Pourquoi le renard a-t-il si mauvaise réputation ?

Crédit photo : Miki Yoshihito.

Héros créateur et animal de la sagesse instinctive chez les Amérindiens, symbole de longévité pour les Chinois, le renard est également pour les Japonais un animal éminemment positif, protecteur de la nourriture, tel qu’on lui voit jouer cette fonction comme compagnon (ou figuration) d’Inari, déesse de l’abondance.

Mais alors, d’où vient que cet animal ait si mauvaise presse par chez nous ?

Remarquablement endurant, le plus commun des carnivores européens, s’accommode effectivement de milieux très variés, faisant preuve d’une capacité d’adaptation qu’il faut très certainement mettre sur le compte de son intelligence hors du commun. Ainsi disait Hildegarde : « grâce à ce qu’il tient du lion, il connaît beaucoup de choses ; à cause de ce qu’il tient de la panthère, il a un caractère changeant et connaît un peu l’homme »1. Bien qu’écrivant cela au XIIe siècle, l’abbesse ne prend pas en mauvaise part celui que l’on n’appelle pas encore renard, mais de manières bien différentes : goupil le plus souvent, plus rarement volpil duquel découle l’actuel nom scientifique latin du renard, Vulpes, contraction de la locution volitans pedibus, qu’en français l’on peut traduire par : « qui virevolte avec ses pieds ». Pourquoi un tel charabia qui fait penser que le renard est doué pour la danse ? Cette désignation cherche à mettre en lumière l’habitude qu’a le renard de ne jamais marcher droit, d’aller de travers, faisant force tours et détours sinueux et tortueux. Comptant sur le fait qu’il s’aventure rarement en terrain découvert, il n’en fallait pas davantage pour voir en lui un individu dénué de franchise. C’est là une évidente preuve de sa fourberie, de sa sournoiserie et de sa perfidie. Mais cette réputation ne naît pas avec le Moyen-Âge, puisqu’aux temps antiques les fables animalières, telles que celles d’Ésope, décrivaient le goupil avec la même valeur de fausseté.

Les XIIe et XIIIe siècles représentent l’âge d’or des bestiaires médiévaux. Ils ne sont pas à proprement parler des ouvrages de zoologie comme nous l’entendons à l’heure actuelle, puisque « chaque espèce est représentée par un animal ayant un nom propre, choisi en rapport avec ses caractéristiques physiques ou sa symbolique traditionnelle »2. Utiliser le renard, en usant d’une allégorie, c’était une bonne manière qu’avaient les auteurs des bestiaires de faire la morale aux hommes : ceux de peu de vertu s’avancent dans l’existence par des moyens détournés et se refusent à observer en face les commandements et les enseignements de l’Église. Le renard ne put dès lors pas être rangé au nombre des créatures de Dieu, d’autant que ses mœurs nocturnes et nécrophages en firent un animal lunaire et infernal. « Ce goupil, expert en perfidie, représente celui qui tourmente les hommes et qui sans cesse leur fait la guerre : le diable »3.

Les ruses du renard….

C’est donc un véritable réquisitoire qui s’abat sur l’échine du goupil au Moyen-Âge. En plus des griefs que nous avons déjà relevés, voici ce que l’on reproche encore à cet animal : faisant preuve de méchanceté gratuite, il berne largement son monde, n’hésitant pas à fournir une aide (non désintéressée) indispensable à la réussite d’une entreprise crapuleuse ou à l’élaboration d’un stratagème sournois, ce qui lui vaut régulièrement d’être traité de voleur, de menteur, de traître, de filou, d’être inconstant et rusé, moqueur et flatteur. A lui seul il globalise toute l’artificieuse hypocrisie de Satan. Les raisons de cet acharnement tiennent en une incontournable caractéristique : le pelage roux de la bête. Qu’il oscille du roux pâle au roux foncé, et même s’il est parfois plutôt brun-jaunâtre, le renard, dans l’imaginaire collectif, est indéfectiblement associé au roux, une abominable couleur qui signale la fausseté, la trahison et le mensonge de celui qui la porte, à l’image de nombreux personnages bibliques et de romans de chevalerie (Caïn, Ganelon, Judas, etc.). Pour preuve de sa culpabilité, le traître roux ne cherche, la plupart du temps, qu’à dissimuler sa rousseur. Malheureusement pour le goupil, le roux est durant le Moyen-Âge la seule couleur qui ne connaisse pas d’ambivalence. Désastreuse union du jaune et du rouge, le roux est toujours pris en mauvaise part. On le rapproche du rouge, mais il n’a rien de céleste, comme le rouge solaire. Au contraire, sa proximité avec les enfers en fait un rouge chthonien. S’il est feu, alors c’est un feu impur, un « feu infernal dévorant [qui jette l’homme dans] les délires de la luxure, la passion du désir, la chaleur d’en bas, qui consument l’être physique et spirituel »4. Avec l’odeur de plus en plus sulfureuse qu’il répand, l’on pourrait imaginer que le renard a maille à partir avec la sorcellerie. Cependant, à la sorcière n’échoie pas systématiquement une chevelure rousse : cela, c’est l’apanage de la sorcière « romantique » telle qu’on l’imaginait et la dépeignait au XIXe siècle surtout. A aucun moment l’on a vu son sérail d’animaux emblématiques être grandi de la malicieuse présence rousse d’un renard. Tant mieux pour lui, la sorcière ayant d’autres chats (noirs) à fouetter ! Non, décidément, pas besoin de tour de magie, le renard va tomber dans le piège de la langue. Pour le mieux comprendre, il faut se tourner en direction du Roman de Renart, œuvre composite narrant les aventures de Brun l’ours, Tibert le chat, Ysengrin le loup ou encore Noble le lion. Quant au goupil, on lui a donné Renart comme prénom, un mot provenant du germanique raginhart, qui signifie à peu près : « être fort hardi pour donner des conseils ». Ce qui n’était alors que son prénom va passer dans le langage courant, par le biais d’une figure de style que l’on appelle antonomase. Ainsi, le Renart du roman médiéval donnera-t-il son prénom à tous les renarts de France et de Navarre, et se fixera sur sa forme définitive, renard avec un d final, au XVIe siècle. En plus de ce legs patronymique, la mauvaise réputation du premier, largement dépeinte par les récits qui composent les aventures de Renart, va également, et par malheur, assurer celle des seconds.

… valent bien celles de Maître Renart !

Tout cela a concouru à la destruction impitoyable du renard. L’on invoqua la rage pour cela. Mais l’éradication du renard avait déjà cours bien avant l’irruption du virus de la rage qui, bien évidemment, n’a fait qu’augmenter la vindicte entretenue à l’encontre de cet animal, alors que cette maladie affecte plus favorablement les animaux domestiques (cheval, porc, mouton, chèvre, bœuf, chat et surtout chien) que sauvages. A une époque où l’immonde superstition le dispute au domaine scientifique, l’on voit apparaître cette maladie provoquée par un virus neurotrope dont les symptômes sont essentiellement neurologiques. Sa forme dite « furieuse » (causant dépression, tristesse, nuits cauchemardesques, hallucinations parfois et sensation d’angoisse qui oppresse la poitrine), comme celle qualifiée d’hydrophobique, laissent place à un ensemble de manifestations qui ne se réduisent pas au seul désir viscéral de lacérer de ses dents la chair de son prochain. Mais la rage peut faire passer le malade pour une victime du démon qui lui insuffle la folie. A ce titre, il n’est pas très étonnant qu’on ait cru capable le renard de provoquer des cas de possessions démoniaques, puisque le comportement des enragés y fait beaucoup penser.

Aujourd’hui, l’on peut dire que les possédés du démon, ce sont bel et bien les contempteurs bêtes et méchants du renard qui les obsède malgré lui, ce qui ne devrait plus avoir cours, d’autant moins que la rage a été éradiquée sur le territoire français il y a 20 ans. Hélas, les opinions fausses sont tenaces dans leur enracinement. Elles s’ancrent dans un archaïsme aussi menaçant que les pièges à mâchoires dont on use encore pour capturer cet animal (on estime entre 500 000 et un million le nombre de renards annuellement exterminés en France). Pourtant, un examen attentif débarrassé des filtres moralisateurs, prenant en considération les faits et l’observation objective, permet de rendre compte d’une réalité qui est tout autre : le renard, que les bestiaires donnaient comme l’ami du corbeau, est facilement mis en fuite par ces petits corvidés que sont les choucas, surtout lorsqu’en masse ils le harcèlent du bec. La fable nous raconte que si le coq pousse avec plus d’ardeur son cri durant la nuit, c’est pour éloigner le renard qui rôde alentours. L’on raconte encore que le renard doit lutter contre le coq lorsqu’il lui vient l’idée alléchante de pénétrer dans le poulailler. Mais ce ne sont là qu’affabulations. A la vérité, « un renard peut être mis en fuite par une poule suitée de poussins »5. Enfin, l’on peut dire que les Japonais n’eurent pas tort de faire du renard une divinité protectrice des denrées alimentaires : en effet, en mettant les ravageurs à son menu, le renard ne limite-t-il pas la destruction des cultures ?

Araser les anciennes croyances superstitieuses est d’autant plus salutaire que convoquer de vieux griefs ne passe généralement pas pour un signe d’assouplissement de l’esprit.

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  1. Hildegarde de Bingen, Physica, p. 260.
  2. Michel Pastoureau, Bestiaires du Moyen-Âge, p. 307.
  3. Guillaume le Clerc, Le bestiaire divin, p. 91.
  4. Jean Chevalier & Alain Gheerbrant, Dictionnaire des symboles, p. 834.
  5. Zoo de Haye – GECNAL, Je découvre les animaux sauvages, p. 152.

© Books of Dante – 2021

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