J’ai récemment lu quelque part que le haricot « serait originaire d’Amérique du Sud ». Ce conditionnel ne sied guère à celui qu’on importa d’Amérique centrale dès le XVI ème siècle. Rendons, s’il vous plaît, à César ce qui est à César, formule bien trouvée pour marquer l’impérialisme dont firent preuve les Espagnols il y a 500 ans envers les Amériques. Que cela soit bien clair : les haricots verts à la persillade ou ceux qui forment la majeure partie d’un gras et gluant cassoulet émanent de ce lointain horizon plein ouest. Pourquoi instiller le doute dans l’esprit du lecteur lorsqu’il n’est nul besoin et que l’information est vérifiable ? C’est faire offense aux habitants de cette contrée qui virent débarquer des « visages pâles » sur de gros bateaux ventrus pareils à des coques de noix. J’ai également repéré dans le même ouvrage une autre énormité, mais je vous en fais grâce. Bref. Après ce correctif apporté à un point de détail qui me turlupinait, nous pouvons enfin entrer au cœur de notre sujet.
Avant le XVI ème siècle, toute référence faite au haricot ne peut concerner Phaseolus vulgaris, bien plutôt d’autres Fabacées telles que la féverole, la jarosse ou surtout le dolique qui portait déjà le nom grec de phaselos durant l’Antiquité. Ainsi, si l’on croise un fasiole dans l’œuvre de Dioscoride ou ailleurs, il ne faut surtout pas en conclure qu’il s’agit du haricot tel que nous le connaissons aujourd’hui et que les Anciens se régalaient de haricots beurre. C’est d’autant plus vrai qu’on n’a jamais retrouvé de graines de haricot lors des diverses fouilles effectuées en Europe, contrairement aux fèves et aux pois. A l’inverse, la présence archéologique du haricot est bel et bien attestée aux Amériques (Pérou, Mexique, USA) où il fut probablement rencontré à la fin du XV ème siècle à Cuba par Christophe Colomb, puis en 1528 par l’explorateur Cabeza de Vaca en Floride, avant de rejoindre l’Europe au temps du pape Clément VII qui « venait d’en recevoir les premières graines et cherchait à en répandre les premiers essais de culture » (1).
Le haricot, dont le nom paraît dériver du nahuatl ayacotl, était un mot qui existait déjà au XV ème siècle, sous l’orthographe proche de héricot (ou parfois haligot), désignant non pas la fabacée issue du Nouveau Monde, mais un ragoût de fèves, de pois et de mouton. Par analogie, l’on fusionna la nouvelle plante et ce plat dans lequel elle pouvait faire bonne mesure en remplaçant fèves et pois.
L’apparition du haricot suscita l’intérêt de bien des médecins et botanistes. Décrit par Tragus et Fuchs au milieu du XVI ème siècle, ils ont néanmoins pour le haricot, avec Daléchamp, l’estime qu’avaient leurs homologues grecs et latins pour le dolique, c’est-à-dire, pour reprendre les mots de Pisanelli, que le haricot était regardé comme un « manger de vilains ». Cela n’est qu’un peu plus tard que l’on conçoit l’idée de faire jouer un rôle médicinal au haricot. Lonicer, grâce à une décoction des cosses, remarque l’action du haricot sur les maladies de la vessie, dont la lithiase urinaire, en 1564, suivi de près par Jérôme Bock en 1572 qui constate lui aussi la vertu diurétique de cette plante. Malgré cela, il faudra attendre bien longtemps avant que le haricot ne s’impose autant comme aliment que comme remède, Nicolas Lémery, aux environs de 1700, ne lui accordant juste que de simples « vertus amollissantes et résolutives ». Cependant, Nicolas Andry de Boisregard (1658-1742), puis Étienne-François Geoffroy (1672-1732) offrent au haricot un semblant de réhabilitation. Si tous deux en recommandaient la consommation, ils mettaient néanmoins en garde contre la pénibilité de la digestion de ces grains qui provoquent des vents, accusés, eux aussi, tout comme la lentille, de faire « songer de terribles et fâcheux songes », chose en quoi le Dictionnaire de Trévoux, maintes fois réédité entre 1704 et 1771, sera le jalon, rédigeant que « les semences de haricot, ou fèves de haricot mûres et sèches sont venteuses, chargent l’estomac et se digèrent mal. Cet aliment ne convient qu’à des personnes robustes ». Pourtant, malgré l’ensemble des désagréments dont est victime bien malgré lui le haricot, une forme de riposte va se frayer un chemin au début du XIX ème siècle, le haricot devenant apprécié par bien des hommes de renom qui en seront, en quelque sorte, les ambassadeurs : le poète et humoriste Joseph Berchoux (1760-1838), Napoléon Ier, le gastronome Louis de Cussy (1766-1837), l’archiviste et traducteur René Tourlet (1756-1836), etc. Il n’y a guère que Brillat-Savarin qui fustige les haricots, en particulier ceux à grains dit haricots de Soissons, dont la variété la plus connue forme des cosses de 25 cm de longueur contenant de gros grains réniformes. Dans la XXI ème méditation de La physiologie du goût, intitulée « De l’obésité », il exprime sans fard et sans honte l’aversion qu’il prodigue à l’encontre du haricot. Je vous livre un extrait, dialogue entre plusieurs personnes que Brillat-Savarin qualifie d’obèses et lui-même, réunis autour d’une table :
« Une dame obèse, s’adressant à Brillat-Savarin : Vous seriez bien bon si vous envoyiez chercher pour moi de ces haricots de Soissons que j’aperçois au bout de la table.
Brillat-Savarin, après avoir exécuté l’ordre et en chantant tout bas sur un air connu : Les Soissonnais sont heureux, les haricots sont chez eux…
Un autre obèse : Ne plaisantez pas ; c’est un vrai trésor pour ce pays-là. […]
Brillat-Savarin : Anathème aux haricots ! […]
L’obèse, d’un air résolu : Je me moque bien de votre anathème ; ne dirait-on pas que vous êtes à vous seul tout un concile ? » (2)
Ce qu’il faut comprendre à travers ce passage, c’est qu’assister à cette scène où s’empiffrent des obèses est pour Brillat-Savarin une abjecte révulsion, d’autant plus qu’il est convaincu que les haricots sont obésigènes ! La tentative de Brillat-Savarin, coup d’épée dans l’eau, de détourner de ces obèses un aliment qu’il considère comme un poison pour eux, non plus que la moquerie plus tardive d’Eugène Chavette qui prétendait ce légume comme l’ami du pauvre « dont il égaie la solitude par ses bavardages et ses saillies », ne seront parvenus à menacer le destin du haricot dont le docteur Ramm affirmera en 1893 qu’il « n’est pas de moyen plus propre à freiner la formation de l’acide urique dans le corps et d’en dissoudre les dépôts » (3) grâce à une décoction de cosses de haricot, attestant par là ses puissantes vertus diurétiques aperçues au XVI ème siècle, intervenant dans de nombreuses affections de la sphère vésico-rénale (lithiase, goutte, maladies chroniques des reins et de la vessie). Le haricot eut, par la suite, tant de succès que, depuis environ un siècle, a lieu dans l’Essonne, à Arpajon, la fête du haricot chaque année au mois de septembre. Fort heureusement, elle n’a pas lieu dans l’Ain, sans quoi Brillat-Savarin se retournerait dans sa tombe !
« Aux Indes, les haricots étaient l’offrande par excellence apportée aux morts, mais ils étaient considérés en même temps comme aphrodisiaques » (4) du fait de la forme du haricot en relation avec celle du testicule, d’où sa présence au sein de rituels de magie amoureuse. Une telle croyance se rencontre aussi aux Amériques où manger des haricots est supposé accroître la vigueur sexuelle. Ces rites de fécondité et, partant, de prospérité, apparaissent également au Japon où, durant le 3 février, a lieu une cérémonie lors de laquelle on éparpille des haricots un peu partout dans les maisons, en joignant à ce geste les paroles suivantes : « Les démons dehors et le bonheur dedans ! », rituel de protection et d’exorcisme censé éloigner les mauvais esprits, ainsi que la foudre et les maux qui pourraient peser sur les maisonnées.
Le haricot en phytothérapie
Voici encore une autre plante n’étant pas uniquement alimentaire et qu’il va falloir faire sortir du cadre étriqué dans lequel on l’a logée. Le haricot aux frondes volubiles rappelant le liseron, est pourtant un être qui sait échapper aux contingences fixées par les hommes. Pour débuter, essartons un peu le terrain et distinguons le haricot que l’on dit communément vert (il lui arrive aussi d’être jaune, violet, vert panaché de violet) et que l’on cueille alors qu’il n’a pas atteint sa totale maturité, et le haricot à écosser ou haricot à grains dont les couleurs sont variées (blanc, beige, jaune, chamois, noir…). Que ce dernier type de haricot et celui qu’on dit mangetout, c’est-à-dire le vert, se différencient par des caractéristiques physiologiques, l’on remarque qu’il existe chez l’un comme chez l’autre des variétés naines et d’autres à rames, autrement dit grimpantes. Nous n’irons pas plus loin dans les distinctions botaniques sachant que les variétés de haricots sont bien plus nombreuses que la quantité de haricots à grains nécessaire à l’élaboration d’un cassoulet : à la fin du XIX ème siècle, Vilmorin en recensait 472, un siècle plus tard, aux États-Unis, le Seed Savers Exchange s’enorgueillissait de posséder plus de 4000 variétés dans sa collection. En terme de matière médicale, les haricots offrent au moins trois choses : le haricot vert en tant que tel, les grains du haricot à écosser et les cosses débarrassées de leurs grains. L’on comprend dès lors que ces trois parties possèdent des profils biochimiques fort différents. Aussi allons-nous tenter de mettre un peu d’ordre dans un pléthorique ensemble de données :
A cela, ajoutons que le haricot vert, riche en chlorophylle, contient aussi une saponine, c’est pourquoi il a tendance à mousser légèrement lorsqu’on le porte à ébullition. A l’approche de la maturité, les cosses du haricot à grains révèlent de nombreux acides aminés (asparagine, arginine, tyrosine, leucine, lysine, etc.), un alcaloïde (trigonelline), de la choline, de l’allantoïne aux effets anti-inflammatoire et régénérateur cutané, de l’acide urique (45 mg aux 100 g), enfin de la nucléine riche en phosphore. Point commun à nos deux types de haricot, une toxo-albumine du nom de phaséoline (ou phasine) dont nous reparlerons en fin d’article, et de l’inosite aux propriétés tonicardiaques qui, ironie du sort, se loge principalement dans les filandres du haricot vert, ces fils qui nous font redouter le haricot vert de même que les arêtes le poisson.
Propriétés thérapeutiques
- Haricot vert : tonicardiaque, diurétique, dépuratif, tonique hépatique et pancréatique, reconstituant, stimulant nerveux
- Cosse : diurétique puissante, abaisse le taux de glucose sanguin
- Grain : nutritif, énergétique, reconstituant, émollient, adoucissant
Usages thérapeutiques
- Haricot vert : convalescence, surmenage, croissance, troubles de la sphère vésico-rénale (lithiase rénale, oligurie, albuminurie, insuffisance rénale chronique, rhumatisme, goutte)
- Cosse : diabète, troubles de la sphère vésico-rénale (albuminurie, rhumatisme chronique, goutte, arthritisme), hydropisie, œdème, insuffisance hépatique, sciatique, convalescence
- Grain : affections cutanées (brûlure, dartre, érysipèle, panaris, abcès, démangeaisons, eczéma aigu ou chronique, humide ou sec), dyspepsie
Modes d’emploi
- Haricot vert ou à grains frais en nature.
- Suc de haricot vert frais.
- Poudre de cosses sèches.
- Décoction de cosses.
- Cataplasme de farine de grains.
Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations
- Afin de corriger le caractère assez peu digeste des haricots à grains tel que cela se présente parfois chez certaines personnes, nous ne saurions assez conseiller d’y adjoindre de nombreuses plantes qui en facilitent la digestion : persil, cerfeuil, ail, laurier, basilic, pimprenelle, sauge, fenouil, thym, sarriette, coriandre.
- Toxicité : elle concerne uniquement le haricot cru, par le biais de cette phasine dont on a déjà parlé, détruite par la cuisson cependant. Mais qui aurait l’idée de croquer des haricots crus ? Si pour je ne sais quelle absurde raison cela devait être le cas, nous pouvons néanmoins dire que l’absorption de phasine engendrerait gastro-entérite et douleurs abdominales, ce qui reste, comme toute, assez léger.
- Antagonisme : si dans l’assiette ail et haricot font bon ménage, ce n’est pas le cas au jardin où il faudra veiller à les tenir éloignés l’un de l’autre.
- L’une des propriétés du haricot à grains (surtout lorsque ceux-ci sont secs) se situe au-dessous de la ceinture : c’est bien connu, le fayot fait péter. Cela provient du fait qu’une partie des féculents qui le composent migrent jusqu’au côlon où ils sont digérés par fermentation par des bactéries (Lactobacillus casei et Lactobacillus plantarum), ce qui a pour conséquence l’émission de gaz divers (dioxyde de carbone, méthane, hydrogène, etc.). A l’état frais, et selon l’épaisseur de la peau de certaines variétés, l’on ne rencontre pas (ou moins) ce problème.
- Autres espèces : le haricot d’Espagne (Phaseolus coccineus), également originaire d’Amérique centrale, surtout utilisé comme plante ornementale, mais qui n’en reste pas moins comestible, au contraire de l’espèce suivante, le haricot de Lima (Phaseolus lunatus), ayant déjà occasionné des accidents mortels, tant chez l’homme que chez l’animal, de par la présence d’un composé cyanogénétique libérant de 0,05 à 0,32 % d’acide cyanhydrique par contact avec l’eau. Il est cependant consommé dans beaucoup de pays après qu’on lui a fait subir certains traitements que nous n’aborderons pas ici.
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1. Paul-Victor Fournier, Dictionnaire des plantes médicinales et vénéneuses de France, p. 498.
2. Jean Anthelme Brillat-Savarin, La physiologie du goût, p. 217.
3. Cité par Paul-Victor Fournier, Dictionnaire des plantes médicinales et vénéneuses de France, p. 499.
4. Mircea Eliade, Traité d’histoire des religions, p. 348.
© Books of Dante – 2018