Les amarantes (Amaranthus sp.)

Amaranthus caudatus

Synonymes : queue de renard, crête de coq, célosie à panache, bave de crapaud.

Les amarantes, dont on compte environ 65 espèces, se localisent à l’Afrique, à l’Asie, à l’Océanie et aux Amériques. Ces plantes, dont l’Occidental, pétri de farine de froment, ignore très souvent jusqu’à l’existence, sont pourtant depuis très longtemps cultivées, comme l’atteste la découverte  de dépôts de graines datant de 4000 ans avant J.-C dans une grotte du Mexique. Ce qui prouve tout d’abord que l’amarante a joué un rôle important pour la civilisation aztèque. Les feuilles cuites comme légume vert, les graines bouillies, grillées, ou encore réduites en farine afin qu’on en confectionnât des galettes ou des petits pains, ont largement contribué, par leurs apports en protéines et acides aminés essentiels, à assurer un équilibre alimentaire aux populations les ayant cultivées. Chez les Aztèques, l’amarante avait une valeur qui dépassait le seul cadre nutritif, puisque cette plante participait d’une dimension médicinale et sacrée : « La valeur sacrée de l’amarante suffit sans doute à expliquer que sa culture fut l’objet de répressions directes ou indirectes, de la part de la chrétienté désireuse d’extirper la vieille religion hérétique ». Il faut également préciser que la poudre d’amarante ou huauhtli était déposée sur le visage des victimes que l’on destinait aux sacrifices humains que commettaient les Aztèques, et que cette même plante – sans doute pas utilisée isolément – permettait, grâce à une fumigation, de faire entrer ces mêmes victimes dans un état d’euphorie. Au reste, dès lors que l’on jette un œil dans la direction des usages magiques et symboliques que l’on faisait de l’amarante ici et là, on y trouve toujours à redire, dès lors qu’on est un esprit tatillon qui observe la scène sans la comprendre. N’est-ce pas elle, par exemple, dont Zeus se servit pour se dissimuler de l’avidité de Kronos le pourchassant, celle-là même dont on ornait les tombeaux de bouquets parce qu’elle y était vue comme un symbole d’immortalité, le mot amarante étant tiré du grec et signifiant littéralement « qui ne se flétrit pas », eu égard à la forte résistance de la plante à la chaleur et à la sécheresse, ce qui fait que « des couronnes faites de cette fleur concilient à ceux qui les portent la faveur des grands et la gloire » (1). De plus, cette plante magique était censée conférer l’invisibilité, tout pour plaire à l’église catholique en somme !, qui plus est impliquée dans la recette de philtres d’amour, puisque, en symbolisme amoureux, l’amarante invite aux caresses…

Les amarantes sont des plantes annuelles dont la taille est très changeante en fonction des espèces, de la localisation géographique, du climat ou encore de l’environnement. Par exemple, l’amarante réfléchie (Amaranthus retroflexus), qu’on trouve un peu partout en France malgré son origine nord-américaine, possède une taille qui oscille entre 20 et 60 cm, mais dépasse, quand elle le peut, un bon mètre de hauteur, tandis qu’une autre, Amaranthus gangeticus, atteint facilement trois mètres de haut, avec, à sa base, une souche ligneuse de 5 cm de diamètre, une amarante monstre, en définitive !, c’est-à-dire exactement l’une de ces plantes dont le jardinier lambda peu futé cherche à se débarrasser à tout prix, tout comme il le fait du phytolaque, la croyant herbe mauvaise, alors qu’il ne tient rien moins qu’une manne sous le fer de sa binette crochue et imbécile !

Plante très peu ramifiée, l’amarante peut cependant posséder des rameaux très courts à l’aisselle de ses feuilles. L’ensemble de la plante est généralement duveteux, la tige comme les feuilles étant recouvertes de poils fins et brefs. Ces dernières sont de forme ovale ou losangique, variables selon les espèces, ainsi que les inflorescences dont les panicules peuvent arborer divers coloris (vert, jaune, doré, orangé, bronze, rose brunâtre, rouge, rouge pourpre, rouge foncé, etc.). C’est d’autant plus vrai chez les cultivars horticoles. Chez certaines (Amaranthus caudatus, par exemple), la grappe florale est si développée qu’on lui donne le surnom de queue de renard. Puisque nous parlons de fleurs… Toutes les amarantes en portent de trois types : mâles, femelles et hermaphrodites. Elles donneront plus tard de tout petits fruits ovoïdes que chaque pied d’amarante est capable de produire en très grand nombre, de l’ordre de 100 000 à 450 000. Comme 1000 à 3000 graines de ce type sont nécessaires pour former un seul gramme, l’on peut en déduire qu’un unique plant d’amarante peut porter, tout au plus, jusqu’à ½ kg de graines durant sa fructification (cela explique l’énorme rendement à l’hectare de certaines variétés…). Ainsi, la minuscule semence d’amarante (bien plus petite qu’un grain de quinoa), qu’elle soit blanche, beige, jaune pâle, or, brune, violette ou encore noire, produite par une plante annuelle qui fait le maximum pour se reproduire le plus rapidement possible dans l’année, assure sans grande difficulté la succession et la pérennité de son espèce. Ce qui accroît encore davantage la robustesse des amarantes, c’est qu’elles font partie d’une catégorie de végétaux qui fonctionnent selon un mode de photosynthèse particulier et efficace dans nombre de conditions climatiques, telles que la sécheresse, l’extrême chaleur ou encore une très grande intensité solaire. Ce système de photosynthèse, nommé C4, permet à l’amarante de convertir deux fois plus de lumière solaire que les plantes qui utilisent le système C3, et ce pour une identique quantité d’eau. On comprend donc pourquoi les amarantes sont regardées d’un œil mauvais par certains grands pontes outre-atlantiques qui recherchent davantage l’asservissement du végétal plus que son exubérance. A croire que les amarantes les dépassent !

Amaranthus retroflexus

Les amarantes dans l’alimentation

L’horticulteur, conscient de la grande valeur des amarantes, s’est attaché à en multiplier les variétés à feuilles (exemple : Amaranthus tricolor) et à graines (exemple : Amaranthus hypochondriacus). C’est pourquoi l’on peut constater, chez les unes et les autres, une profusion d’aspects : des feuilles vertes veinées de violet ou de brun, pourpre verdâtre, pourpre rouge intense d’une part, des panicules et des semences diversement colorées d’autre part, comme nous avons déjà eu l’occasion de le notifier plus haut dans ce texte.

Peu étudiée d’un point de vue pharmacologique (il est rare de dénicher une amarante dans un ouvrage dédié aux plantes médicinales), l’amarante possède pourtant de solides atouts dont les avantages ont été pointés bien plus par les nutritionnistes que par les phytothérapeutes.

Commençons donc par décortiquer les graines d’amarante. Nous y trouvons plusieurs sels minéraux et oligo-éléments (calcium, potassium, phosphore, zinc, fer…), ainsi que des vitamines du groupe B, de la vitamine C, des glucides (61,5 % en moyenne), des fibres (environ 10 %), enfin des protéines (entre 16 et 18 % ; certaines variétés affichent un taux supérieur, de l’ordre de 22 %), c’est-à-dire, d’une manière ou d’une autre, bien plus que dans les céréales de la famille des graminées (blé, orge, seigle, maïs et autre épeautre), et surtout d’une qualité largement plus intéressante que les protéines contenues dans les graines de ces mêmes plantes (maïs et blé surtout), ou dans celles du soja. Si l’on devait attribuer l’indice 100 à la protéine parfaite, l’on pourrait établir le comparatif suivant :

  • Maïs : 44
  • Blé : 60
  • Soja : 68
  • Amarante : 75

Une judicieuse association des protéines du maïs et de celles de l’amarante permettrait d’atteindre le maximum, soit l’indice 100. Mais, on le sait, aucune plante n’est, à elle seule, une panacée. Ce qui oblige l’homme à ne jamais s’en remettre qu’à quelques plantes seulement, même si, malheureusement, d’un point de vue occidental, c’est souvent cela qui a prévalu (et prévaut encore), occasionnant de maintes pénuries en cas de maladies affectant telle ou telle plante. Je ne puis que me remémorer l’épisode douloureux que connût l’Irlande dans les années 1845-1852 (un million de morts furent dénombrés), mettant en cause la monoculture intensive de la pomme de terre attaquée par le mildiou, alors que le paysan des Andes sait très bien qu’il faut en cultiver plusieurs espèces afin d’éviter cet écueil. Mais celui-ci détient l’avantage de l’expérience que n’eurent pas les Irlandais.

L’autre point sur lequel l’amarante tire son épingle du jeu, c’est sa richesse en acides aminés, dont la lysine qui constitue entre 5,5 et 7 % de la masse protéique des semences d’amarante. Faisant partie des neuf acides aminés essentiels pour l’homme, la lysine est particulièrement présente dans l’amarante puisqu’on en compte deux fois plus que dans le blé et trois fois plus que dans le maïs, ce qui fait des céréales occidentales des substances alimentaires pauvres en protéines végétales de bonne qualité, qui plus est supplantées par une alimentation trop riche en protéines animales, qu’aujourd’hui, inexplicablement, l’on érige encore au pinacle, alors qu’il est clairement prouvé que les organismes d’origine animale apportent, pour une quantité équivalente, moins de protéines que les lentilles ou les pois chiches (sans compter que la plupart des viandes sont impliquées dans des phénomènes inflammatoires). Les proportions de lysine et de protéines contenues dans la graine d’amarante sont intéressantes pour les populations qui basent une grande partie de leur alimentation sur ces graines sans pour autant avoir un apport carné très important. Ce n’est donc pas un hasard si nous voyons de plus en plus cette plante prometteuse qu’est l’amarante, sous forme de sachets de graines, être présente dans les rayons des coopératives de produits biologiques. Mais c’est encore très relatif ! Il faut se lever tôt pour l’amarante en graines, c’est d’autant plus vrai sous forme de farine ; celle-ci est très bien par exemple). En plus de cela, signalons que la farine d’amarante possède un index glycémique (IG) relativement bas, évalué à 40. A titre de comparaison, apprenons que d’autres farines possèdent des IG largement supérieurs : 75 pour celle de riz, 70 pour celle de maïs, 70 également pour le sorgho, etc. Or, plus l’IG est élevé, plus le produit concerné fait rapidement monter le taux de sucre dans le sang. La préférence devrait donc aller aux farines dont l’IG est modéré (fonio, teff, chanvre), voire faible (sarrasin, coco, quinoa). Tout cela fait donc de l’amarante une pseudo-céréale idéale pour le petit-déjeuner (qui doit viser les apports protéiques et non glucidiques contrairement à ce que l’on croit ; autant dire que le petit-déjeuner à la française est l’un des pires qui soit).

Venons-en aux feuilles maintenant. Il est remarquable que l’amarante présente des qualités largement supérieures à des légumes comme la tomate, la laitue ou encore les épinards. Si on devait la comparer à la tomate, l’on se rendrait compte que, à poids égal, il y a, dans l’amarante, 3 fois plus de vitamine C, 10 fois plus de carotène, 15 fois plus de fer, 40 fois plus de calcium ! Comparons-là donc maintenant à la laitue : l’amarante, toujours, contient 7 fois plus de fer, 13 fois plus de vitamine C, 18 fois plus de vitamine A, 20 fois plus de calcium que Lactuca sativa ! Par ailleurs, les feuilles de l’amarante font aussi la part belle aux glucides et aux protéines, ce qui fait de ces plantes à feuilles comestibles (ou bien ne serait-ce qu’Amaranthus retroflexus, sauvage que l’on voit partout sur les décombres, les terrains vagues et incultes comme cultivées – moissons, vergers –, les terrains alluvionnaires, comme les abords des villages) se prêtent bien à une consommation qui emprunte ses recettes à l’épinard, par exemple, l’amarante étant de ces plantes potagères qui rappellent l’arroche, le chénopode bon-henri, plantes reléguées aujourd’hui au rang des curiosités. Pourtant, avec le feuillage fécond et hautement nourricier de l’amarante, l’on peut composer des soupes, des farces, des pâtés végétaux, les incorporer à des tourtes ou à des quiches, les consommer même crues en salade lorsqu’elles sont jeunes, ce qui nous ferait imiter les usages amérindiens d’Amérique du Nord, où l’amarante était largement consommée et surtout cultivée afin d’assurer la continuité de la ressource végétale comestible.

Consommer l’amarante, ça ne veut pas dire que l’on prend fait et cause pour les revendications des Amérindiens, mais que, d’une certaine façon, l’on s’en rapproche un peu, de même que la consommation des graines de l’Amaranthus grandiflorus nous concilie des aborigènes d’Australie, ou des populations ayurvédiques si l’on se tourne dans la direction d’Amaranthus spinosus, amarante du sous-continent indien qui n’était pas qu’aliment, mais aussi médicament, intervenant, en tant qu’astringent, en cas de règles trop abondantes, de leucorrhée, de crachements de sang et autres hémorragies. Diarrhée et dysenterie peuvent aussi justifier l’usage de cette amarante, dont la décoction, utile en gargarisme, soigne les aphtes ainsi que les inflammations pharyngées.

Si le cœur vous en disait d’envisager la culture de quelques pieds d’amarante, sachez que la récolte s’en situe à la fin de l’été et au début de l’automne.

Pour finir, je pense que l’« on peut admirer le génie des peuples des montagnes ou des déserts qui pendant des millénaires ont transformé et amélioré des amarantes sauvages aux tiges et inflorescences piquantes et aux graines amères en de magnifiques panicules aux inflorescences douces et aux graines savoureuses, flamboyant de toutes les couleurs de l’arc-en-ciel, qui sont un hommage à la beauté, à la nutrition véritable et à la sagesse de co-évolution de l’homme avec son environnement » (2). Quand je pense que certains qualifient les amarantes de plantes invasives, je pouffe. Il faut dire que certaines amarantes (Amaranthus caudatus, pour ne citer qu’elle), sont très résistantes au glyphosate, ce qui n’est pas sans poser problème aux yeux des tenants de ce type de produit imposant une méthode d’éradication brutale et dévastatrice. En effet, qu’importe que l’amarante soit plante nutritive dès lors qu’on a décrété que seuls le soja ou le maïs avaient de la valeur. Invasive ? Non, elle se donne à voir partout et pour tous. Ce qui est fort différent. Pourquoi donc déploierait-elle autant d’efforts si ce n’était pour notre bien ? Une fois cela intégré, pourquoi, dès lors, s’en priver ?

Quelques remarques subliminaires…

  • Des amarantes telles qu’Amaranthus retroflexus pourraient être confondues avec le chénopode blanc (Chenopodium album), bien que ce dernier soit glabre et d’aspect farineux, sans que cela porte à conséquence, puisque qu’il est également comestible. Donc, pas d’inquiétude, il peut se cuisiner avec l’amarante « feuilles » à la manière des épinards.
  • Bien d’autres amarantes que nous n’avons pas citées dans cet article sont également comestibles. C’est le cas de l’amarante blette (Amaranthus blitum) qui, comme son nom l’indique assez bien, s’apprête à la manière des blettes, ses parties vertes succulentes et mucilagineuses, bien qu’au goût herbacé fade et peu sapide, se prêtent bien à la cuisson, de même que l’amarante oléracée (Amaranthus oleraceus). L’amarante livide (Amaranthus lividus) fut aussi abondamment cultivée comme plante alimentaire en Amérique, de même que l’amarante de Roxburg (Amaranthus fasiniferus) en Inde.
  • Il existe un élixir floral à base de fleurs d’amarante destiné aux personnes qui sont en situation de profonde détresse : « il permet de surmonter le sentiment de dévastation, d’hostilité, de solitude et de rejet. Il aide à affronter et à traverser la souffrance extrême, la désolation la plus totale, les situations désespérées, sans issue. Il renforce l’organisme quand on se sent attaqué, affaibli et déstabilisé » (3).

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  1. Paul Sédir, Les plantes magiques, p. 143.
  2. Sophy & Dominique Guillet, Catalogue Terre de semences 1999, p. 65.
  3. Laboratoires Deva, deva-lesemotions.com.

© Books of Dante – 2020

 

Amaranthus blitum