Le tremble (Populus tremula)

Synonymes : peuplier tremble, tremble d’Europe.

A-t-on dénigré le tremble autrefois ? A-t-on daubé à son sujet ? Pour s’en assurer, il faudrait disposer de sources anciennes. Or, on n’en a pas (1), du moins pas avant l’époque d’Hildegarde de Bingen, dont la localisation non loin du Rhin explique qu’elle ait été mise au contact de cet arbre qui apprécie beaucoup les terrains humides à la condition qu’ils soient bien drainés, parce que c’est vrai qu’il n’est pas si hygrophile que le peuplier blanc et, plus encore, le peuplier noir. Il y a, tout au contraire, de la chaleur dans le tremble, aussi étonnant que cela puisse paraître. Hildegarde ne dit-elle pas que « le tremble est chaud [et qu’]il est image de l’excès » ? (2). Pour affirmer cela, elle dût sans doute s’en remettre à la vertu sudorifique de ses feuilles, mais également au fait que le tremble réchauffe l’estomac refroidit. Un observateur averti aura constaté que le tremble, puisqu’il n’aime pas l’ombre, est donc une espèce thermophile. Sans aller jusque là, l’on peut néanmoins affirmer que le tremble est un arbre de pleine lumière et qu’il apprécie rien moins que venir sur des terres calcinées et incendiées. Ce pionnier n’a donc pas froid aux yeux, comme on pourrait l’imaginer au prime abord. Pourtant… Pourtant, deux points de détail viennent en contradiction (il en faut toujours) à cette thèse : Hildegarde l’appelle Aspa (espe est son nom aujourd’hui en langue allemande), l’italien tremolo. Quel rapport, me direz-vous ? Eh bien, d’aspa dérive le mot bien connu, désignant un médicament également très célèbre, l’aspirine, dont on use en cas de fièvres et d’inflammations diverses. Aspa lutte donc ici contre « l’effet chaud ». Tremolo, passé en français sous une forme guère différente (trémolo) indique cette répétition très rapide d’un même son, dont le sens familier confine au mépris à peine voilé d’exaspération. Et le tremolo rappelle le latin tremula, explicite référence aux tremblements continuels qui agitent les feuilles du tremble au moindre soupçon de zéphyr. Le botaniste explique que c’est en raison du pétiole extrêmement souple et flexible de ses feuilles qui, parce qu’il est écrasé latéralement, bouge la feuille qu’il porte de droite à gauche, toujours et encore, dès que la plus petite brise en lèche le limbe. Mais nous, nous allons nous autoriser à rêver au-delà de ce seul aspect, parce que le botaniste, pas très drôle, n’est pas toujours un poète. Le tremble tremble-t-il parce qu’il a froid ? S’il est bleu, ça n’est pas de froid, mais de peur ; de peur, tant qu’il pourrait, s’il en avait, dresser ses cheveux sur sa tête. Mais il est pratiquement glabre dans toutes ses parties, s’il frissonne, il est bien incapable de hérisser cette pilosité qu’il n’a pas. Lui dont le bois fournit matière à fabrication d’allumettes serait incapable d’en craquer une en raison de la peur, cette frousse qui le fait frissonner ! Amusez-vous à allumer un feu les mains tremblantes !
Mais point n’est question de froid. De la peur d’avoir froid, à la rigueur. Mais, en premier lieu, il s’agit bien de peur. C’est le mauvais présage aussi, la crainte et la panique face à l’imminence d’un désastre, tout cela venant assaillir une victime sans qu’elle sache ni pourquoi, ni comment, parce que redoutable, surgissant de nulle part, inidentifiable dans son origine, mais prenant des formes changeantes, comme, chaque soir, le peut faire le croque-mitaine. On a cherché, de plusieurs manières, à expliquer les tremblements du tremble. Anne Osmont écrivait qu’il « est une autre espèce dont la feuille est sans cesse agitée et qu’on nomme le tremble pour cela. Le sens populaire ne s’est pas contenté de l’explication naturelle. Avide, dans la droiture de son jugement, d’unir sans cesse le visible à l’invisible, il attribua ce tremblement continuel à la vue d’un affreux spectacle. Le tremble a pâli et il a frémi parce que Judas s’est pendu à son ombre après son odieux forfait » (3). D’aucuns ont soutenu, en particulier dans les territoires anglo-saxons, que c’est tout bonnement de son bois qu’on tira la croix du supplice (entre le motif « Judas » et celui de la « croix christique », l’on constate, une fois de plus, qu’on n’a pas été à cours d’explications farfelues, ni d’inexactitudes, encore moins d’inepties). Le tremble frémit, non seulement face aux frimas, mais parce que c’est sa fonction et dans notre intérêt qu’il la signale à notre attention, sa signature pourrait-on oser. A ce sujet, le docteur Leclerc narre, dans son Précis de phytothérapie, une bien étonnante anecdote dans laquelle le tremble joue un rôle central. Prêtons une oreille attentive à ce qu’il dit : « J’ai relaté la curieuse et énigmatique observation d’une jeune fille qui fut guérie d’une impressionnante et opiniâtre chorée, après avoir, sur le conseil d’un guérisseur, pris chaque jour quatre verres d’une décoction de 10 pour 1000 de feuilles de tremble. » Nous n’exposerons pas dans le détail ce qu’est la chorée, il y faudrait plusieurs pages. Disons que cette affection est généralement caractérisée par des mouvements involontaires et désordonnés. Le choréique a donc, grosso modo, la bougeotte, la tremblote. A cela, le guérisseur dont parle Leclerc a-t-il opposé le tremble, dont il devait probablement connaître le caractère « dansant au moindre mouvement de brise » ? Ce que pense reconnaître Leclerc, qui poursuit : « S’agissait-il d’un phénomène de suggestion ? » C’est une hypothèse qui n’a rien de saugrenu. Nous verrons tout à l’heure pourquoi en invitant un autre docteur à se joindre à notre propos. En attendant, Leclerc propose une autre hypothèse, selon lui tout à fait admissible : « La malade avait, étant enfant, fait une crise sévère de rhumatisme articulaire aigu, dont le rôle est reconnu capital dans l’étiologie de la chorée : on peut donc se demander si elle ne devait pas sa guérison au salicylpopuloside dont l’apozème du guérisseur était le véhicule » (4). Oui, et aussi : est-il raisonnable d’exclure une hypothèse en raison de l’existence d’une autre qui apparaît plus plausible ? Pourquoi, au lieu d’écarter, ne pas favoriser un phénomène d’accrétion ? Hildegarde ne précisait-elle pas, sagement, que la sève issue du bois de tremble, est une substance qui permet de potentialiser l’action des « divers onguents que tu utilises et qui seront ainsi plus efficaces contre les maladies qui frappent l’homme à la tête, dans le dos, les reins, l’estomac et les autres membres, et qui apaiseront mieux les humeurs mauvaises » ? (5). Et, donc, justement, en parlant de suggestion… Ne peut-on pas imaginer que la jeune fille choréique qu’évoque Leclerc ait pu bénéficier de l’action « mécanique » du tremble, mais également de ce qu’avait décelé le docteur Bach à son endroit, et qu’il va falloir nécessairement aborder, c’est-à-dire cet impalpable et invisible influx subtile dont chaque végétal est pourvu ? Que dit Edward Bach à propos du tremble, aspen en anglais ? (bien évidemment proche de l’aspa d’Hildegarde et de l’espe qu’utilisent les Allemands à l’heure actuelle). Il explique que cet élixir « concerne les craintes vagues pour lesquelles il ne se peut donner aucune explication, aucune raison. Le patient peut cependant être terrifié par on ne sait quoi de terrible sur le point d’arriver. Ces vagues et inexplicables craintes peuvent hanter de nuit ou de jour. Ces malades craignent souvent de parler aux autres de leurs troubles » (6). Bach avait crée sept groupes d’émotion, on ne sera pas surpris de voir l’élixir Aspen porter l’étiquette de la peur. Ce groupe de la peur, en général, porte un regard assez ample sur un ensemble d’affections récurrentes qui touchent les sujets qui en sont les malheureuses victimes : on assiste, chez eux, à une diminution rapide ou, tout au contraire, très lente de la vitalité ; on observe des infections virales et bactériennes à caractère aigu (cystite, otite, angine, etc.), et donc, chose cadrant merveilleusement avec Aspen, des rhumatismes articulaires, eux aussi aigus. Aigus, oui, c’est-à-dire en pointe, de même que les feuilles du tremble qu’on dit, pour cela, acuminées. Ainsi, pour synthétiser notre propos, pouvons-nous dire qu’Aspen affronte la lame acérée de la peur et toutes les blessures qu’elle occasionne en se frayant un chemin au sein même des êtres dont elle fait ses proies. Portons maintenant une vision plus aiguisée sur les affections spécifiques au type Aspen : peurs diffuses et fréquentes, angoisse, timidité et trac, hypersensibilité, mélancolie, émotions pouvant engendrer des réveils nocturnes récurrents, une tendance migraineuse, des affections fébriles, une fatigue sexuelle ou encore des douleurs articulaires arthritiques et/ou rhumatismales. Le haut fait qu’on est en droit d’attendre de l’élixir floral Aspen, c’est sans aucun doute sa participation active à la cicatrisation tant du corps que de l’âme, conjointement. Ce qui me permet de revenir une dernière fois sur cette jeune fille choréique : la chorée, dans ses toutes premières manifestations, se distingue par une modification du caractère : l’on devient inquiet et émotif sans véritable raison apparente. La décoction de feuilles de tremble du guérisseur explique donc aisément son action tant sur les mouvements désordonnés de la chorée que sur l’état psychique et émotionnel de la malade, Aspen ayant uni en un même creuset, si l’on peut dire, tant la chorée que la peur, c’est-à-dire la part visible et la part invisible.

Très commun partout en Europe (sauf en ses fractions trop méridionales : il est absent du Portugal, de la Grèce, de la Bulgarie et d’une grande partie de l’Espagne et de l’Italie), on a cependant la sensation que le tremble est mal connu. Pourtant, on le rencontre facilement de la plaine à la haute montagne (on le voit parfois perché à plus de 2000 m d’altitude, bien qu’à ces hauteurs il soit frappé de nanisme) où il élit domicile au sein de stations humides et lumineuses : lisière de forêt (rarement à l’intérieur, toujours à son pourtour), prairie, clairière, bosquet (parfois formé du seul Populus tremula qui, pour ce faire, n’utilise pas énormément la reproduction par voie aérienne par le biais de la pollinisation, mais par voie souterraine : ses drageons traçants, qui se comportent comme ceux du peuplier blanc, l’autorisent à couvrir de larges espaces et d’établir des campements de type coloniaire).
Lisse et de couleur brun jaunâtre quand l’arbre est jeune, l’écorce du tremble se ternit en direction du gris crevassé avec l’âge. Tout comme celle de son cousin peuplier blanc, elle est marquée de traces qu’on dirait faites à l’aide de ces longs clous quadrangulaires qu’utilisaient les charpentiers autrefois. Peut-on y voir là les cicatrices des coups portés contre Aspen ? En réalité, ces lenticelles de forme losangique sont des por(t)es qui permettent d’assurer les échanges entre l’air environnant et le suber de l’arbre.
Avant toute chose, le tremble assure sa floraison tôt dans l’année, puisqu’elle peut intervenir dès la toute fin de l’hiver. Sur le même arbre, les petits chatons femelles côtoient les longs chatons mâles qui pendent dans le vide, formant par leur union des fruits à aigrette plumeuse. Puis viennent les feuilles, presque rondes, finement dentelées, qui, vieillissant, assure à l’arbre son argentement, frémissant avec un bruit de papier de soie que l’on déchire, mais douées de mémoire (7).
Compagnons des aulnes, des frênes, des saules et des peupliers blancs comme noirs, les trembles « fixent, consolident avec leurs racines les berges de terre meuble ou de sable, que le courant des eaux tend à ronger et à détruire. Tous ombragent les masses liquides, modèrent les vents qui les agitent et par cette double action diminuent l’évaporation qui se produit à leur surface » (8). Ainsi en est-il des fonctions écologiques du tremble, bien qu’elles dépassent aisément ces quelques constats.
Le tremble compense la brièveté de son existence, 80 à 100 ans tout au plus, par une croissance très rapide, ce qui en favorise davantage la culture pour son bois blanc crémeux, très homogène et doué d’une bonne résistance mécanique. On n’en a pas tiré le bois de la croix de Jésus (il n’est pas assez robuste pour cela), mais c’est un bois qu’on peut aisément mettre à profit pour la fabrication de caisses et d’emballages, de lambris et de placages, de même que pour l’élaboration de la pâte à papier.

Le tremble en phytothérapie

Éclipsé par ses cousins peupliers noir (Populus nigra) et blanc (Populus alba) dans les pratiques thérapeutiques européennes, le tremble apparaît le plus souvent – lorsqu’on daigne le citer – en quelques lignes, en toute fin d’une synthèse consacrée à l’un ou l’autre (voire les deux) peupliers nommés plus haut. Pourtant, l’on dit souvent que son action médicinale est à rapprocher du peuplier noir et dans une mesure moindre du saule argenté (Salix alba). D’ailleurs, regroupées par des caractéristiques botaniques communes, toutes ces espèces de Salicacées, jouissent de propriétés thérapeutiques proches les unes des autres.
La tradition thérapeutique propre au tremble a retenu que ses feuilles, contenant ces deux acides phénoliques que sont la salicine et la populine, s’emploient en phytothérapie, mais bien moins fréquemment que la seconde écorce de cet arbre malgré son amertume très marquée, et pour cause, elle contient aussi de la salicine, ainsi que de cette populine qui, tout au contraire, partage avec la réglisse ce petit goût édulcoré. Viennent ensuite des tanins (dont de la corticine), une matière gommeuse, de l’acide pectique, de l’acide benzoïque, divers sels minéraux dont du calcium et du potassium.
Il est à remarquer que les chatons du tremble sont parfois cités comme faisant partie de la matière médicale. Ils mériteraient sans doute des investigations plus poussées.

Propriétés thérapeutiques

  • Fébrifuge, hypothermisant
  • Anti-inflammatoire, antalgique
  • Antiseptique cutané, astringent, kératolytique
  • Tonique circulatoire
  • Antiscorbutique (?)
  • Expectorant

Note : les chatons sont donnés comme antiseptique de l’appareil urinaire et diurétique puissant.

Usages thérapeutiques

  • Troubles de la sphère respiratoire : toux, bronchite
  • États de faiblesse, fièvre, accès de fièvre (en particulier chez l’arthritique), état grippal
  • Troubles de la sphère vésico-rénale : prostatisme (chatons), lithiase rénale (chatons), infection de l’appareil urinaire
  • Troubles de la sphère circulatoire : hémorroïdes
  • Troubles locomoteurs : douleurs rhumatismales et arthritiques
  • Troubles de la sphère gastro-intestinale : colite, diarrhée
  • Affections cutanées : plaie infectée, plaie scorbutique et syphilitique

Modes d’emploi

  • Infusion de feuilles fraîches.
  • Décoction de chatons frais.
  • Décoction de seconde écorce fraîche.
  • Décoction concentrée de seconde écorce (pour usage externe).
  • Lessive de cendres de rameaux de tremble en fomentation, lavage, compresse.

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • Récolte : la seconde écorce se prélève sur de jeunes rameaux d’un à trois ans au tout début du printemps ; les feuilles, un peu plus tard, en mai et juin (remarquons qu’elles tolèrent la dessiccation).
  • Le tremble, de par les dérivés salicylés qu’il contient, devra être utilisé avec circonspection par les personnes qui sont allergiques à l’aspirine (ou s’en abstenir, tout bonnement, du moins par voie interne). Attention également en cas d’hémophilie, de menstruations trop abondantes en général, etc.
  • Autre espèce : le peuplier faux-tremble (Populus tremuloides). D’origine nord-américaine, il était autrefois usité comme vermifuge, et doit très certainement regorger de secrets et de valeurs thérapeutiques qui ne sont très probablement pas parvenues jusqu’à nos oreilles européennes.
    _______________
    1. Est-ce bien du tremble dont parle Dioscoride dans les lignes annexées au chapitre qui concerne le peuplier blanc ? En effet, dans le Livre I de la Materia medica, chapitre 92, l’on trouve les informations suivantes : « Les feuilles du tremble (appliquées avec du vinaigre) aident aux douleurs de la goutte. La résine qui se distille du tronc se met dans les emplâtres. L’on donne (avec utilité) la graine, pour la prendre en breuvage dans du vinaigre en cas de mal caduc (= épilepsie). »
    2. Hildegarde de Bingen, Physica, p. 176.
    3. Anne Osmont, Plantes médicinales et magiques, p. 124.
    4. Henri Leclerc, Précis de phytothérapie, pp. 128-129.
    5. Hildegarde de Bingen, Physica, p. 176.
    6. Edward Bach, La guérison par les fleurs, p. 92.
    7. Science & Vie, mars 2013, p. 57 : « Le tremble se souvient d’un coup de vent pendant presque une semaine ! […] Trente minutes après que la branche de l’arbre a été pliée, l’expression d’un gène, jusqu’alors inactif, se déclenche. Cependant, lorsque la torture se répète chaque jour, ce gène cesse de s’exprimer. Et il faut attendre entre cinq et sept jours de repos pour qu’il soit prêt à se déclencher à nouveau. Ce souvenir de la torsion subie permet à un arbre exposé au vent de s’habituer, en quelque sorte, à la sensation.
    8. Émile Cardot, Le manuel de l’arbre, p. 9.

© Books of Dante – 2020

L’écorce martelée du tremble.

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