Le framboisier (Rubus idaeus)

Synonymes : ronce framboisier, ronce du Mont Ida, ambre.

Une belle légende mythologique raconte qu’en Crète, à proximité du Mont Ida, les framboises étaient, initialement, parfaitement immaculées. Zeus, alors enfant, était particulièrement turbulent et « faisait retentir les échos de la montagne de cris furieux à rendre sourds les Corybantes eux-mêmes » (1). Les Corybantes, prêtres de Cybèle, célébraient le culte de la déesse à grand fracas, au son tonitruant des tambours, en frappant violemment leurs boucliers de leurs lances ; bref, autant dire que c’était quelque chose d’extrêmement bruyant. La fille du roi de Crète Mélissos, la nymphe Ida, « voulut, pour l’apaiser, lui cueillir une framboise ; elle s’égratigna le sein aux épines de l’arbuste dont son sang teignit à jamais les fruits d’un rouge éclatant » (2).
Pour charmante que soit cette anecdote, elle est pourtant complètement fausse, quand bien même Pline affirmera péremptoirement que la ronce du Mont Ida – Rubus idaeus – ne pousse qu’en Crète et nulle part ailleurs. Mais ce Rubus idaeus, que l’on connaît aujourd’hui sous le nom vulgaire de framboisier, en était-il bien un ? Rien n’est moins sûr. Le Batos idaïos, comme on l’appelait également, n’était très certainement pas le framboisier dont le peu de cas qu’il fait du climat méditerranéen explique, bien mieux, sa présence dans des zones plus fraîches. Fournier explique que ce Batos idaïos était probablement « un arbrisseau non ou peu épineux indéterminé » (3), ce qui est un peu maigre pour y voir un framboisier, dont le nom même est inconnu des Grecs et des Latins, puisque, comme le groseillier, il est d’origine germanique : Amberen hesse, ayant donné Hinbeere en allemand, et ce qui explique que l’on surnomme parfois du nom d’Ambre le framboisier en langue française, framboise n’étant lui-même qu’une contraction de « fraise des bois ». Tout cela tend à montrer l’indigénat de la framboise en Europe centrale, et c’est aussi l’occasion de rappeler qu’il est peu prudent, voire même grossier, d’imaginer, sur la base de quelques informations difficilement exploitables, que l’environnement végétal de tel ou tel peut s’appliquer à toute zone du globe, en particulier quand celles-ci sont inconnues de ceux qui voudraient faire rentrer des ronds dans des carrés. Par exemple, Pline n’a certainement jamais mis les pieds en Crète.

L’on sait que l’homme du Néolithique était friand de framboises sauvages, un engouement qui ne sera remis au goût du jour que bien plus tard, puisque la culture du framboisier dans un but alimentaire ne prend effet qu’au Haut Moyen-Âge. L’aspect médicinal semble totalement occulté et je m’explique difficilement où certains auteurs sont allés chercher qu’Hildegarde conseillait la « framboise » contre les fièvres. Enfin, passons… Comme de nombreuses plantes qui n’ont pas marqué ni retenu l’esprit des Anciens, la carrière médicinale du framboisier débute sur le tard. C’est sans doute au médecin et botaniste allemand Valerius Cordus que l’on doit la première mention faite à propos d’un sirop de framboise, et encore que cette information sera différée dans le temps. En effet, Cordus meurt relativement jeune, terrassé par la malaria à l’âge de 29 ans (1515-1544). C’est Conrad Gessner, contemporain de Cordus, qui fera paraître son œuvre après sa mort, dans laquelle il apparaît que la framboise était non seulement un reconstituant mais également un tonique stomacal.
Au XVII ème siècle, Thomas Bartholin n’hésite pas à ériger la framboise comme médicament cardiaque rival de la confection alkermès, c’est-à-dire une ancienne composition magistrale connue sous les noms de kermès animal et rouge de kermès, du nom de l’insecte parasite du chêne kermès, « dont la femelle se recouvre, pour protéger ses œufs, d’une pellicule dure ayant la forme d’une graine qui, appelée graine d’écarlate, servait à fabriquer une teinture rouge » (4). La confection alkermès, dans laquelle on trouve d’autres ingrédients (cannelle, bois d’aloès…), était réputée comme étant une médication favorable au muscle cardiaque, aussi l’affirmation de Bartholin était-elle osée.
Par ailleurs, « au temps de Molière, ne croyait-on pas, entre autres multiples vertus, que [les] feuilles [de framboisier] écrasées sur l’épigastre suffisaient à guérir les maux d’estomac ? », interrogent les auteurs du Petit Larousse des plantes médicinales (5). C’est, du moins, ce que préconisait Bauhin contre les vomissements incoercibles. Cela put paraître bien aventureux à certains esprits qui réservaient la framboise à la distillation afin d’en obtenir une eau de framboise dont l’unique qualité était de faire resplendir la beauté des dames.
A propos de ce que nous avons dit plus haut au sujet de l’application de feuilles de framboisier sur l’épigastre, peut-être bien que Bauhin a eu une sorte d’intuition, car l’on s’aperçoit que dès le début du XVIII ème siècle, le framboisier va jouer le rôle de cordial, la région cardiaque se situant non loin de l’épigastre. Outre Bartholin, mentionnons que l’herboriste irlandais K’Eogh écrivait en 1735 que « l’application de miel et de fleurs écrasées traite les inflammations de l’œil, les fièvres et les furoncles. Le fruit est bon pour le cœur et les infections buccales ». De même, Geoffroy, dans son Traité de matière médicale (1757), réaffirme-t-il les vertus cordiales du framboisier : « les framboises sont humectantes, rafraîchissantes et cordiales », une propriété qui perdurera puisque, au début du XX ème siècle, Johann Künzle (1857-1945), curé herboriste, recommandait encore les feuilles de framboisier contre la faiblesse cardiaque. Bien sûr, le framboisier ne se cantonnait pas qu’à cette unique prescription : les framboises « fortifient l’estomac, donne bonne bouche, purifient le sang, sont apéritives et antiscorbutiques, ajoute Geoffroy. Elles conviennent aux gens bilieux, à ceux dont les humeurs sont trop âcres et trop agitées » (6). A cette liste ajoutons les fièvres, l’asthénie, etc., durant lesquelles l’on conviait limonades, suc et marmelades de framboises.

Le framboisier est un petit arbrisseau à souche drageonnante armée de stolons souterrains dont la hauteur, à l’état sauvage, peut atteindre deux mètres. De rudes tiges drues émergent du sol et possèdent la particularité d’être épineuses uniquement dans les parties inférieures couvertes d’aiguillons rougeâtres. Dans les parties hautes, les rameaux se recourbent et deviennent moins piquants, seulement velus voire glabres. Les feuilles, composées de trois à sept folioles d’aspect gaufré et aux bordures dentées, sont d’un beau vert franc sur le dessus, et couvertes d’un léger duvet blanchâtre au-dessous. Au bout des rameaux, des grappes lâches de fleurs blanches se déploient durant plusieurs mois (mai-août). Plus tard, les fruits apparaissent : chaque framboise est, en réalité, un agglomérat de drupéoles duveteuses réunies autour d’un réceptacle conique. Généralement rouge rose, les framboises peuvent aussi être de couleur dorée, pourprée, voire parfois noirâtre, tout cela en fonction des très nombreuses variétés existantes.
Son aire de répartition occupe l’Europe, le nord de l’Asie et le Japon. Il nécessite des sols humides, fertiles et riches en azote : ainsi, clairières, bois clairs et zones buissonneuses lui conviennent-il jusqu’à 2000 m d’altitude.

Le framboisier en phytothérapie

Tout comme sa cousine la ronce (Rubus fruticosus), l’on utilise du framboisier ses feuilles et ses fruits. Les feuilles se composent de tanin, de flavonoïdes, d’une intéressante proportion de vitamine C, de quelques traces d’essence aromatique, enfin d’un alcaloïde du nom de fragarine. La framboise, constituée d’eau à hauteur de 85 %, est un fruit relativement peu nutritif comme le montrent les données suivantes : sucres (fructose et lévulose : 4,4 à 5 %), matières grasses (1 %), matières azotées (1 %), acides (malique, citrique, salicylique : 1,5 %), un peu de mucilage et de pectine. En revanche, les sels minéraux sont bien représentés : fer, calcium, cuivre, manganèse, potassium, magnésium, ainsi que les vitamines : provitamine A, vitamines B1 et B9, vitamine C (35 mg aux 100 g de fruits frais). Quant aux pépins logés dans les drupéoles, ils recèlent de la vitamine E, ainsi qu’un polyphénol antioxydant, l’acide ellagique. Par expression, ces pépins produisent de 15 à 20 % d’huile végétale limpide, de couleur jaune verdâtre.

Propriétés thérapeutiques

  • Vitalisant, tonique, renforce les défenses de l’organisme
  • Apéritif, digestif, laxatif, stomachique, astringent intestinal
  • Diurétique, dépuratif, sudorifique
  • Emménagogue, tonique utérin, fortifiant du myomètre utérin
  • Détersif, cicatrisant
  • Rafraîchissant

Usages thérapeutiques

  • Troubles de la sphère vésico-rénale : cystite, énurésie
  • Troubles de la sphère gastro-intestinale : constipation, diarrhée, dysenterie, dyspepsie, embarras gastro-intestinal
  • Affections de la bouche et de la gorge : angine, maux de gorge, aphte, stomatite
  • Affections oculaires : yeux irrités, conjonctivite
  • Affections cutanées : plaie, ulcère, peau fragile tendant à rougir
  • Anémie, asthénie
  • Troubles de la sphère gynécologique : leucorrhée, règles douloureuses

Note 1 : sans pour autant être le remède d’un certain nombre de maux, la framboise saura être profitable aux rhumatisants, aux goutteux, aux azotémiques, aux diabétiques (la framboise contient une très faible fraction de saccharose, aussi les diabétiques peuvent-ils ne pas s’en priver). De même, la framboise constitue un agréable et efficace adjuvant lors de fièvre inflammatoire, de maladies infectieuses (rougeole, scarlatine), etc.

Note 2 : le framboisier est d’une aide particulièrement précieuse à la femme enceinte, tant par ses feuilles que par ses fruits. Les premières, en tonifiant les muscles utérins, rendent plus efficaces les contractions et amenuisent les douleurs du travail jusqu’à délivrance. Les seconds sont remarquables par l’acide folique, c’est-à-dire la vitamine B9, qu’ils contiennent. « L’acide folique participe au métabolisme des acides aminés et joue un rôle capital dans le développement de l’embryon, particulièrement au niveau de la croissance du cerveau. Toutes les études biochimiques montrent un lien entre déficience mentale et carence en folates » (7), et c’est d’autant plus vrai que si la dose quotidienne de vitamine B9 pour un adulte se situe entre 200 et 400 gamma, cette quantité peut monter jusqu’à 1000 gamma chez la femme enceinte, d’où la nécessité de la supplémenter en vitamine B9, en particulier en début de grossesse (8), alors que les feuilles du framboisier ne s’emploieront, elles, qu’en fin de grossesse, à partir du septième mois environ. C’est un usage qui ne date pas d’hier, puisque ainsi procédait-on en Grande-Bretagne au XVIII ème siècle. Ainsi, l’envie de fraises (entre autres) de la femme enceinte n’est-elle pas qu’un inexplicable caprice… ;)

Modes d’emploi

  • Fruits en nature (quand c’est la saison ; au pire, on peut en congeler pour plus tard, mais ça n’est plus vraiment pareil).
  • Sirop, vin, vinaigre de framboises sont des préparations qui permettent de retrouver tous les bienfaits de la framboise en dehors de sa période de fructification.
  • Infusion de feuilles : comptez 40 à 50 g de feuilles par litre d’eau à infuser durant 10 mn. A raison de 3 à 4 tasses par jour. C’est, de plus, tout comme le thé de ronce, une boisson fort agréable.

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • L’infusion de feuilles de framboisier réclame la même précaution que celle de ronce : il est préférable de la filtrer avant de l’avaler, en raison de la possible présence de petits aiguillons dans la préparation.
  • Récolte : les feuilles au début de l’été, parfois plus tôt selon les régions (avril) ; les fruits à totale maturité (juillet-août).
  • Les usages culinaires sont innombrables. Tant fraîche que cuite, la framboise est utilisée dans la confection de sirops, jus, gelées, confitures, glaces, sorbets, gâteaux, tartes, crumbles. Elle est également à la base d’alcools, de vins et de liqueurs ainsi que de sauces et garnitures de viandes telles que gibiers, etc.
  • L’huile de pépins de framboises, riche en vitamine E, est utilisée dans la confection de crèmes (solaires, antirides, etc.), d’huiles de bain, de dentifrices, de shampooings, etc.
  • On ne compte plus les variétés horticoles. Si la plupart des framboises sont rouges (Homet, Pilate, Belle de Fontenay, Perpétuelle de Billiard, Merveille des quatre saisons rouge), d’autres possèdent une belle couleur ambrée (Sucrée de Metz, Surprise d’automne) ou pourprée (Dundee).
    _______________
    1. Henri Leclerc, Les fruits de France, p. 34.
    2. Ibidem.
    3. Paul-Victor Fournier, Dictionnaire des plantes médicinales et vénéneuses de France, p. 834.
    4. cntrl.fr.
    5. Petit Larousse des plantes médicinales, p. 164.
    6. Cité par Henri Leclerc, Les fruits de France, p. 35.
    7. Jean Valnet, Se soigner par les légumes, les fruits et les céréales, p. 82.
    8. A l’absence de toute framboise disponible sur les marchés, il est possible de jeter son dévolu sur les fruits et légumes suivants particulièrement riches en vitamine B9 : asperge, lentille, fenouil, chou, persil, avocat, banane, citron… Mentionnons aussi la levure de bière qui, à ce niveau, bat tous les records, puisque seulement 10 g couvrent la totalité des besoins quotidiens.

© Books of Dante – 2017

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