
On dit parfois qu’il faut partir à la cueillette du trèfle à quatre feuilles durant la première nuit de la Nouvelle Lune. Mais ce trèfle ne se recherche pas, il se révèle. Le premier ébahissement passé – quelle force spéciale préside à l’émergence de cette quatrième foliole ? –, il reste à considérer le mystérieux chemin de fée emprunté jusqu’à en découvrir un. Je ne sais comment, guidés par un lumineux doigt divin sur le sentier de la bonté invisible, certains parviennent à cueillir l’auguste feuille quadrifoliée. En tous les cas, la légende leur confère la chance, l’humeur joyeuse, la fécondité et la puissance face aux enchantements.
Quant à moi, j’ai plus souvent retrouvé entre les pages de vieux livres à forte couverture, que l’on consulte rarement, comme un gros dictionnaire, de ces feuilles sèches que l’on aura glissées là à la manière des images pieuses qu’on y trouve aussi (j’ai une passion pour les notes inscrites dans les marges des vieux livres, ainsi que pour tous ces marque-pages improvisés, bouts de papier-journal arrachés aux nouvelles d’un vieux journal ou brins de paille). Fragiles et friables, ces feuilles couleur vieux bronze, dont le suc vivifiant s’en est allé depuis longtemps, abandonnent toujours un peu de leur verdeur dans l’étoffe sépulcrale du papier qui les a soustrait à la lumière et à l’injure du temps pendant des décennies que le temps oublie.
Qui, de mes ancêtres, a placé là ces vieux fétiches ? Mon arrière grand-père Ernest ? Ma grand-mère Juliette ? Le bonheur dont semble encore disposer ce pâle et délicat assemblage se transmet-il d’une génération à l’autre ?
La découverte du précieux sésame semble désarmer son découvreur. Qu’en faire d’autre sinon le sécher, afin d’en augmenter la durée de vie ? Mais pour combien de temps encore ? Sinon, comment faire pour porter sur soi ce garant de la bonne chance et du bonheur assuré sans le briser ?
© Books of Dante – 2023
