Le charbon actif (Carbo ligni ou Carbo vegetabilis)

Comme l’indiquent les adjectifs latins ligni et vegetabilis, nous évoquerons ici le seul charbon dit de bois, abandonnant le charbon animal (ou noir animal), ainsi que le charbon de terre, de pierre ou minéral, autrement dit la houille. Au reste, le mot charbon lui-même rend bien compte de cette prime origine : si l’on s’en tient au latin carbo, on demeure dans le domaine de la braise, que l’on obtient à partir d’un mot de langue celte, car, signifiant « bois », après qu’il ait été passé au gril indo-européen par le biais du mot ker qui veut dire « brûler ». Étymologiquement, je crois que l’on comprend l’idée.

Un charbonnier charbonne dans sa charbonnière où nulle mésange du même nom ne se pose sans se faire charbonner les plumes ni carboniser la viande à l’état de carbonnade ! ^.^

Laissons à un maître-charbonnier le soin de nous expliquer comment l’on élabore une meule, qui devra être établie sur un terrain plat, uni et bien battu : « C’est une rude besogne, et capricieuse […] ; d’abord il faut chercher un bon cuisage, abrité du vent et à proximité des routes forestières ; puis il y a le dressage du fourneau, qui est une opération délicate, exigeant de la patience et du savoir. Sur l’emplacement choisi, on compte huit enjambées ; c’est le diamètre du fourneau. Au centre, avec des perches fichées en terre, on ménage un vide qui servira de foyer. Les premiers bâtons ou attelles dont on entoure ce vide doivent être secs et fendus par quartier, le haut bout appuyé contre les perches. Tout autour, on place une rangée de rondins, puis une seconde, une troisième, et ainsi jusqu’à l’extrémité du cercle. C’est le premier lit ; il ressemble quasiment aux grandes toiles rondes des araignées d’automne. Sur ce premier lit, on en élève un second, qui se nomme l’éclisse, et on continue de la sorte, de façon que le fourneau tout entier prenne la forme d’un large entonnoir renversé. Le troisième lit a nom le grand haut, le quatrième et le cinquième s’appellent le petit haut. Le dressage terminé, il faut habiller le fourneau d’un épais manteau qui le mette à l’abri de l’air. On le couvre d’une garniture de ramilles sur lesquelles on applique une couche de terre fraîche, épaisse de trois doigts ; enfin on répand sur le tout le frasil, c’est-à-dire une cendre noire prise sur une ancienne place à charbon. Le sommet du fourneau étant resté à découvert, on y met le feu au moyen de broussailles et de charbons allumés ; le courant d’air s’établit, et le bois commence à brûler… Alors seulement viennent les vraies fatigues et les tracas du métier. Le charbon est comme un enfant gâté sur lequel il faut veiller jour et nuit. Quand la fumée, blanche d’abord, devient plus brune et plus âcre, on bouche les ouvertures avec de la terre ; puis, douze heures après, on redonne un peu d’air. Le charbonnier doit toujours être maître de son feu (1). Si le charbon gronde, c’est que la cuisson va trop vite, et avec le râteau on applique du frasil sur les ouvertures ; si le vent s’élève, autre souci : il faut abriter le fourneau avec des claies d’osier. Enfin, après mille maux et mille soins, la cuisson s’achève. Le fourneau s’aplatit lentement, on l’éventre d’un seul côté, et le charbon paraît noir comme une mûre, lourd et sonnant clair comme argent » (2).

Cette combustion à « l’étouffé » est donc très longue et incomplète, ce qui, au reste, est le but recherché, sans quoi le bois serait irrémédiablement réduit à l’état de cendres. Depuis lors, les choses ont bien changé, le charbon de bois se fabrique à l’aide d’appareillages spéciaux (tunnels, cornues). Dans un cas comme dans l’autre, on obtient du charbon de bois, combustible léger, qui ne fume pas ou très peu lorsqu’on le fait brûler, et qui, par combustion, libère de l’acide carbonique, émanation gazeuse à laquelle on prenait soin de faire attention autrefois, en particulier lorsque le charbon était employé en cuisine ainsi que dans les appareils de chauffage (quand l’oxygène vient à manquer, le charbon produit des oxydes carboniques, monoxyde de carbone et dioxyde de carbone, entre autres).
Mais ce qui, auparavant, contentait la cuisinière, n’a pas sa place au sein de la pratique thérapeutique, le charbon dont nous allons maintenant parler, c’est-à-dire le charbon médicinal, s’obtenant de manière bien différente, en faisant calciner en vase clos des rameaux de peuplier noir âgés de trois à quatre ans, d’après les quelques lignes que concède Fournier au sujet. Mais le peuplier n’est pas le seul arbre convié à cette pratique, puisqu’elle exploite aussi les bois du saule, du tilleul, du bouleau, du pin, du hêtre, du chêne et, plus récemment, des coques de noix de coco. Fournier ajoute que ce charbon subit le traitement dont voici le déroulement : « on le fait ensuite bouillir dans de l’eau mélangée avec 1/32 ème d’acide chlorhydrique, on le lave, on le sèche et on le réduit en poussière » (3), forme pulvérulente qui est, selon certains, la forme galénique la plus efficace. Déjà très poreux naturellement, le charbon de bois, une fois réduit en poudre, voit sa surface d’échange devenir plus importante, ce qui accroît son efficacité. Mais nous verrons, au chapitre des posologies et modes d’emploi, que la forme a parfois son importance, et pas seulement pour de basses raisons esthétiques. Posons nous maintenant l’essentielle question que voici : médicalement, le charbon actif, ça sert à quoi ?

Pots d’apothicaire. De gauche à droite : Pix carbonis (ou coaltar = goudron de houille), Carbo ligni, Sapo mollis (savon mou) et Aurantii cortex (écorce d’orange amère).

Propriétés thérapeutiques

  • Apéritif, sialagogue (= augmente les sécrétions salivaires), digestif, désinfectant des voies gastro-intestinales, constipant
  • Désodorisant et assainissant de l’air (odeur de renfermé, pièce où séjourne longtemps un malade, etc.)
  • Désodorisant et assainissant de l’eau (il est possible de débarrasser une eau de son odeur douteuse en y plongeant quelques charbons rougeoyants)
  • Antiputride (faire bouillir une viande putréfiée ou faisandée avec du charbon de bois la débarrasse des matières organiques en décomposition), prévient la putréfaction (il s’y oppose avant même qu’elle ne s’installe. Autrefois, pour éviter que les plus fragiles aliments du garde-manger ne se gâtent trop rapidement, on les encerclaient d’une ligne de poudre de charbon de bois, véritable cercle de protection)

Note : à partir de là, on a pu dire du charbon actif qu’il était un contrepoison universel, ce qui est parfaitement faux, et malheureusement relayé ici et là, un peu partout sur Internet, par le biais d’un épisode qu’on veut historique mais qui ressemble beaucoup à une légende urbaine, et dont voici la trame : on explique qu’en 1813, un chimiste français ayant pour nom Bertrand, se serait prêté à une expérience publique cherchant à établir la valeur alexipharmaque du charbon (actif ?). Pour cela, il absorbe volontairement cinq grammes de trioxyde d’arsenic, un produit hautement toxique qu’on trouve, à raison, dans la mort-aux-rats. Mais à aucun moment de cette histoire l’on fait intervenir le charbon de bois. Ce chimiste l’absorbe-t-il avant, après, ou bien en même temps que le poison ? Nul ne sait. Cet élément n’existe pas dans l’énoncé : on laisse l’initiative au lecteur de déduire que Bertrand a forcément utilisé du charbon. L’on préfère s’attacher à l’élément dramatique de la scène, sous-tendu par le suspens : avec une telle dose de poison, on s’attend à voir Bertrand trépasser dans d’horribles souffrances, qui ne surviennent pas, abandonnant tout au contraire la place à l’élément du merveilleux : il est toujours en vie, c’est un miracle (ce qui est conforme à la construction de la légende urbaine, dont l’élément ici présenté a plus de rapport avec la démonstration du camelot de foire ou du prestidigitateur, qu’avec le rigoureux exposé de faits scientifiques). Tout au plus le charbon actif est-il :

  • Adsorbant et absorbant des gaz putrides, de certaines bactéries infectieuses et surtout des toxines que bon nombre d’entre elles relarguent dans l’organisme (le charbon agit à la manière de l’argile : les produits adsorbants fixent à leur surface les toxines, alcaloïdes et autres ; à distinguer de l’absorption, phénomène dans lequel les produits sont pompés par l’argile ou le charbon actif)
  • Participe à la détoxication de l’organisme (mais cela ne signifie pas qu’à lui seul il fait tout le travail, c’est d’autant moins vrai dans les cas d’intoxication accidentelle où, la plupart du temps, lorsqu’on fait appel à son aide, il seconde assez souvent d’autres pratiques complémentaires comme le lavage d’estomac par exemple)
  • Participe à la détoxication hépatique

Usages thérapeutiques

  • Troubles de la sphère gastro-intestinale : dyspepsie, dyspepsie flatulente, fermentation malodorante (gastrique comme intestinale), fétidité des selles, diarrhée, fièvre typhoïde, tourista, gastro-entérite, météorisme intestinal, aérophagie, ballonnement, dilatation stomacale, nausée, renvoi acide, aigreur d’estomac, pyrosis, halitose, fétidité de l’haleine
  • Troubles de la sphère hépatique : excès de cholestérol, excès de triglycérides
  • Affections bucco-dentaires : ulcération des gencives, inflammation chronique des gencives, hygiène bucco-dentaire
  • Affections cutanées : plaie, plaie suppurante, plaie à tendance fétide
  • Affections gynécologiques : leucorrhée, fétidité des sécrétions dans le cancer de l’utérus
  • Intoxications :
    – par des plantes : belladone, datura stramoine, jusquiame, aconit tue-loup, vératre, if, colchique, cytise, bois gentil…
    – par des champignons : amanite phalloïde, amanite tue-mouche…
    – par des coquillages
    – par les métaux lourds : aluminium, mercure, cadmium, etc. (à l’exception de ceux qui sont déjà stockés dans les cellules graisseuses : ils sont inatteignables par le charbon actif, même administré par voie interne et à forte dose)
    – par le chlore, le bioxyde de chlore
    – par l’ozone
    – par les nitrates
    – par tout un tas d’autres produits chimiques dont la liste est trop longue à communiquer ici, mais dont je donne néanmoins quelques spécimens connus du grand public : bisphénol A, benzène, kérosène, glyphosate, etc.
    – par des toxines larguées dans l’organisme par bon nombre de bactéries parmi lesquelles nous trouvons : le staphylocoque doré (Staphylococcus aureus), les salmonelles (Salmonella sp.), le bacille de Klebs-Loeffler (Corynebacterium diphtheriae), Clostridium tetani responsable du tétanos, Clostridium botulinum responsable du botulisme, Clostridium perfringens responsable de l’entérite nécrosante, Borrelia burgdorferi responsable de la maladie de Lyme (le charbon actif trouve toute son utilité en cas de réaction de Jarisch-Herxheimer que les malades de Lyme ne connaissent que trop bien…)
    – par les toxines dégagées par certaines moisissures (aflatoxines)
    – par les venins de divers animaux dont : l’abeille, la guêpe, le taon, le frelon, la tique, l’araignée, le scorpion, le serpent, l’anémone de mer, la physalie (ou fausse méduse)

Note : pour les derniers cas listés, il s’agit d’un geste qui relève de l’urgence, puisqu’une intoxication aiguë a été constatée. Pour fonctionner au mieux, il importe que le charbon actif pulvérisé « se trouve en contact intime et immédiat avec la substance toxique qu’elle peut alors coller, en quelque sorte, et fixer en débarrassant l’organisme » (4). Il en va de même avec les intoxications chroniques et au long cours pour lesquelles le charbon actif peut amener, chaque jour, son lot de bienfaits. Cependant, retenons que dans certaines situations, dont la gravité sera mesurée par un médecin, il importe de faire appel au centre antipoison le plus proche de son domicile.

Modes d’emploi

  • Poudre de charbon actif : 2 à 20 g par 24 heures, répartis en plusieurs prises, et absorbées avant ou après le repas du midi ou du soir, ou bien à jeun le matin dans un demi verre d’eau ou de jus de fruits (ce qui est autrement plus agréable si le charbon employé, non pulvérisé, se présente à l’état de granules).
  • Pastilles, de type Belloc par exemple (5). Dans le commerce, on rencontre des comprimés unitaires de charbon actif, dont certains affirment qu’ils sont moins efficaces que la poudre parce que, contrairement à cette dernière, la pastille ou le comprimé n’ont pas l’opportunité d’étendre partout leur activité. Mais face à la poudre de charbon absorbée per os, on objecte que, le temps qu’elle parvienne dans l’intestin, le produit se dénature. C’est pourquoi, l’on voit aussi la poudre de charbon en gélules gastro-résistantes (autrefois, on l’enrobait de gluten, ce qui était le meilleur moyen de faire atteindre l’intestin par le charbon sans qu’il soit « noyé » au préalable).
  • Dentifrice :
    – simple ;
    – en mélange avec de la craie ou des cendres végétales ;
    – en mélange avec de la craie et de la poudre de quinquina ;
    – en mélange avec du bicarbonate de sodium.
    Il s’agit là de dentifrices secs, qu’on accuse parfois de noircir la dentition (ce qui est exagéré : à moins d’un émail dentaire poreux (mordançage, etc.), il n’y a pas de risque). Il existe aussi dans le commerce des dentifrices pâteux dans lesquels on trouve de la poudre de charbon actif. Ils sont parfois vendus dans des boîtes qui passeraient aisément pour du cirage tant elles sont semblables. Aussi, attention aux confusions ^.^

Charbon de Belloc : sa ressemblance avec une boîte de cirage est, là encore, tout à fait fortuite… ^.^

Précaution d’emploi, contre-indications, autres informations

  • En l’absence de toute intoxication sévère, il est possible d’envisager une cure dépurative et drainante. Cependant, il importe de veiller à ménager une pause d’un bon mois après trois mois de prise maximum ou bien réduire la cure à trois semaines suivies d’une semaine de repos. Parce qu’aller au charbon, ça n’est pas être un stakhanoviste de la cure de dépuration non plus !
  • De par ses propriétés absorbantes et adsorbantes, le charbon actif ne fait pas toujours la différence et attire à lui des substances utiles à l’organisme. Cela explique qu’une prise de charbon concomitante à celle d’autres produits tels que des médicaments chimiothérapeutiques, des contraceptifs oraux, des compléments alimentaires et nutritionnels, etc., rende drastiquement inefficace l’action qu’on attend d’eux généralement. Ce qui oblige à observer un nécessaire délai de deux à trois heures entre l’une de ces prises et l’ingestion interne d’une dose de charbon. Si l’on souhaite procéder à une cure alliant le charbon à l’argile, il n’est pas permis de prendre ces deux substances dans le même temps, le charbon, en neutralisant l’argile (et vice-versa), en rendrait l’action tout à fait inopérante. Ainsi, pour bénéficier des bons effets de l’un et de l’autre, il est préférable d’employer l’argile au matin et le charbon en soirée.
  • Le charbon actif a tendance à absorber l’eau intestinale, ce qui explique son effet constipant. L’on pensera à compenser les pertes en s’hydratant davantage qu’à l’habitude.
  • Le bois de fusain (Euonymus europaeus) ainsi que celui de bourdaine (Rhamnus frangula) permettent la fabrication des bâtonnets dits de fusain, dont les dessinateurs se servent pour charbonner un portrait.
  • Le charbon de bois, du fait de ses propriétés listées plus haut, est l’incontournable ingrédient des filtres à eau. Les systèmes de filtration d’eau modernes qui utilisent le charbon actif ne sont guère éloignés des systèmes très simples que nos patients et consciencieux ancêtres surent mettre au point. Mes lectures, parmi des archives assez anciennes, m’ont permis d’exhumer trois modèles de filtres à eau par charbon, dont voici le détail :
    -Petit filtre à eau : on le confectionne avec un pot de fleur du modèle usuel, propre et de grande taille, au fond duquel on renverse une soucoupe à fleur qui sert de support aux différentes couches d’épaisseur régulière placées les unes sur les autres. Ceci fait, on installe le tout au-dessus d’un récipient où coule l’eau épurée.

-Grand filtre à eau : ce dispositif se compose d’un assez grand tonneau dans lequel on a placé un baril qui repose sur un faux fond. On y superpose plusieurs couches des mêmes produits employés dans le petit filtre.

-Autre grand filtre à eau : cette barrique est une variante un peu plus perfectionnée du filtre précédent.


  1. « Symbole du feu caché, de l’énergie occulte ; la force du soleil dérobée par la terre et enfouie en son sein […]. Un charbon ardent représente une force matérielle ou spirituelle contenue, qui chauffe et éclaire, sans flamme et sans explosion ; parfaite image de la maîtrise de soi chez un être de feu », Jean Chevalier & Alain Gheerbrant, Dictionnaire des symboles, p. 211.
  2. André Theuriet, Sous-bois : impressions d’un forestier, pp. 34-36.
  3. Paul-Victor Fournier, Dictionnaire des plantes médicinales et vénéneuses de France, p. 752.
    4. Larousse médical illustré, p. 224.
  4. Petit-fils du créateur de la médecine légale, Camille Belloc (1807-1876) est issu d’une grande famille de médecins. Médecin-chef des hôpitaux militaires, il fut un jour amené à employer le charbon végétal en automédication alors qu’il souffrait d’une gastro-entérite. Réalisant le formidable pouvoir de ce remède peu onéreux, facile à préparer et à utiliser, il écrivit dans ce sens, et élabora le médicament qui porte toujours son nom : le charbon de Belloc.

© Books of Dante – 2020

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