Synonymes : agrimoine, agrimone, ingremoine, eupatoire des anciens, eupatoire des Grecs, thé du Nord, thé des bois, francormier, toute-bonne, herbe de la mère, herbe de sainte Madeleine, herbe de saint Guillaume, etc.
Le nom même de l’aigremoine est le fruit d’une erreur vieille de près de 2000 ans, et l’on s’étonne encore de la voir persister au sein d’ouvrages bien moins âgés. Mettons donc les choses à plat, décortiquons tout cela. Bienvenue dans cette nouvelle enquête phyto-botanique !
Considérons tout d’abord le nom latin de cette plante : Agrimonia eupatoria. Il est dommageable que l’erreur que nous allons exposer s’applique non pas à l’adjectif eupatoria mais au nom même agrimonia. Eupatoria est simple à comprendre. Il fait référence au roi du Pont né au II ème siècle avant J.-C., Mithridate VI, dit le Grand. La légende, rappelée par Olivier de Serres au début du XVII ème siècle, voudrait que ce roi ait donné son surnom d’Eupator à cette plante qu’est l’aigremoine, lui assurant ainsi sa réputation. En ces temps reculés, l’aigremoine ne se nomme pas encore ainsi puisque eupatoire restera son nom de l’Antiquité jusqu’au XVII ème siècle. Elle n’a sans doute que peu de rapport avec Mithridate. Les régents et les divinités aiment beaucoup dire que telle ou telle plante est de leur fait ; c’est presque si on ne cherchait pas à nous faire croire qu’ils les auraient créées de leurs mains, divines ou régaliennes. En revanche cette « eupatoire » pourrait être la corruption de hêpatorios, en relation avec les vertus hépatiques qu’on lui attribuait (du grec hêpar, foie). C’est ainsi que Dioscoride l’appelle eupatorion. Si la Collection des traités hippocratiques ne fait nulle mention de cette plante, Dioscoride lui attribue des propriétés astringentes, cicatrisantes et antidiarrhéiques. Pline, peu prolixe, l’indique en cas de dysenterie, et Galien d’obstruction du foie, toutes informations déjà présentes chez Dioscoride : « La graine et la plante, bues dans du vin, guérissent ceux qui sont atteints de dysenterie, ceux qui souffrent du foie ». Voilà, grosso modo, à quoi sert l’eupatoire des Anciens durant l’Antiquité. Il est dit qu’on l’utilisait aussi en cas de morsure de serpent, mais combien de plantes sont également concernées par cette prodigieuse, mais souvent fantasmée, propriété ? Contre toute attente, un texte astrologique rédigé en grec et postérieur aux Pline, Dioscoride et Galien, adopte l’eupatorion comme plante de Zeus, assujettie à la planète Jupiter. Pourquoi pas, puisque cette planète domine le foie et que l’aigremoine est un remède hépatique. De plus, son statut de plante diurétique la rapproche encore davantage de cette planète. Mais il y a, dans cet opuscule astrologique, outre les propriétés attendues de l’aigremoine, une chose curieuse. L’auteur anonyme de ce texte recommande l’eupatorion en vue d’élaborer un « collyre pour les taches blanches, les membranes qui se forment sur l’œil, les taies et tout ce qui ressemble à ces affections. […] Or, ni Dioscoride, ni Pline, ni aucun texte médical de l’Antiquité portant sur l’emploi de l’eupatorion ne mentionnent que la plante ait eu une telle vertu » (1) contre les maladies ophtalmiques. De son temps, Dioscoride avait bien relevé l’erreur consistant à attribuer à l’eupatorion un autre nom : argemônion, dans lequel certains ont voulu voir le mot ager, « champ », comme si l’aigremoine était seule à y pousser. Plus sérieusement, ce terme (et ses dérivés : argemôn, argemônê, argemônia, etc.) « désigne plusieurs plantes [de la famille des pavots semblerait-il, selon Fournier] auxquelles les Grecs attribuaient la propriété de guérir les taies oculaires » (2), une affection portant le nom d’argema en grec. Puis, partant de là, argemônion a été corrompu en acrimônia et agrimônia (où on reconnaît ce terme dans le mot anglais désignant aujourd’hui cette plante – agrimony – ainsi que dans sa dénomination française). « L’erreur de l’astrologue botaniste grec s’est néanmoins si bien transmise au fil des siècles que certains auteurs d’ouvrages récents de ‘médecine hermétique’ ou de ‘médecine spagyrique’ citent toujours l’aigremoine comme une plante de Jupiter et recommandent de l’utiliser en infusion pour ‘décongestionner et fortifier les yeux’ ! » (3), et tout cela en copiant-collant bêtement les informations contenues dans les ouvrages de ceux qui les ont précédés. Aïe, aïe, aïe… S’il était judicieux de placer l’aigremoine sous la coupe de Jupiter, il est ridicule de le faire pour cette soi-disant propriété ophtalmique qu’elle ne possède bien entendu pas. Et si cela eut été le cas, la planète qui gouverne la vue n’est pas Jupiter. C’est le Soleil. Cette bêtise, car cela en est une, se constate même à travers un des noms vernaculaires de l’aigremoine cité en frontispice : herbe de saint Guillaume. En effet, ce saint est réputé rendre la vue aux aveugles ! Je ne l’ai pas invoqué, mais gageons que ces quelques lignes sauront rendre la vue à ceux qui, selon toute vraisemblance, l’ont perdue. Cette erreur ayant été corrigée, passons maintenant à la suite.
Au IX ème siècle, Walafrid Strabo rend hommage à l’aigremoine en soulignant ses propriétés stomacales et vulnéraires surtout : « Si jamais quelque fer meurtrier inflige à nos membres une blessure, il est conseillé d’appeler au secours l’aigremoine et d’appliquer sur la plaie béante ses pousses fin coupées » (4). Trois siècles plus tard, Hildegarde mentionne dans ses écrits une Agrimonia, qu’elle désigne comme un remède de la gorge et de la poitrine, ainsi que de l’estomac, ce en quoi nous reconnaissons là quelques-unes des propriétés de l’aigremoine. Mais comme elle la considère comme un remède oculaire (encore !), on est en droit de s’interroger sur la véritable identité de cette Agrimonia. La complexité est telle, qu’en plus de cela, jusqu’au XV ème siècle inclus, on distingue à peine par leurs noms l’aigremoine de la verveine officinale, chose que j’avais déjà soulignée en abordant cette dernière. Sans compter que l’aigremoine porte alors foison de noms, comme lappula hepatica, chaque apothicaire y allant de sa propre dénomination, et parfois, le même nom qualifie tout à la fois l’aigremoine et la verveine ! Il est même indiqué que l’aigremoine, cueillie un vendredi (ou mieux, un vendredi saint), est une plante idéale permettant de s’attacher une femme. Je me demande vraiment à quel point il a pu y avoir confusion profonde avec la verveine qui, comme l’on sait, est plante de Vénus… Vous comprendrez aisément pourquoi certains rituels ne fonctionnent pas…
Bref, échappons-nous du Moyen-Âge. Nous voici au XVI ème siècle, en Toscane. Là, un médecin et botaniste, Matthiole, se penche sur les travaux de Dioscoride. En homme pointilleux et rigoureux qu’il est, il commente l’œuvre du médecin grec et s’acharne pour que, enfin, on reconnaisse dans l’eupatorion celle qu’il convient alors d’appeler aigremoine, chose d’autant plus difficile qu’il existe d’autres eupatoires : l’eupatoire de Mésué (achillée visqueuse), eupatoire aquatique (bident chanvre d’eau), eupatoire d’Avicenne (eupatoire chanvrine), etc. Malgré tous ces déboires, l’aigremoine sort la tête de l’eau. Matthiole lui rend honneur en complétant son profil thérapeutique. Remède du foie comme nous le savons déjà (colique hépatique, ictère, obstruction hépatique), l’aigremoine s’utilise aussi en cas d’ulcère stomacal et, à l’extérieur, sur plaie et prurit. Enfin, Matthiole lui reconnaît des vertus diurétiques et il sera, il me semble, le premier à l’indiquer, comme emménagogue (légère certes, mais réelle).
Au XIX ème siècle, le scepticisme règne au sujet de l’aigremoine, comme on peut le constater dans les travaux de Cazin qui ne lui accorde qu’une maigre notice. Mais le XX ème siècle saura s’affranchir de ce désaveu, replaçant l’aigremoine au cœur de la phytothérapie afin de lui faire renouer avec les vues données par Matthiole. C’est ainsi qu’on rencontre sous les plumes de Louis Reutter, Henri Leclerc, Jean Valnet, Pierre Lieutaghi, Fabrice Bardeau et tant d’autres encore, celle qu’il serait bien plus convenable d’appeler eupatoire agrimoine (mais je peux toujours rêver… ^^).
Si l’aigremoine est une plante commune, elle l’est cependant moins qu’autrefois, en raison de l’emploi massif d’une saleté : les herbicides. On la rencontre sur des terrains secs, argileux et ensoleillés, tels que fossé, talus, bord de route et de champ, prairie, pelouse sèche, et cela tant en Europe qu’en Asie occidentale ou en Afrique du Nord. Elle apprécie autant les basses altitudes que la moyenne montagne (1000 m). Selon son biotope, sa stature varie de 40 à 100 cm. Vivace à rhizome épais, brun et noueux, elle porte une tige généralement non ramifiée, velue, dotée de feuilles composées de folioles découpées et dentées, rappelant assez celles de l’une de ses cousine, la potentille ansérine. En haut des tiges, de petites fleurs jaune d’or s’égrènent une à une jusqu’au sommet. Si l’aigremoine fleurit durant de longs mois (juin à septembre), ses fleurs, une fois écloses, se fanent en quelques jours. Il ne faut donc pas tarder pour en réaliser la cueillette. Puis elles laissent place aux fruits, de forme conique, mesurant chacun 1 cm. Ceux-ci ont la particularité de porter une couronne de griffes qui se raidissent à maturité, ce qui leur permet, tout comme les teignes de la bardane, de s’accrocher aux vêtements ainsi qu’aux poils des animaux de passage, assurant de cette façon un mode de transport original nommé zoochorie.
L’aigremoine en phytothérapie
Cette plante offre ses feuilles et ses fleurs pour une pratique phytothérapeutique. Fraîches, de préférence. Il est toujours possible de les employer sèches, mais dans ce cas il faut renouveler son stock chaque année.
Dans l’aigremoine, on trouve des tanins, une gomme, des principes amers, des flavonoïdes (lutéoline, catéchine), de la phytostérine (que l’on rencontre en plus grande quantité dans le ginseng), de la vitamine K, un peu d’essence aromatique, enfin une grosse proportion de silice (10 %).
Propriétés thérapeutiques
- Diurétique
- Anti-inflammatoire, décongestionnante
- Cicatrisante interne comme externe, vulnéraire, résolutive, astringente
- Digestive, vermifuge
- Tonique des muqueuses de la gorge et de la bouche
- Antibactérienne
- Antidiabétique
- Emménagogue légère
Usages thérapeutiques
- Troubles de la sphère digestive : dysenterie, diarrhée, gastrite, entérite, atonie stomacale, flatulence, hématémèse
- Troubles de la gorge et de la bouche : angine, toux, pharyngite, amygdalite, extinction de voix, stomatite, glossite, gingivite
- Troubles de la sphère urinaire et rénale : lithiase rénale, colique néphrétique, cystite, incontinence urinaire, albuminurie, glycosurie
- Troubles de la sphère hépatobiliaire : insuffisance biliaire, cholécystite, colique hépatique, hépatisme chronique, jaunisse, diabète
- Affections cutanées : plaie (infectée, atone, torpide), ulcère, ulcère variqueux, dermatite
- Troubles locomoteurs : contusion, enflure, foulure, luxation, rhumatisme, névrite
- Hémoptysie
- Leucorrhée
- Migraine
Modes d’emploi
- Infusion
- Décoction (pour lotion, lavement, gargarisme, bain)
- Macération vineuse
- Teinture-mère
- Cataplasme de feuilles fraîches
Informations complémentaires
- L’aigremoine n’expose à aucun désagrément majeur. Toutefois, un usage trop fréquent en interne peut amener une baisse de la tension et, par contact cutané, des phénomènes d’irritation sont envisageables.
- La récolte de l’aigremoine s’entreprend dès que débute la floraison, soit au mois de juin environ.
- Plante tinctoriale, l’aigremoine donne à la laine une belle couleur nankin, intermédiaire entre l’abricot et le chamois.
- Autre espèce : l’aigremoine odorante (A. odorata ou A. procera). C’est une aigremoine des lieux frais et ombragés, portant sur ses feuilles des glandes à essence dont l’aigremoine eupatoire est pratiquement dépourvue.
- Il existe un élixir floral à base de fleurs d’aigremoine : Agrimony. Crée par le docteur Bach, il prend place dans l’un des sept groupes d’humeur détaillés par Edward Bach au début du siècle dernier, à savoir la dépendance.
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1. Guy Ducourthial, Flore magique et astrologique de l’Antiquité, pp. 324-325
2. Ibidem, p. 325
3. Ibidem, p. 326
4. Walafrid Strabo, Hortulus, p. 44
© Books of Dante – 2016