L’huile essentielle de térébenthine (Pinus pinaster)

La forêt des Landes à la Teste-de-Buch (Gironde).

Synonymes : pin des Landes, pin de Bordeaux, pin de Corte, pin mésogéen, pignada.

Dans les vieux textes, dès lors qu’on emploie le mot térébenthine et à plus forte raison cet autre, térébinthe, on peut être à peu près certain qu’il ne s’agit pas là de notre brave pin maritime, mais de ce petit arbre sacré pour les juifs, le pistachier térébinthe (Pistacia terebinthus) et dont l’un des cousins, le lentisque (Pistacia lentiscus), se fit (re)connaître pour avoir offert aux Anciens cette oléorésine qu’on récoltait, entre autres, sur cette petite île de la mer Égée où naquit le père de la médecine, raison pour laquelle on lui voit encore porter le nom de térébinthe de Chios, bien que cet arbre ne soit pas un conifère à proprement parler, mais, tout comme la plupart d’entre eux, un résineux. Ici, le mot térébenthine ne se borne pas à dessiner l’appartenance botanique à une famille donnée de plantes, mais à les réunir par ce qu’elles possèdent de commun, c’est-à-dire des « oléorésines demi-liquides […] légèrement jaunâtres, de saveur chaude et d’odeur forte »1.

Résine, du latin resina, est avant tout issue du grec rhètinè, tandis que terminthos, puis térébinthos, se retrouvent dans l’expression térébinthiné-rhètinè pour qualifier la « résine de térébenthine », qu’elle qu’elle soit, pour autant qu’elle serve à coller et imperméabiliser, aussi bien pour faire adhérer les pansements et les emplâtres que pour renforcer le calfatage des navires. Térébinthos a eu une pléthorique descendance, puisque de nombreuses langues utilisent un mot proche du nôtre pour désigner peu ou prou la même chose : turpentine (anglais), terpentin (suédois, allemand), terpentijn (hollandais), terpentyna (polonais), terebentină (roumain), trementina (espagnol, italien). Cette racine commune a aussi accouché de termes qu’en aromathérapie l’on connaît bien : terpène, terpinéol, terpinolène, déterpéner, etc.

Il existe autant de latitude entre le terminthos grec et la plupart des termes actuels qui désignent aujourd’hui la térébenthine, qu’il a pu y en avoir entre la térébenthine qu’utilisait ma mère lorsqu’elle peignait à l’huile et les souvenirs de nos vacances passées dans les Landes à l’été 1983, où surnagent l’image d’un gigantesque chêne sur l’écorce duquel progressait à pas lents cet insecte géant qu’est le lucane cerf-volant, un apocalyptique orage de grêle aussi brutal que soudain qui décharna ce chêne d’une multitude de feuilles, ou encore – typique de carte-postale – la silhouette échassière du berger landais qui se glisse en silence sur des tapis de bruyères et joue à cache-cache avec les fûts monolithiques des pins maritimes qui procurent d’étranges sensation d’hallucination visuelle… Mais un sifflement se fait entendre ! Serait-ce le tac, lutin malicieux dont la voix imite le bruit du bridon que le gemmeur glisse sur la care pour la rafraîchir ?…

Crot et crampon fichés dans la care d’un pin maritime.

En langage moins sibyllin, décrivons donc en détails cette opération qu’on appelle le gemmage et dont les premiers éléments nous sont fournis par Simon Morelot : « On le [c’est-à-dire le pin] travaille depuis le 4 février jusqu’au 22 octobre selon que la température est plus ou moins élevée. On lui fait une entaille ou incision avec une hache [NdA : le hapchot qui n’est pas à proprement parler une hache] dont le coin du tranchant est voûté en dehors, pour qu’il n’entre pas trop avant dans le bois. On commence au pied de l’arbre, et on monte successivement en la renouvelant et coupant du bois une fois tous les huit jours, quelquefois deux »2. A l’entour de l’arbre s’entassent les galips, c’est-à-dire les copeaux de bois imprégnés de résine, tandis que plus l’arbre grandit, et plus il se constelle, d’un côté puis de l’autre, de ce que l’on appelle les cares (ou visages), qui donnent à chaque pin l’allure d’un climax, cette initiatique échelle chamanique. Au pied de l’arbre, se trouve le crot dans lequel s’écoule la térébenthine brute (qu’on appelle aussi gomme molle ou résine molle) de couleur laiteuse ou « d’un blanc jaunâtre, épaisse, pleine d’ordures, laquelle coule du pin dépouillé de son écorce »3. Je me souviens aussi de ces pots – cônes tronqués de terre vernissée – fichés dans le tronc de chaque arbre, situés sous les cares et dont une lamelle en zinc, le crampon, guidait la résine jusqu’à eux. La résine, convoitée par le gemmeur, circule dans des canaux à résine qui se propagent à l’ensemble de l’arbre, ses racines, ses rameaux, ses aiguilles. Produit secondaire du métabolisme des résineux, la résine n’est pas une sève, mais s’écoule du tronc après incision accidentelle ou, dans le cas du gemmage, volontairement exercée sur des arbres âgés d’au moins 30 ans, bien élagués et distants les uns des autres de 4 à 4,50 m. Naturellement, cette résine protège l’arbre des attaques fongiques, des insectes qui chercheraient à s’introduire dans l’arbre en y creusant des galeries. Ce mode défensif permet à l’arbre d’éviter qu’un insecte ne pénètre trop avant. Car si c’était le cas, il pourrait être amené à sectionner les canaux par lesquels circule la sève élaborée, ce qui mènerait, in fine, à la mort de l’arbre. Ce qui n’était effectivement pas l’objectif quand on décida du peuplement forestier des dunes du sud-ouest de la France, autrefois terrains siliceux et arides constituant des sols sur lesquels le pin maritime vient particulièrement bien après amendement, ce qui en décida la culture en grand de Bordeaux à Bayonne dès la fin du XVIIIe siècle (de même qu’en Bretagne, Sologne, Maine, Pyrénées-Atlantiques et Pyrénées-Maritimes pour des raisons identiques). En effet, afin de faire face à l’ensablement du golfe de Gascogne, résultat visible d’une érosion tant terrestre que marine, il fut décidé, à la fin du XVIIIe siècle, d’endiguer le déplacement et l’avancée du champ de dunes, parce qu’alors on pouvait voir, de Bayonne à la Pointe de Grave, une étendue désertique de 200 km de long, s’enfonçant parfois jusqu’à près de 5 km à l’intérieur des terres, ensevelissant les cultures, noyant sous sa masse de blanche arène les forêts et les vignes, engorgeant les cours d’eau forcés à s’étaler en d’insalubres nappes marécageuses, menaçant parfois jusqu’aux villages où les habitants pâtissaient déjà de la maigre misère qu’ils parvenaient encore à arracher à la glèbe hostile, en plus des miasmes épidémiques en provenance de ces masses d’eau fangeuse et croupie qui émaillaient tout ce territoire. C’est donc à Nicolas Brémontier (1738-1809) que l’on doit la mise en œuvre des travaux qui allaient permettre, dès 1786, à immobiliser les dunes : « Par des clayonnages disposés à l’encontre du vent de l’ouest, par des couvertures de branchages que des crochets de bois fixaient au sol, par des semis de plantes herbacées ou semi-ligneuses, le gourbet, le genêt et l’ajonc, on parvint à fixer momentanément les sables et à donner aux jeunes semis de pin maritime l’abri et la protection temporaires qui seuls pouvaient leur permettre de se développer »4. La seconde partie de cette œuvre séculaire fut initiée par la loi du 19 juin 1857, relative à l’assainissement et à la mise en culture des Landes de Gascogne, vaste étendue stérile de landes et de bruyères. Elle fut confiée aux bons soins d’un autre ingénieur, Jules François Hilaire Chambrelent (1817-1893) qui, avant même de pouvoir planter du pin maritime en second rideau, dû drainer la zone par force crastes et canaux. En une quarantaine d’années (1859-1900), on ajouta à l’arbre luttant contre le minéral, une forêt chargée de faire fuir la misère sordide et d’attirer vers l’homme le confort argenté, car les populations de ces territoires inhospitaliers paraissaient tant abandonnées des dieux, que l’« on raconte même que dans les régions les plus désertes, quand on voulait vendre une terre, on conduisait l’acheteur sur une éminence et on lui cédait pour quelques francs toute l’étendue où il pouvait faire entendre sa voix »5, manière de montrer que ces terres infertiles ne valaient pas tripette en raison, donc, de l’invasion des sables qui forçait les habitants à la fuite et au marais qui « leur infusait le lent poison de la fièvre »6. Au nombre des avantages qu’un tel chantier put faire valoir, l’on peut en dicter plusieurs dont le recul de certaines maladies et l’augmentation concomitante de l’espérance de vie des habitants des lieux. A cela, on peut en ajouter un autre et pas des moindres, c’est-à-dire l’exploitation de la plantation de pins maritimes pour le bois et la résine. La première option amène à couper les arbres dès lors qu’ils atteignent un âge de 45 à 55 ans, ce qui produit environ 300 à 400 m3 de bois à l’hectare. Selon sa qualité, ce bois se destine à des usages fort différents : du bois d’œuvre (aujourd’hui constitué en France à 70 % de résineux : sapin, épicéa puis pin maritime), du bois à pâte à papier (aujourd’hui constitué en France à 68 % de résineux : épicéa puis pin maritime). Au XXe siècle, on employait fort le bois du pin maritime pour les poteaux télégraphiques, les traverses de chemin de fer, les étais de mine, le pavage, etc. Les exportations se dirigeaient en Grande-Bretagne, venant y concurrencer les bois scandinaves, en Espagne et en Amériques. Quant à la résine du pin maritime, elle trouva tant de débouchés qu’en faire ici la liste complète et détaillée serait fort fastidieux. Mentionnons seulement les grands domaines à travers lesquels elle entrait plus ou moins activement en fonction : la fabrication de colles, de vernis et de savons. C’était là le fait de la colophane (qui tire son nom d’une ancienne ville grecque d’Ionie en Asie mineuse, Colophon), l’un des sous-produits de l’extraction de l’essence de térébenthine. Connue des violonistes qui la passent sur le crin de leur archet, elle porte encore le nom de colophone, d’arcanson et de bray. Ce résidu sec et friable, de couleur jaune doré plus ou moins transparent, trouva aussi un emploi dans le domaine thérapeutique, puisqu’on en composait des onguents, des emplâtres, des pommades et des sparadraps, puisque réduite en poudre la colophane s’avère être un bon hémostatique. De la résine du pin maritime découle encore la matière permettant de fabriquer de la graisse végétale (pour oindre les machineries, par exemple), des bougies, du noir de fumée, divers produits usités par l’industrie du dégraissage, des vêtements caoutchoutés et imperméables. Elle permettait encore de calfater les navires à coque de bois et de goudronner les cordages de ces mêmes navires. Il nous reste encore à évoquer deux autres sous-produits qui ont eu une assez grande importance en thérapeutique : il s’agit du goudron et de la poix jaune (on exclura la poix noire aux effets et usages similaires à ceux du goudron).

A droite, ce contre quoi Brémontier et Chambrelent eurent à lutter. A gauche, résultat de la lutte.
La dune du Pilat (vue aérienne). Couvrant à peine 2 km², c’est bien peu de chose par rapport à la surface conquise pas la forêt des Landes dont la superficie avoisine 1 million de km².

La poix jaune (ou blanche, dite encore poix de Bourgogne, barras, galipot), est une résine « solide, cassante, opaque, de couleur fauve foncé, d’odeur spéciale, de saveur douce, aromatique, sans amertume » et dont on faisait un strict usage externe, profitant aux affections locomotrices (rhumatismes, lumbago et maux de reins, douleurs et points de côté, névralgie et sciatique) et respiratoires (toux rebelle, catarrhe bronchique, tuberculose pulmonaire). En mêlant soigneusement deux parties de poix jaune à une partie de cire d’abeille, l’on obtient un cataplasme que l’on peut employer à la manière de cet emplâtre dont nous parle Fournier : « On peut soit l’étendre sur une peau souple ou sur un linge, soit la malaxer avec un peu de saindoux ; pour détacher l’emplâtre, on le soulève par un côté, puis on passe entre lui et la peau une barbe de plume huilée »7. Venons-en maintenant à ce goudron : il est tiré de la combustion lente opérée à l’abri de l’oxygène (j’en avais un peu parlé dans mon article dédié à Carbo ligni). L’opération de charbonnage consiste à former, à partir de bois épuisé par l’extraction résineuse, d’une part le charbon de bois, d’autre part le goudron de fosse. Face à un rendement moyen de 45 kg de ce goudron au m3 de bois, l’on pouvait préférer distiller ce même bois : le rendement était généralement plus important (70 kg/m3), mais le goudron ainsi produit est de moins bonne qualité. Il s’agit d’une substance sirupeuse noire, d’odeur empyreumatique désagréable et tenace, de saveur âcre et amère. Très peu soluble dans l’eau, le goudron lui communique néanmoins sa saveur et quelques molécules, à la façon d’un hydrolat aromatique imprégné d’une infime fraction d’huile essentielle. Par infusion d’une certaine quantité de goudron dans l’eau, on peut élaborer une eau de goudron médicinale. Pour cela, on malaxe 100 g de goudron à 100 g de poudre de charbon de bois jusqu’à former quelque chose qui ne poisse plus les doigts. On place une à deux cuillerées de cette mixture dans une bouteille d’eau d’un litre, on agite de temps en temps, et on laisse en contact une huitaine de jours. Passé ce délai, on filtre soigneusement le mélange. L’on peut boire de cette eau la journée durant et bénéficier des vertus apéritive, digestive, tonique de la sphère gastro-intestinale, diurétique et sudorifique de ce breuvage qui améliore encore les fonctions cutanées. D’autres recettes comme la teinture (10 parties de goudron en macération alcoolique dans 50 parties d’alcool rectifié) ou la décoction de goudron (15 à 30 g pour un litre d’eau) complètent l’offre thérapeutique et peuvent intervenir dans plusieurs catégories d’affections : troubles respiratoires (catarrhe pulmonaire chronique, tuberculose, asthme), vésicaux (catarrhe chronique de la vessie), locomoteurs (rhumatismes chroniques, goutte) et cutanées surtout, faisant merveille dans les maladies de la peau rebelles, les dartres, le psoriasis, l’eczéma, le prurigo, l’herpès, l’ichtyose, la gale et la teigne.

Goudron, poix et colophane sont aujourd’hui oubliés de la pratique thérapeutique. Il ne reste plus qu’à l’huile essentielle de pin maritime, autrement dit « essence de térébenthine », de tirer son aiguille du jeu. C’est ce que nous verrons tout à l’heure et qui nous donnera l’occasion de constater l’étendue de ses pouvoirs et l’amplitude de la mésestime dans laquelle elle est aujourd’hui placée…

Initialement originaire du bassin méditerranéen, le pin maritime put s’installer profitablement dans le quart sud-ouest de la France comme nous l’avons vu, non seulement parce que le climat s’y prête, mais aussi parce que la nature du sol lui est favorable : espèce calcifuge, il trouve son bonheur sur des sols siliceux de plein soleil, qui plus est lorsqu’ils sont acides, oligotrophes, sujets à l’hydromorphie, comme l’étaient ces terrains que Brémontier et Chambrelent s’ingénièrent à modeler afin d’y accueillir les jeunes pousses de pins maritimes.

Rhytidomes particulièrement marqués sur le tronc d’un pin maritime.

Grise et pâle chez les sujets juvéniles, l’écorce du pin maritime rougit avec l’âge, devenant même noire rougeâtre avec le temps. Sur le tronc, l’on voit les rhytidomes à grandes écailles plates séparés les uns des autres de failles profondes. Un tronc flexueux plus ou moins droit de 20 à 30 m de hauteur forme l’aboutissement du développement végétatif du pin maritime dont la longévité, dans un cadre naturel, peut atteindre le demi-millénaire. Les rameaux, qui peuvent croître de 30 à 40 cm par an, sont couverts de longues aiguilles réunies par deux dans une gaine roussâtre. Linéaires, fermes, épaisses, lisses, de section demi-circulaire, de couleur vert foncé, elles mesurent de 10 à 20 cm. A l’extrémité des rameaux, l’on trouve, sur les mêmes individus, aussi bien des cônes floraux mâles que femelles. Les premiers dispersent massivement par anémochorie un abondant pollen dès les mois d’avril et de mai (comme bien d’autres espèces de pins ; la prodigalité toujours !…) qui viendra à la rencontre des cônes femelles qui donneront naissance, une fois fécondés, à de grosses pommes de pin allongées, élargies à leur base, très volumineuses (elles peuvent atteindre jusqu’à 20 cm), aux écailles extérieurement éperonnées semblant être vernis d’un jaune luisant. Presque sessiles, ces pommes de pin sont presque collées par le cul sur la branche. L’ouverture des pommes de pin laisse libre court à l’envol des graines, pépins noirâtres dotés d’une ailette diaphane que le vent maritime emporte vers une place propice à leur vie future…

La pomme de pin géante du pin maritime.

L’huile essentielle de térébenthine en aromathérapie

Comme on a pu le pressentir, le mot térébenthine est un vocable polysémique : qui l’emploie sans plus de précision peut faire nourrir quelques doutes quant à l’identité du produit dont il parle. Excluons tout d’abord la térébenthine de Chios, puisque le produit qui nous préoccupe aujourd’hui est issu d’un arbre non seulement résineux mais aussi conifère. Ce qui nous amène à considérer uniquement les trois principales térébenthines8 que voici exposées avec davantage de détails :

  • La térébenthine des Vosges (ou d’Alsace, de Strasbourg) : issue du sapin argenté (Abies pectinata), de couleur jaune verdâtre, elle possède une visqueuse consistance de miel, car privée artificiellement de son essence par la cuisson. Son odeur est tenace, sa saveur est âcre et très amère.
  • La térébenthine de Venise (ou de Suisse, fine ordinaire, de Briançon) que l’on tire du mélèze, est assez liquide, un peu verdâtre, d’odeur forte, de saveur identique à la précédente.
  • La térébenthine de Bordeaux (ou de Bayonne) : substance consistante et opaque, de forte odeur presque désagréable, de saveur âcre et amère, très siccative à l’air, très solidifiable par le magnésium. C’est elle qui va orienter la suite de notre propos bien que cette oléorésine soit celle des trois qui contienne le moins d’essence aromatique (12 % contre près du tiers pour les deux autres), ce qui permet généralement un rendement toujours très avantageux car supérieur à 10 %. Cela explique en grande partie le faible coût final de cette huile essentielle, même en qualité biologique (300 à 400 € le litre).

Comme on le fait des autres oléorésines, on distille la térébenthine à la vapeur d’eau, non sans l’avoir au préalable purifiée (par fusion, décantation et filtration) afin qu’elle devienne « fluide, transparente, bien nette, d’un jaune clair »9 et qu’elle abandonne son caractère acide et visqueux, condition sine qua non pour en faire une substance officinale. C’est pourquoi cette huile essentielle de térébenthine rectifiée n’a pas de rapport avec l’essence de térébenthine du bricoleur. Cette huile essentielle, issue de la résine du pin maritime, est un liquide limpide, très volatile, incolore, de tonalité fraîche, résineuse et boisée. Très légère (densité 0,86 à 0,872), elle s’apparente un peu à sa cousine, l’huile essentielle distillée à partir des aiguilles du même pin. Moins fréquente, cette dernière est tout aussi fraîche, résineuse et boisée que la précédente, signe d’une composition biochimique comportant de nombreux points communs et quelques dissemblances très nettes comme nous allons pouvoir le constater ci-dessous :

Les données qui vont suivre maintenant concernent essentiellement la première de ces deux huiles essentielles.

Propriétés thérapeutiques

  • Pectorale, expectorante, mucolytique, modificatrice des sécrétions trachéo-bronchiques, anticatarrhale, décongestionnante des voies respiratoires, antiseptique des voies respiratoires
  • Diurétique, antiseptique des voies génito-urinaires, anti-inflammatoire rénale, sudorifique
  • Stomachique, dissolvante des calculs hépatiques et biliaires, cholagogue
  • Anti-infectieuse : antiseptique atmosphérique, antibactérienne (streptocoque), parasiticide
  • Anti-inflammatoire ostéo-articulaire, analgésique, antalgique, antirhumatismale
  • Astringente, détersive, vulnéraire, cicatrisante, résolutive
  • Rubéfiante, vésicante
  • Hémostatique, antihémorragique
  • Antispasmodique
  • Stimulante générale, fortifiante, tonique, anti-hyposthénisante
  • Augmente la chaleur générale
  • Oxygénante10
  • Active sur le système nerveux autonome

Usages thérapeutiques

  • Troubles de la sphère respiratoire + ORL : catarrhe pulmonaire chronique, bronchite, bronchite aiguë, bronchite fétide, tuberculose pulmonaire, toux invétérée, toux grasse, hémorragie pulmonaire, spasmes coquelucheux, asthme (?), laryngite, sinusite, abcès pulmonaire, pneumonie, pleurésie, péritonite
  • Troubles de la sphère vésico-rénale : cystite, cystite chronique, cystite hémorragique, catarrhe vésical chronique, pyélite, pyélonéphrite, néphrite albumineuse, néphrite calculeuse, urétrite, oligurie, rétention d’urine, paralysie de la vessie, blennorragie et écoulement vénérien (blennorrhée, gonorrhée), ulcère rénal, hydropisie
  • Troubles de la sphère gastro-intestinale : constipation, constipation opiniâtre, stupeur intestinale, diarrhée muqueuse, diarrhée colliquative des tuberculeux, parasites intestinaux (oxyure, ascaride vermiculaire, ténia), flatulences, colite, hémorragie intestinale
  • Troubles locomoteurs : affections rhumatismales et goutteuses (douleurs rhumatismales, rhumatoïdes et musculaires, goutte atonique), lumbago, arthrite, arthrose, contusion, fatigue musculaire, névralgie (sciatique), contraction musculaire du tétanos
  • Troubles de la sphère gynécologique : leucorrhée, leucorrhée atonique, hémorragie utérine, fièvre puerpérale
  • Affections cutanées : ulcère (sanieux, atonique, sordide, profond), plaie (atone, gangreneuse), coupure, brûlure, gangrène, pourriture d’hôpital, gale, pou (du pubis)
  • Troubles de la sphère hépatobiliaire : ictère, colique, hépatique, cholécystite, lithiase biliaire
  • Empoisonnement au phosphore, à l’opium, à l’acide hydrocyanique, salivation mercurielle
  • Migraine
  • Asthénie, fatigue nerveuse
  • Fièvre intermittente
  • Nuisibles : teigne, punaise de lit
  • Affections oculaires : choroïde chronique, iritis

Modes d’emploi

  • Huile essentielle : inhalation, olfaction, dispersion atmosphérique, en friction pure ou diluée (liniment : alcool camphré, huile camphrée). En usage interne, elle demeure du ressort du médecin (autrefois, on la faisait prendre sous forme de pilule de 0,20 à 0,25 g, à raison de trois à seize par jour, soit un à quatre grammes d’huile essentielle de térébenthine per os).
  • Emplâtres : fort nombreux. L’histoire a retenu l’emplâtre diachylon, l’emplâtre epispastique, etc., qui sont des compositions tombées en désuétude.
  • Baumes : l’on connaît encore celui de Fioravanti, qui est en fait un alcoolat de térébenthine composé (constitué pour base non pas de térébenthine de pin maritime, mais de mélèze) ; on peut y ajouter le baume du Commandeur, le baume de soufre térébenthiné, le baume d’Arcoeus, l’onguent napolitain, le sparadrap agglutinatif, etc.
  • Savon (ou savonule) de Starkey : combinaison de carbonate de potassium et d’huile essentielle de térébenthine. Il paraît que c’était là un produit de mauvais service.
  • Huile de Harleem : association de soufre dissout dans l’huile essentielle de térébenthine, puis capturée dans l’huile de lin. On la trouve encore dans certains commerces de détail.

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • L’huile essentielle de térébenthine est absorbée par les muqueuses des voies respiratoires, de l’estomac, de l’intestin et par la peau. Elle s’élimine normalement par la muqueuse bronchique, les urines et l’interface cutanée. Cependant, à « doses plus fortes, elle diminue ou même tarit les sécrétions en modifiant les muqueuses par élimination des principes volatiles »11, conférant aux urines cette caractéristique odeur de violette.
  • Toxicité : aujourd’hui, l’on se contente le plus souvent de signaler les propriétés rubéfiantes et vésicantes de l’huile essentielle de térébenthine sur la peau : cette irritation cutanée peut révéler une vraie allergie (du moins la manifestation d’une propriété allergisante in potentia). On va parfois même jusqu’à évoquer une dermocausticité, une irritation oculaire, etc., tout cela se bornant strictement à la peau depuis que l’on n’emploie quasiment plus l’huile essentielle de térébenthine à l’intérieur. Voici tout de même un bref aperçu de ce qu’elle est susceptible de provoquer à travers un usage interne : – à petites doses : elle amène une chaleur douce et réconfortante au creux de l’estomac ; – à doses intermédiaires (4 à 8 g) : cette sensation de chaleur au niveau stomacal augmente, gagne en âcreté, s’épand au pharynx et aux voies urinaires, autrement dit rayonne, irritant la vessie jusqu’à causer de l’hématurie, c’est-à-dire du sang dans les urines. Surviennent des désordres gastro-intestinaux (diarrhée, colique, parfois vomissement), tandis que s’installe un état d’excitation générale parfois accompagné d’anxiété (l’huile essentielle de térébenthine opère de même chez les animaux, les chiens du moins, les irritant et les rendant passablement inquiets) ; – à doses élevées (15 à 120 g) : s’écarte des voies urinaires, borne son action sur les voies digestives, devient purgative, parfois même éméto-cathartique. La respiration ralentit, de même que la circulation du sang. Une sorte d’ivresse vertigineuse avec maux de tête et troubles nerveux s’installe parfois dans le cours de l’intoxication, tout cela pouvant mener au coma puis au décès. Ce dernier cas de figure détermine deux intoxications bien dissemblables : la première est aiguë et presque toujours la résultante d’un usage thérapeutique disproportionné. On observe alors des phénomènes congestifs au niveau du visage, une salivation extrême en même temps que la gorge, douloureuse, appelle à la soif inextinguible. Puis cela porte au niveau gastro-intestinal (vomissement, colique et dilatation gazeuse du ventre, diarrhée). Enfin, un refroidissement général peut se faire ressentir. La seconde forme d’intoxication est chronique et imputable à une exposition répétée à l’essence de térébenthine dans un cadre non thérapeutique. Dissolvant des résines, des baumes, du camphre, des graisses, du caoutchouc, du phosphore, de la cire, du soufre, etc., l’homme comprit très tôt le profit qu’il pouvait tirer de l’essence de térébenthine industrielle, l’utilisant dans la manufacture des vernis, des peintures, du caoutchouc, des teintures, de la cire à cacheter, des encres d’imprimerie, mais encore en chaudronnerie, ferblanterie, étamage, ébénisterie, dégraissage, etc. Tout ces corps de métier étaient donc exposés plus ou moins chroniquement aux émanations de l’essence de térébenthine, dont la toxicité se transpose à l’organisme en affectant la tête (céphalée et vertige), les yeux (troubles visuels, conjonctivite), la sphère ORL (irritation de la gorge et du larynx, irritation des muqueuses nasales) et la sphère pulmonaire (irritation des muqueuses bronchiques). Le système urinaire est également touché : on remarque une difficulté de miction (oligurie), ainsi que du sang dans les urines (hématurie).
  • Une fois que le thérapeute avait écarté tous les motifs d’intoxication de ses patients par l’usage interne de l’huile essentielle de térébenthine, encore lui fallait-il prendre compte des susceptibilités de ceux-ci afin de « suspendre l’emploi de ce moyen lorsque les spasmes, la strangurie, des urines sanglantes, des douleurs plus ou moins vives dans les voies urinaires se manifestent, et, dans tous les cas, ne l’employer que lorsque les symptômes inflammatoires ont cédé au traitement antiphlogistique préalable »12. C’est pour cela que l’huile essentielle de térébenthine est contre-indiquée absolument dans la plupart des inflammations et/ou irritations des voies urinaires et du tube digestif, dans les catarrhes aigus, enfin chez les sujets pléthoriques, sanguins et irritables. Tout cela participe au fait qu’actuellement l’huile essentielle de térébenthine n’ait pas bonne presse ; on la soupçonne même d’être néphrotoxique. Il faut dire que la sophistication dont elle a été l’objet n’a pas milité en sa faveur : au XVIIe siècle, Pierre Pomet évoquait déjà le travail de duperie orchestré par les « goureurs », l’huile essentielle de térébenthine se faisant justement appelée « goure », c’est-à-dire « drogue falsifiée », pour cette raison. Après avoir été artificiellement modifiée afin de passer pour ce qu’elle n’est pas, l’huile essentielle de térébenthine a été assez largement employée pour couper d’autres huiles essentielles, terpénées ou non, comme celles de cyprès, de lavande aspic ou encore de genévrier officinal. Bien qu’à l’état non coupé l’huile essentielle de térébenthine soit agréée par l’AFSSAPS, il n’en reste pas moins qu’elle a bel et bien perdu l’attractivité dont elle était autrefois parée.

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  1. Larousse médical, p. 1209.
  2. Simon Morelot, Nouveau dictionnaire général des drogues simples et composées, Tome 2, p. 515.
  3. Jean-Baptiste Chomel, Abrégé de l’histoire des drogues usuelles, p. 200. Par « ordures », il faut entendre saletés, c’est-à-dire des débris végétaux, des insectes, des grains de sable, etc.
  4. Émile Cardot, Le manuel de l’arbre, p. 51.
  5. Ibidem, p. 53.
  6. Ibidem, p. 52.
  7. Paul-Victor Fournier, Dictionnaire des plantes médicinales et vénéneuses de France, p. 764.
  8. On a extrait des « térébenthines » de bien d’autres conifères : pin d’Alep, pin cembro, pin laricio, pin des marais, etc.
  9. Simon Morelot, Nouveau dictionnaire général des drogues simples et composées, Tome 2, p. 516.
  10. Par l’action de l’air, l’huile essentielle de térébenthine fixe l’oxygène et s’oxyde donc facilement : « L’essence oxydée possède des propriétés elles-mêmes oxydantes, proches [NdA : identiques] de celles de l’ozone : c’est le principe du ‘bol d’air Jacquier’ » (Michel faucon, Traité d’aromathérapie scientifique et médicale, p. 653). Plus elle s’oxyde, et plus elle s’acidifie, jaunit puis brunit, s’épaissit jusqu’à la viscosité.
  11. Paul-Victor Fournier, Dictionnaire des plantes médicinales et vénéneuses de France, p. 761.
  12. Ibidem, p. 766.

© Books of Dante – 2022

Le berger et le pin des Landes, deux marqueurs visuels forts ayant largement contribuer à l’identité d’un paysage.
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2 réflexions sur “L’huile essentielle de térébenthine (Pinus pinaster)

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