Synonymes : yerba, yerba mate, thé du Paraguay, thé du Brésil, thé des gauchos, thé des jésuites.
Dans l’un de ses ouvrages, Jean-Marie Pelt faisait observer que chaque grande partie du globe (ou presque) pouvait s’enorgueillir d’avoir offert au monde une grande boisson : le thé pour l’Asie, le café pour l’Afrique et le cacao pour l’Amérique du Sud. Face à une telle richesse, qui met d’autant plus en relief la carence européenne dans ce domaine, on serait tenté de vouloir expliquer les velléités colonisatrices de ces grandes nations qui formaient l’Europe il y a cinq siècles. (Chut… C’est une bêtise.) Mais ce trio gagnant – thé, café, cacao – ne saurait faire oublier que dans chacune de ces trois grandes régions géographiques, on use de bien d’autres plantes pour rassasier les besoins de boisson : si on les connaît moins, c’est parce qu’elles sont moins plébiscitées et que, surtout, notre regard extérieur s’arrête à la surface des choses le plus souvent. Or, le thé, le café et le cacao ne peuvent évidemment pas réduire les habitudes de consommation à eux seuls. Considérons l’implication du seul riz comme ingrédient majeur de différentes boissons asiatiques. Regardons du côté de la noix de kola et de l’iboga en Afrique, ou encore de celui du guarana et de la guayusa en Amérique du Sud. Et du maté, donc, plante typiquement sud-américaine qui, dans la nature, prend l’aspect d’un assez grand arbre d’une vingtaine de mètres de hauteur, adepte des forêts tropicales de basse montagne (environ 600 m d’altitude), et présent dans plusieurs pays du continent (Argentine, Brésil, Paraguay, Bolivie…).
C’était une plante connue des autochtones bien avant que des barbus européens ne vinssent s’aventurer là pour de tout autres raisons. Connue, certes, et cultivée par eux également, puisque la boisson tonique et énergisante qu’on en tire était déjà en faveur auprès des autochtones, dont les plus zélés en organisèrent effectivement la culture, afin d’avoir la plante à portée de main (ce que, dit-on, l’on doit aux Guarani, ce qui suppose un effort de sédentarisation, ce qui n’est pas le cas de toutes les tribus amazoniennes, comme les Nambikwara, nomades itinérants, qui ne sont pas sans rappeler, dans leur mode de vie, les tribus pygmées du centre de l’Afrique). Si les jésuites sont les premiers colons cultivateurs de cette plante, cette économie domestique est bien postérieure à la culture locale du maté par les Amérindiens. Il est bien possible que les premiers matés rencontrés par les colonisateurs furent des arbres de culture que, pour en faciliter la récolte, l’on rabat, de même qu’on fait de l’ylang-ylang en Asie : ainsi ce qui en forêt est un arbre, devient, à l’état de culture, un simple arbuste rameux d’environ cinq mètres de hauteur, possédant néanmoins d’identiques caractéristiques botaniques avec son confrère sauvage, à savoir : de grandes feuilles persistantes et coriaces, vert clair mat quand elles sont jeunes, plus foncées en vieillissant, légèrement dentées, piquantes jamais. A l’abri de brefs pétioles, se développent des boutons floraux qui forment, tout comme chez le cousin européen du maté qu’est le houx commun, de minuscules fleurs à quatre pétales blancs et à quatre étamines, qui donnent suite au véritable caractère distinctif du maté, qui ne tient donc pas dans sa floraison, mais dans sa fructification, rouge sur vert : de petites baies sphériques comptant quatre loges, composées d’une pulpe glutineuse recouverte d’un fin vernis de couleur rouge pourpre.
Consommé essentiellement en Amérique du Sud, dans les pays d’origine, mais aussi dans d’autres qui, limitrophes, l’ont adopté (comme le Chili et l’Uruguay), le maté n’a pas rencontré, en dehors de cette zone géographique, un succès aussi retentissant que celui du cacao. Bien que le maté, par sa culture, se soit expatrié, c’est essentiellement en direction de la sphère hispanico-portugaise. C’est pourquoi on le voit en culture aussi bien en Espagne qu’au Portugal, alors que dans son aire d’origine, sur la seule question des plantes toniques et stimulantes, il se place bien avant le guarana et la triste coca.
On laisse entendre que le premier mode archaïque de consommation du maté fut la manducation de ses feuilles par les populations indigènes. Après quoi, l’on recensa différentes autres manières de consommer le maté, dépendant essentiellement de l’évolution des mœurs et également des circonstances (par exemple, au Japon, la pratique du thé infusé est relativement récente eu égard à l’histoire du thé dans l’empire du soleil levant). C’est ainsi que l’on pouvait porter de l’eau à ébullition pour faire une décoction de maté, et si l’on n’avait pas moyen d’avoir de l’eau chaude (comme cela peut arriver au fin fond de la forêt amazonienne), on procédait par macération à froid de poudre de feuilles de maté dans de l’eau. Dans certains pays, on observe des façons de procéder inexistantes par ailleurs. C’est le cas au Paraguay, où l’on prépare le mate dolce qu’on obtient en faisant caraméliser à feu vif de la poudre de maté dans du sucre, puis qu’on allonge d’eau bouillante par la suite. Mais ce qui prévaut, et reste indissociable de l’espace culturel du maté, c’est ce qu’au Brésil, l’on appelle le chimarrão (et maté dans les pays hispanophones d’Amérique du Sud). « Rite social et vice privé », le rituel bi-quotidien du chimarrão, prend place en fin de matinée ainsi qu’en fin d’après-midi. C’est exactement ce que décrivit l’ethnologue français Claude Lévi-Strauss dans son célèbre Tristes tropiques : « On s’assied en cercle autour d’une petite fille, la china, porteuse d’une bouilloire, d’un réchaud et de la cuia, tantôt calebasse à l’orifice cerclé d’argent, tantôt […] corne de zébu sculptée par un péon [id est un ouvrier agricole]. Le réceptacle est au deux tiers empli de poudre que la fillette imbibe progressivement d’eau bouillante ; dès que le mélange forme pâte, elle creuse, avec le tube d’argent terminé à sa partie inférieure en bulbe percé de trous, un vide soigneusement profilé pour que la pipette repose au plus profond, dans une menue grotte où s’accumulera le liquide, tandis que le tube doit conserver juste assez de jeu pour ne pas compromettre l’équilibre de la masse pâteuse, mais pas trop, sinon l’eau ne se mélangera pas. Le chimarrão ainsi disposé, il n’y a plus qu’à le saturer de liquide avant de l’offrir au maître de maison ; après qu’il a aspiré deux ou trois fois et retourné le vase, la même opération a lieu pour tous les participants, hommes d’abord, femmes ensuite s’il y a lieu. Les tours se répètent, jusqu’à épuisement de la bouilloire. Les premières aspirations procurent une sensation délicieuse – au moins à l’habitué, car le naïf se brûle – faite du contact un peu gras de l’argent ébouillanté, de l’eau effervescente, riche d’une mousse substantielle : amère et odorante à la fois, comme une forêt entière en quelques gouttes concentrée […]. Après quelques tournées, le maté s’affadit, mais de prudentes explorations permettent d’atteindre avec la pipette des anfractuosité encore vierges, et qui prolongent le plaisir par autant de petites explosions d’amertume » (1). Aux mots, il est parfois souhaitable d’additionner des images. En voici quelques-unes : cette petite vidéo très bien faite permet de mieux comprendre le mode de préparation du chimarrão. A son visionnage, on comprend assez facilement que les conditions réelles de la forêt amazonienne ne permettent pas toujours le « confort » nécessaire à un tel protocole et qu’il faille donc s’en remettre à des méthodes alternatives plus simples, comme nous les avons mentionnées plus haut.

La cuia, autrement dit le pot à maté, est constituée par le corps d’une calebasse séchée et évidée, dont la forme se prête à la fonction qu’on attend d’elle. Du gabarit d’un mug, on peut facilement la tenir dans la main et la poser sur une surface plane si son « postérieur » l’autorise (sinon, l’on prévoit un support, comme ceux des cornes à boire). La bombilla (ou bombilha, bomba, etc.), d’une longueur comprise entre 15 et 20 cm, c’est la « paille », métallique le plus souvent (argent, acier inoxydable…) ou fabriquée dans du bambou, qui permet l’absorption du liquide. Remarquons que dans cette configuration, le maté n’est plus seulement la poudre de feuilles de l’arbre du même nom, ni la boisson qu’on en tire, mais désigne l’assemblage cuia + bombilla + poudre de feuilles de maté + eau chaude.
Le maté, c’est aussi, dans l’imagerie, une boisson indistinguable de ceux qui jouent le rôle de cow-boy dans les plaines sud-américaines, les Gauchos. Dans leur culture, le maté prend le rôle de boisson, mais ce sont aussi les occasions durant lesquelles le maté intervient qui sacralisent quelque peu ses fonctions : festives, sociales (le maté invite à la fraternité et à l’hospitalité), peut-être même cosmogoniques, si j’en crois ce que semble sous-entendre les quelques lignes que voici : pour déguster le chimarrão/maté, « les Gauchos s’organisent en cercle où il passe de main en main selon un rituel très précis qui invite par exemple les participants à faire circuler la calebasse dans le sens anti-horaire afin de faire passer le temps moins vite » (2).
Le maté en phytothérapie
Qui connaît le thé, le café et le cacao, ne sera pas très surpris à l’énoncé des quelques noms de principes actifs contenus dans toutes ces plantes, ainsi que dans le maté, dont on ne considère que les feuilles attachées par leur pétiole aux petits rameaux et ramilles, dont le mode de préparation – outre qu’il leur confère une magnifique couleur réséda – offre aussi une légère odeur aromatique et une saveur qui l’est tout autant, bien qu’elle soit quelque peu mâtinée d’amertume (qui reste toute relative : dans le commerce, il existe plusieurs espèces de maté : doux, moyen, amer).
Le premier mot bien connu des amateurs de café, sans être biochimiste, c’est la caféine : le maté en contient en moyenne 1,5 %. Puis, l’on constate la présence de cet autre alcaloïde de type méthylxanthique, la théophylline, qui, contrairement à ce que son nom indique, ne se trouve pas que dans le thé, mais aussi dans le cacao et le café, de même que la théobromine, qu’une mauvaise habitude semble vouloir n’associer toujours qu’au seul cacao, ce qui est inexact, puisque le maté en possède environ 0,4 %. Autre substance commune à toutes ces plantes, le tanin (16 % dans le maté), mais en moindre quantité que dans le thé et le café. Puis viennent de nombreux flavonoïdes (rutine, catéchine, quercétine, kaempférol), des saponosides, divers acides (chlorogénique, quinique, caféique, etc.), de la résine, une importante portion de chlorophylle, quelques traces d’essence aromatique (0,01 %), des sels minéraux et oligo-éléments (fer, magnésium, potassium, manganèse, etc.).
Note : certaines sources signalent l’existence de matéine dans le maté : ne nous y trompons pas, ce mot n’est pas autre chose qu’un synonyme de la caféine.
Propriétés thérapeutiques
- Stimulant du système nerveux central, tonique nerveux, psychotrope et analeptique, tonique musculaire, musculotrope, stimulant des fibres musculaires lisses, glycogénolytique, adaptogène
- Digestif, stomachique, lipolytique
- Diurétique léger
- Anti-athéromateux, tonique de la circulation périphérique
- Anti-inflammatoire
- Anti-oxydant
- Anxiolytique
Usages thérapeutiques
- Asthénie physique et intellectuelle, neurasthénie, fatigue, fatigue du convalescent, dépression légère
- Dyspepsie
- Maux de tête, migraine, céphalée migraineuse
- Douleur rhumatismale
- Obésité, prise de poids
- Prévention des maladies dégénératives (Parkinson, Alzheimer)
Modes d’emploi
- Infusion théiforme de feuilles de maté légèrement torréfiées et pulvérisées : après ébouillantage d’une théière, l’on place la valeur d’une à deux cuillerées à café de maté dans le récipient, auquel on ajoute 200 cl d’eau chaude (ou 10 g de maté pour un litre d’eau), puis on laisse infuser de 5 à 15 mn, et enfin l’on filtre.
- Décoction de feuilles de maté légèrement torréfiées et pulvérisées : à démarrer à l’eau froide, après avoir placé l’équivalent d’une poignée (la poignée d’une petite fille, c’est bien suffisant pour commencer) de maté dans un litre d’eau. Dès les premiers bouillons, on retire du feu, puis on laisse infuser 2 à 3 mn avant de passer (une décoction trop longtemps poursuivie se solde par une perte des propriétés thérapeutiques du breuvage).
- Chimarrão : à réaliser avec le matériel adéquat, bien entendu (c’est sans doute la meilleure manière domestique d’absorber le maté).
- Extrait fluide.
- Extrait hydro-alcoolique.
- Teinture-mère.
Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations
- N’imposant pas les mêmes inconvénients que le thé et le café, le maté peut s’ingérer en plus grande quantité que les deux plantes sus-citées. Cependant, il importe de respecter un certain nombre d’obligations. Ainsi, le maté « ne doit pas être consommé en mangeant, mais à jeun ou assez longtemps après le repas, sans y rien ajouter, ni crème, ni alcool, ni sucre » (3), interdiction s’expliquant par la trop grande présence de tanin dans le maté, substance pouvant nuire à la bonne fonction digestive durant les repas.
- Récolte : on cueille les feuilles de maté lorsque les baies sont parfaitement mûres.
- Préparation : les feuilles sont chauffées au-dessus d’un feu de bois, ce qui a pour but l’obtention d’une légère torréfaction. Après quoi, elles sont conservées pour une durée égale à un an avant d’être employées.
- Le maté fournit une énergie suffisante même si les rations alimentaires sont insatisfaisantes. Ce qui n’est pas, pour autant, une raison de sous-alimenter l’organisme.
- Comme il est moins constipant que le thé et le café, le maté peut être ingéré par les malades constipés et migraineux qui ne tolèrent ni thé ni café. Enfin, bien qu’affichant un taux élevé de tanin, le maté exerce une action beaucoup moins irritante que le thé sur les muqueuses gastriques, d’où son emploi autorisé en cas de dyspepsie.
- Autre espèce proche : la guayusa (Ilex guayusa), dont le formidable taux de caféine avoisine les 7 % ! Aucune autre plante n’en contient autant.
- Pour aller plus loin : une e-boutique spécialisée en France : https://www.yerba-mate.fr/. Vous y trouverez tant des calebasses avec ou sans pied, des bombillas, ainsi que du maté, « j’entends le vrai maté, car le produit vendu en Europe sous cette étiquette a généralement subi de si maléfiques transformations qu’il a perdu toute ressemblance avec l’original » (4). Ainsi parlait Claude Lévi-Strauss dans les années 1954-1955. Depuis, le maté vendu en France est de qualité très honorable.
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1. Claude Lévi-Strauss, Tristes tropiques, pp. 192-193.
2. Wikipédia, page « Gaucho ».
3. Larousse médical illustré, p. 724.
4. Claude Lévi-Strauss, Tristes tropiques, p. 192.
© Books of Dante – 2019