Æsculape à Paris

Vendredi dernier, je me suis rendu à Paris pour le boulot. Bien qu’ayant quelques impératifs, je suis passé au cimetière du Père Lachaise, ai considéré, au passage, d’un œil morne l’ignominie que la municipalité s’est permise le long du mur ouest du cimetière. Le vent cinglait, tout mouillé d’un fin crachin qui parvenait à se faufiler jusque sous le parapluie. Le vent a dû faire fuir les fantômes, je n’ai pas trouvé de réponses. Bref. A tire-d’aile, je suis parvenu quai Henri IV, île saint Louis, quai de la tournelle. J’ai avisé quelques bouquinistes, mais comme je n’ai jamais un kopeck en poche, je ne me suis – hélas – pas arrêté. J’ai atterri dans le IV ème ou le V ème, je ne sais pas trop bien, ai arpenté rue Cochin, boulevard Saint-Germain (j’avais des courses à y faire et y ai trouvé un accueil charmant), mais rien de quoi apaiser ma soif et ma faim (on approchait midi). Après des centaines de mètres avalées le long de ce chemin de ronde de l’homme à la lance, me voilà débouchant sur un autre bolwerk attribué à un autre saint (y’en a plein dans le secteur, il faut pas être allergique ou anticatholique primaire), ce saint terrassant le dragon. Là, je suis entré dans une boutique, un parfait foutoir tant il y en a partout, de haut en bas, par terre, sur les étagères, un merdier véritable dans lequel une chatte ne retrouverait pas ses petits : des livres dans tous les états et à tous les prix, des disques, des dvd, des cd, etc., enfin la boutique parfaite pour les amateurs de puces. Et ça n’est pas vraiment là que je m’attendais à tomber nez à nez avec quelques exemplaires de la revue Æsculape, fondée en 1911 par le docteur Benjamin Bord et parue à raison de douze numéros par an jusqu’en 1974. Qu’un médecin intitule sa revue Æsculape, quoi de plus normal ? Esculape (chez les Romains), Asclépios (chez les Grecs), n’est-il pas le dieu de la médecine ? Certes, mais cette revue, malgré son nom, n’est pas le porte-parole de la médecine pure et dure. Pour cela, il n’est qu’à considérer les deux lignes qui suivent le titre de la revue : « revue mensuelle illustrée des lettres et des arts dans leurs rapports avec les sciences et la médecine ». Ceux qui me lisent, ceux qui comprennent où je veux en venir avec chacun de mes livres et articles, comprendront pourquoi je suis resté béat d’admiration face à une revue qui, joignant le texte à l’image de façon pertinente, peut poser la question de savoir si certains masques africains sont sculptés pour représenter une pathologie, sur ce que sont les pierres de foudre, la raison pour laquelle le pape Urbain V était affecté de strabisme, etc. Dans l’un des deux numéros que j’ai achetés, il y a un article huit pages sur les parfums dans l’Antiquité, je ne pouvais, lui, que l’acquérir. Dans le second, j’ai eu l’infini bonheur d’y découvrir un sonnet du docteur Henri Leclerc dont, vous le savez, je suis un fervent admirateur, un poème intitulé Le coquelicot, inscrit au sein d’un recueil paru en 1935, Similitudes et contrastes, aujourd’hui introuvable. Parfois, on recherche l’oiseau mais on n’en trouve qu’une plume. Je sais me satisfaire de cette plume.

© Books of Dante – 2018

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