Pline qui fit la remarque que ces troncs étaient d’une éternelle durée ; sans aller jusque là, la conservation sub-aquatique des troncs d’aulnes était assurée pendant plusieurs siècles. On l’a même vu être appliquée à la fondation des cathédrales médiévales, autres lieux de transport où, paradoxalement, l’on est bien installé sur sa chaise ou son banc. Et, au reste, ce n’est pas sans hasard qu’à Phoronée, héros oraculaire incarnant l’esprit de l’aulne, sont attachées ces idées de début et de fin, puisque la mythologie explique qu’il est considéré comme le premier roi mortel d’Argos.
C’est tout cela qui explique que l’aulne est sacré. Au reste, en Irlande, porter la hache ou n’importe quel autre fer sur l’un de ces arbres devait avoir pour conséquence obligatoire de voir l’habitation du fautif être passée par les flammes d’un incendie ravageur. Et c’est là qu’on voit transparaître sa relation au feu : malgré son immense rapport à l’eau, l’aulne est aussi un arbre de feu que l’on « devrait […] multiplier dans les marais fangeux, qu’il dessèche et assainit » à la manière de l’eucalyptus (13). De même, il chasse la fièvre (qui est un feu), éloigne différentes inflammations ; en tant que sudorifique, l’écorce d’aulne surtout, provoque d’abondantes sudations ; à ce titre-là, l’on peut dire de l’aulne qu’il extirpe, énergiquement, cet excédent d’eau qui croupit, le changeant en transpiration ou en subtile vapeur, parce qu’« il est l’arbre du feu, du pouvoir du feu de libérer la terre de l’eau » (14). Ce qui ajoute encore à la valeur ignée de l’aulne, qui peut aussi tenir en ceci : si l’on considère le mois de l’aulne, qui s’étend du 18 mars au 14 avril, et que l’on superpose le calendrier celtique au zodiaque, l’on se rend compte que le mois de l’aulne correspond presque parfaitement au signe du Bélier, qui, non seulement est un signe de Feu, mais, de plus, entame la roue astrologique, le Bélier étant, comme l’on sait, en tête du zodiaque. Ce même Bélier, gouverné par la flamboyante planète Mars, pourrait-il trouver son équivalent végétal dans l’aulne ? C’est ce que l’on peut imaginer si l’on prend en compte un vers du Cad Goddeu (Le combat des arbres), dans lequel il est dit que lorsque « l’aulne se jette dans la bagarre, il est au premier rang ».
Par le biais de son histoire, bien plus ancienne qu’il n’y paraît au premier coup d’œil, l’aulne donne le vertige, et le frisson aussi : prenant place au sein de l’alphabet oghamique, il est représenté, comme nous l’avons dit, par le glyphe ᚃ, auquel on a donné le nom de Fearn, un mot dans lequel le f se prononce v, ce qui permet de mieux comprendre les noms vernaculaires de l’aulne que sont verne, vergne, etc. Fearn, dont la puissance dans les actions magiques n’est plus à redire, fait de l’aulne un arbre respectable et craint. Et, en définitive, comme bien des arbres, l’aulne draine derrière lui une mauvaise réputation  : c’est ce que l’on dirait, faisant craindre la nuit et les mystérieuses forces qui s’y agitent. Mais la peur, irrationnelle pulsion, peut faire oublier que « l’aulne, axe reliant les morts et les vivants, est un porteur de connaissance : il est dépositaire du savoir des défunts et de la somme de toutes leurs expériences » (15). C’est donc un arbre qui a toute sa place, contrairement à ce qu’Hildegarde déclare à son sujet : « Il est image de l’inutile et ne sert pas à grand-chose en médecine » (16). Seules des applications de feuilles fraîches d’aulne sur les ulcères, et en cas d’yeux larmoyants trouvent grâce à ceux de l’abbesse, ce à quoi Barthélémy l’Anglais ajoute que son écorce et ses feuilles sont remèdes de l’hydropisie. Nicolas Lémery, quant à lui, va jusqu’à affirmer employer un emplâtre de feuilles fraîches d’aulne broyées, qu’il applique sur les tumeurs, poussant l’audace jusqu’à envisager un usage interne comme astringent dans les maux de gorge.

Ce très grand arbre à croissance rapide et à vie brève (un siècle) atteint facilement 30 m de hauteur, surtout en zones humides (fossés, grèves et graviers humides, bordures de cours d’eau et d’étang), bien qu’il puisse aussi venir également sur des terrains qui ne le sont pas forcément. L’aulne au tronc svelte, à l’écorce rugueuse à gercée, de couleur gris clair à brun olivâtre, porte des branches glanduleuses, caractéristique de leur jeunesse. Ces mêmes branches forment des rameaux sur lesquels les bourgeons s’insèrent de façon spiralée. Ils sont formés d’un bois très cassant, à tel point qu’on dirait du verre. Sec comme frais, au reste, il casse net, et rappelle pour cette raison le bois de saule (bois d’eau et bois de verre en somme).
Au mois de février, apparaît la floraison de l’aulne qui prend deux formes selon qu’on a affaire à des chatons mâles ou femelles (ces chatons rapprochent l’aulne du noisetier, du charme et du bouleau : autrefois, l’aulne portait le nom latin de Betula alnus afin de marquer sa ressemblance botanique avec son cousin bétulacé). Les premiers se composent de bractées rougeâtres, cylindriques et pendantes. Les seconds sont, eux, facilement reconnaissables : verts, trapus et ovoïdes. Ils offrent une assez grande ressemblance avec les cônes du cèdre de l’Atlas lorsque les écailles de ceux-ci sont encore soudées. Histoire d’appuyer la similitude avec un autre arbre résineux, lorsque ces chatons femelles s’écartèlent, ils prennent l’aspect de petites pommes de pin, et qui en sont presque puisque, botaniquement, ils ont pour nom strobiles, ce qui fait, qu’à leur sujet, l’on peut tout à fait parler de « pommes d’aulne ». Les feuilles n’émergent qu’à la suite de la floraison vernale de l’aulne : toutes jeunes, les feuilles de cet arbre sont poisseuses (ce qui leur permet, dit-on, de résister plus longtemps aux pluies printanières), et, devenant plus âgées, elles perdent cette particularité, et finissent glabres. Assez rondes, comme écourtées des deux côtés (leur pointe semble tronquée, leur pétiole bref), elles sont si légèrement dentées que ce n’est pas cet aspect-là qui saute en premier lieu aux yeux lorsqu’on les observe.
L’aulne est un arbre endémique à l’Europe, à l’Asie occidentale et à l’Afrique du Nord. Il ne grimpe pas au-delà de 1000 m d’altitude.

L’aulne en phytothérapie

L’aulne est-il un arbre qui a de la chance ? Sur la question de savoir de quoi il est fait, pas vraiment, l’on en sait davantage au sujet de l’un de ses cousins, le bouleau, qu’on a davantage étudié. Dire que l’aulne contient du tanin est assez facile en soi, ainsi l’on parvient à ne pas se tromper, le tanin étant présent dans une foule de végétaux. Cependant, dans l’aulne (son écorce précisément), il s’en trouve entre 10 et 20 %, ce qui n’a rien d’anodin. Puis viennent des glucosides, des composés phénoliques connus sous le nom de lignagnes, enfin une substance laxative et purgative, contenue également par le nerprun et la rhubarbe : l’émodine.
De l’aulne glutineux l’on emploie d’une part les feuilles, d’autres part l’écorce des jeunes rameaux.
Il a été remarqué, dans l’histoire thérapeutique de cet arbre, que son écorce prend la place de celle du chêne en son absence, et qu’en doublant les doses, elle devient aussi efficace que le quinquina, ce que montre le surnom de quinquina indigène avec lequel on a parfois désigné cet arbre.

Propriétés thérapeutiques

  • Feuille : sudorifique, diurétique, vermifuge, antigalactogène, dépurative, antiscrofuleuse (?)
  • Écorce : tonique, astringente, cicatrisante, anti-hémorragique (?), détersive, fébrifuge, anti-inflammatoire (diminue l’inflammation des tissus et des muqueuses)

Usages thérapeutiques

  • Feuille : rhumatismes, goutte, paralysie, stupeur, tremblements, tarir les montées de lait, engorgement laiteux, galactorrhée (écoulement spontané du lait), douleurs mammaires
  • Écorce : fièvre simple, fièvre intermittente, affection de la bouche, de la gorge et des dents (inflammation et déchaussement gingival, engorgement gingival, maux de dents, inflammation de la gorge, angine, pharyngite, amygdalite chronique, ulcération bucco-gingivale, aphte), ulcère variqueux et atonique, leucorrhée, hémorragie (interne ou externe), blessure, mal aux pieds, goutte, rhumatismes, entretien des cheveux

Note : en gemmothérapie, l’aulne glutineux traite autant les affections circulatoires, inflammatoires, neurologiques (migraine, urticaire), que les douleurs mammaires des femmes qui allaitent.

Modes d’emploi

  • Infusion de feuilles.
  • Décoction concentrée d’écorce (pour bain, lotion, gargarisme).
  • Poudre d’écorce mêlée à du miel (voie orale).
  • Teinture-mère.
  • Application de feuilles fraîches sur les yeux (en cas d’affections oculaires), sur les seins (en cas d’affections mammaires).
  • « Cataplasmes de feuilles hachées, exposées préalablement à la chaleur du feu sur une plaque métallique, jusqu’à exsudation d’un liquide, et appliquées chaudes deux à trois fois par jour » (17).
  • Litière de feuilles d’aulne : il s’agit de feuilles chauffées sur lesquelles on allonge les rhumatisants, que l’on couvre tout d’abord d’une autre couche de ces mêmes feuilles, puis d’une couverture. En Bretagne, l’on se servait de sac de feuilles d’aulne en cas d’affections locomotrices également et pour provoquer d’abondantes sudations.

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • Récolte : l’écorce des rameaux de quatre à cinq ans avant la montée de sève, soit entre février et avril selon les régions, les feuilles en juin. Le séchage, tant des feuilles que de l’écorce, est facile et ne pose pas de problème particulier, à la condition qu’il se réalise à l’ombre, dans un lieu sec et correctement aéré.
  • Que le bois de l’aulne ait été apprécié des sculpteurs, tourneurs et sabotiers semble dans la logique des choses, mais qu’il en ait été de même des verriers, des pâtissiers et des boulangers peut surprendre. A cela, Cazin apporte quelque explication : « il brûle parfaitement et donne une flamme claire » (18). C’est, semble-t-il, la régularité de la combustion de son bois qui était recherchée par ces divers corps de métiers. Tout au contraire, certains n’hésitèrent pas à le qualifier de mauvais combustible, néanmoins recherché par les charbonniers parce qu’il permet d’élaborer un charbon d’excellente qualité. Comme bois d’œuvre, il a tout l’air d’être une matière agréable à travailler : « Fraîchement coupé, l’aune a une teinte rougeâtre qui s’éclaircit et s’efface en peu de temps. Lorsqu’il est sec, il prend une couleur d’un rose très pâle tirant sur le jaune. Il a le grain fin, homogène, et conserve parfaitement la couleur d’ébène qu’on lui donne » (19). L’écorce, riche en tanin, fut employée dans le tannage des peaux, ainsi que pour obtenir des encres, des matières tinctoriales du cuir et des étoffes de couleurs grise, brun clair et noire. Les bourgeons offrent une couleur dont la teinte s’approche de celle des bâtons de cannelle.
  • Il existe, au sujet de l’aulne, une propriété fort étonnante consistant en ceci : autrefois, on plaçait une branche d’aulne munie de ses feuilles dans les poulaillers et les pigeonniers. Le lendemain, retrouvée couverte de vermine, on y mettait le feu. L’aulne débarrasse donc de cette manière poules et pigeons de leurs parasites. Cette propriété attractive est, ma foi, fort intéressante.
  • Confusion : la bourdaine (Rhamnus frangula) est parfois surnommée aulne noir.
  • Association à visée fébrifuge : grande gentiane jaune, petite centaurée, centaurée chausse-trape, absinthe, saule blanc, reine-des-prés…
  • Autres espèces : aulne gris ou aulne des montagnes (Alnus incana), aulne à feuilles en cœur (Alnus cordata), aunâtre (Alnus viridis).
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    1. Paul-Victor Fournier, Dictionnaire des plantes médicinales et vénéneuses de France, p. 131.
    2. Serenus Sammonicus, Préceptes médicaux, p. 32.
    3. Ibidem, p. 66.
    4. Robert Graves, Les mythes celtes. La Déesse blanche, p. 196.
    5. Michel Tournier, Le Vent Paraclet, p. 118.
    6. Thierry Thévenin, Les plantes sauvages. Connaître, cueillir et utiliser, p. 270.
    7. Julie Conton, L’ogham celtique, p. 65.
    8. Thierry Thévenin, Les plantes sauvages. Connaître, cueillir et utiliser, p. 270.
    9. Michel Tournier, Le Vent Paraclet, p. 119.
    10. Angelo de Gubernatis, La mythologie des plantes, Tome 2, p. 30.
    11. Du latin strobilis, qui signifie « tourbillon » : qui cherche, trouve la spirale.
    12. Robert Graves, Les mythes celtes. La Déesse blanche, p. 195.
    13. François-Joseph Cazin, Traité pratique et raisonné des plantes médicinales indigènes, p. 100.
    14. Robert Graves, Les mythes celtes. La Déesse blanche, p. 197.
    15. Julie Conton, L’ogham celtique, p. 68.
    16. Hildegarde de Bingen, Physica, p. 176.
    17. Paul-Victor Fournier, Dictionnaire des plantes médicinales et vénéneuses de France, p. 132.
    18. François-Joseph Cazin, Traité pratique et raisonné des plantes médicinales indigènes, p. 100.
    19. Ibidem.

© Books of Dante – 2019