Huile essentielle de lavande aspic (Lavandula spica ou latifolia)

Synonymes : grande lavande, lavande à larges feuilles (ce qui est la traduction littérale de l’adjectif latifolia ; ce n’est pas parce que c’est écrit en latin que ça veut forcément dire quelque chose de transcendant ; très souvent, vous disais-je dernièrement, ça vole au ras des pâquerettes) , lavande en épis, lavande branchue, lavande mâle, aspic, spic, espider, espido, faux nard, badase.

Vous avez peut-être remarqué que dans chacun de mes articles je cherche avant tout à injecter des éléments qui me permettent de raconter l’histoire conjointe des hommes et des plantes à travers les âges. Ayant auparavant abordé la lavande fine dite également vraie (Lavandula angustifolia), ainsi que la lavande stoechade (Lavandula stoechas), je me suis alors bien rendu compte que nombre de contraintes s’imposaient à moi à propos de l’objectif visé. Comme vous le savez, pour l’avoir souvent répété, durant l’Antiquité on désigne assez souvent bien des plantes d’un même nom. Chez les Grecs, les lavandes portaient le nom de stochas, sans doute parce que la lavande papillon était leur préférée. Quant au Latin Pline, il parle de pseudo-nardus ou faux nard, une autre façon vernaculaire d’appeler la lavande aspic. Mais ni la stochas grecque, ni le pseudo-nardus romain ne nous permettent aujourd’hui de savoir de quelles plantes il s’agissait vraiment, ce qui est pour moi un crève-cœur, parce que j’ai alors l’impression de m’égarer et vous avec moi, qui me lisez. Aussi, l’on peut légitimement se demander si la lavande dont les quelques éléments qui vont suivre était bien l’aspic.

Au IX ème siècle, le célèbre savant Rhazès, Iranien de son état, recommande des fumigations d’hysope, de thym et de lavande contre la peste, comme en son temps Hippocrate. Mais, compte tenu de l’aire de répartition de la lavande aspic, on peut douter de sa présence au Proche-Orient. Ces fumigations furent également conseillées par le Grand Albert afin de purifier les abords des maisons ainsi que les pièces d’habitation. Mais restons un peu au sein de ce trouble Moyen-Âge. Dans son Physica, Hildegarde parle de la lavande en deux endroits. Dans le premier, elle appelle Lavendula une plante dont l’odeur « éclaircit la vue, car elle a la force des arômes les plus puissants et l’utilité des plus amers : c’est pourquoi elle arrête un certain nombre de maladies, et écarte en outre les mauvais esprits » (1). Comme Hildegarde dit cette plante bonne contre les poux, on serait tenté d’imaginer la lavande vraie. Continuons. Elle aborde une autre lavande qu’elle appelle… Spica : « La lavande est chaude et sèche, et sa chaleur est saine. Si on fait cuire de la lavande avec du vin – ou, si l’on n’a pas de vin, avec de l’eau et du miel – et qu’on en boit souvent, tiède, on apaise les douleurs du foie et du poumon, ainsi que les vapeurs de la poitrine ; on obtient aussi une connaissance pure et un esprit pur » (2). Hormis l’action pectorale de cette Spica, qui peut évoquer la lavande aspic, tout ceci reste bien maigre. Au XIV ème siècle, Jean de Gaddesden annonce la vertu diurétique d’une lavande qu’il érige comme spécifique de l’hydropisie. Si l’aromathérapie ne nous est d’aucun secours, il s’avère tout à fait exact que la lavande aspic employée en phytothérapie est très loin d’être dénuée d’effet diurétique. Mais l’identification fait encore défaut, de même que dans le Petit Albert (XVII ème siècle) quand il mentionne un spica nardi ou spicanardi, le mot spica ne pouvant en aucun cas nous autoriser à croire qu’il s’agit bien là de la lavande aspic, parce qu’à cette époque encore, les mots spic, spica, etc. étaient indifféremment associés à l’ensemble des différentes lavandes. Cela n’est qu’au milieu du XVIII ème siècle qu’on s’efforce enfin de les distinguer botaniquement. Aussi, quand Schroder, en 1665, écrit que la spica est souveraine pour guérir les maladies nerveuses d’origine psychique et qu’elle calme les spasmes, il est difficile de trancher puisque lavande vraie et lavande aspic sont toutes deux justiciables de ces emplois.
C’est ainsi que les données disponibles aux XIX-XX ème siècles à propos de la lavande aspic sont fiables. Cazin, Leclerc, etc. font très bien la distinction entre les trois types de lavandes connues en France et, grâce à eux, on est assuré de ne pas raconter d’âneries. Mais dès qu’il s’agit de plonger plus anciennement dans les sources, c’est tout de suite une autre paire de manches, chose fort regrettable que de ne pouvoir écrire plus fidèlement l’histoire d’une plante que tout le monde connaît et, paradoxalement, connaît bien peu.

Sous-arbrisseau de plus grande taille que la lavande fine parce qu’elle peut atteindre 75 cm de hauteur, la lavande aspic se compose de rameaux droits et nombreux, le plus souvent ramifiés, portant de longues feuilles spatulées, opposées, de couleur vert argenté. Ses fleurs en épis terminaux de couleur bleu violacé (parfois blanches), s’épanouissent de juin à septembre. Sensible au froid, la lavande aspic se maintient à une altitude modérée (300 à 700 m). A l’état naturel, on la rencontre dans la garrigue, sur sols secs et pierreux du Midi de la France et du sud de l’Europe.

La lavande aspic en phyto-aromathérapie

Aujourd’hui, l’usage des sommités fleuries de la grande aspic est quelque peu tombé en désuétude, concernant ses usages phytothérapeutiques. Mais il n’en a pas toujours été de la sorte, ne serait-ce qu’il y a un siècle, on s’intéressait peu à son huile essentielle, dont on disait qu’elle ne servait guère qu’à falsifier celle de lavande fine ou à un usage vétérinaire. Bien qu’étant beaucoup moins employée que l’huile essentielle de lavande fine, au XIX ème siècle, la lavande aspic aura joui d’une respectueuse réputation, étant davantage mise à l’honneur que la lavande fine. Les choses se sont depuis inversées et le regain d’intérêt qu’a rencontré la lavande aspic démontre bien qu’elle a su redorer son blason.
Qu’on fasse dans la phytothérapie ou dans l’aromathérapie, l’on se doit de récolter les fleurs juste avant leur complet épanouissement. Dans le premier cas, on les fait sécher pour un usage ultérieur, dans le second on distille la plante à l’état frais pendant environ 90 mn. Le rendement, peu élevé, se situe entre 0,5 et 0,7 %. L’huile essentielle obtenue, limpide, mobile, est généralement de couleur jaune pâle. Ses notes balsamiques, fraîches et prononcées évoquent le parfum de l’huile essentielle de romarin officinal en raison de la présence de molécules que nous retrouvons dans les données chiffrées suivantes :

  • Monoterpénols (dont linalol) : 30 à 45 %
  • Oxydes (dont 1.8 cinéole) : 30 à 40 %
  • Cétones (dont camphre) : 10 à 15 %
  • Monoterpènes : 8 %
  • Sesquiterpènes : 1 à 4 %
  • Coumarine : traces

Propriétés thérapeutiques

  • Anti-infectieuse : antibactérienne, antifongique, antivirale
  • Immunostimulante, positivante, neurotonique, neurotrope
  • Antalgique percutanée, analgésique, anti-inflammatoire
  • Antispasmodique, apaisante, sédative, calmante de l’excitabilité cérébro-spinale, anxiolytique
  • Expectorante, mucolytique, anticatarrhale
  • Astringente, tonique et régénératrice cutanée, cicatrisante
  • Emménagogue légère
  • Antitoxique
  • Insectifuge, insecticide

Ajoutons à cela que la lavande aspic se révèle stimulante, stomachique, cholagogue, décontractante, vermifuge et diurétique par le biais d’un emploi phytothérapeutique.

Usages thérapeutiques

  • Troubles de la sphère pulmonaire + ORL : bronchite, catarrhe bronchique chronique, bronchiolite virale chez l’enfant, laryngite, pharyngite, rhinite, rhume, toux grasse, toux quinteuse, enrouement, aphonie, angine, amygdalite, otite, sinusite, asthme humide
  • Troubles locomoteurs : arthrose, rhumatisme articulaire aigu, douleur musculaire, crampe
  • Affections cutanées : brûlure sévère (deuxième degré), plaie, plaie atone, blessure, contusion, coupure, ulcère, escarre, psoriasis, eczéma sec, zona, acné, panaris, impétigo, gerçure, coup de soleil, candidose, herpès labial, piqûre et morsure (guêpe, frelon, moustique, moustique tigre, scorpion, serpent (3), méduse, vive, ortie…)
  • Candidose gynécologique, herpès génital
  • Névralgie dentaire et migraineuse, névrite
  • Asthénie nerveuse et physique, déprime, dépression, insomnie
  • Autres infections : grippe, candidose buccale et digestive, cystite

Autres usages phytothérapeutiques : colique, flatulences, coqueluche, vertiges, vapeurs, congestion, torticolis, tendinite.

Propriétés psycho-émotionnelles et énergétiques

S’il est légitime que la première partie de cet article vous a sans doute laissé sur votre faim, dans cette ci-présente rubrique, il y a énormément de choses à dire. Je vais donc m’employer à les synthétiser de la plus simple des manières.

Si nous jetons un œil sur la médecine traditionnelle chinoise, avec évidence, nous constatons que l’huile essentielle de lavande aspic résonne très fortement avec les deux méridiens relevant de l’élément Métal, c’est-à-dire ceux du Poumon et du Gros intestin.

Dans le paragraphe ci-dessus, nous avons pris connaissance des actions multiples portées par l’huile essentielle de lavande aspic sur la sphère pulmonaire et ORL, ainsi que sur l’interface cutanée qui fait, rappelons-le, partie du système respiratoire. Le méridien du Poumon gère un sas entre notre monde intérieur et l’extérieur environnant. C’est à lui que revient la prérogative de prendre ce qui est bon pour nous et de laisser dehors ce dont nous n’avons pas besoin. Vous comprenez bien que dans la vie de tous les jours, des impondérables nous guettent sans que nous le sachions. Cela peut être, au choix, un voisin vampire chronophage qui vous bloque dans l’escalier pour des broutilles alors que vous devez urgemment vous rendre à un important rendez-vous, ou bien le camelot de rue expert dans l’art du pied-dans-la-porte, ou encore, vilain serpent à sornettes, le démarcheur téléphonique qui babille dans son combiné. Toutes ces situations reflètent une intrusion, une invasion, un envahissement de votre propre monde, non seulement physique, mais symbolique et sacré. Il peut ressortir que ces événements importuns laissent sur vous leur marque. Nous laissant sans voix, le souffle coupé, etc., il est bien évidemment permis de penser qu’ils auront une incidence sur la perturbation du méridien du Poumon. D’où les bronchites, rhinites, otites et autres sinusites qui indiquent bien un dysfonctionnement du méridien du Poumon, que l’huile essentielle de lavande aspic peut corriger en en tonifiant l’énergie. De ces rencontres non désirées avec l’extérieur peuvent naître d’autres affections, cutanées celles-là, dont les démangeaisons (je pense, en l’occurrence à celles provoquées par eczéma, psoriasis, etc.) disent tout l’agacement dans lequel ces vécus psycho-émotionnels nous font plonger. Observons même que certaines formes de psoriasis construisent comme une cuirasse qui, à l’instar de celle de la langouste, cherche à nous protéger en épaississant la peau, bien qu’il ne s’agisse là que d’un leurre, la marque de l’affection cutanée montrant de manière visible et explicite l’effet que la cause (l’intrusion, l’invasion, etc.) a provoqué. Là encore, l’huile essentielle de lavande aspic peut être particulièrement utile, non seulement pour agir localement sur un eczéma ou un psoriasis par exemple, mais aussi pour tonifier l’énergie du méridien du Poumon, ce qui permettra d’endiguer l’affection, parfois même l’infection. Bien sûr, nombre d’affections cutanées que nous avons listées plus haut sont la conséquence d’une rencontre toute différente : piqûre de guêpe, morsure de scorpion, etc. Quand le mal est fait, il n’est pas question de lésiner sur les moyens à employer. De même qu’un doigt coincé dans la porte est justiciable d’un usage immédiat d’huile essentielle de menthe poivrée pure ! Ce qui est intéressant, c’est que l’huile essentielle de lavande aspic repousse tout un tas de bestioles qui piquent, qui mordent, qui inoculent leur venin, qui parasitent, et, très franchement, à bien considérer certains de mes voisins, je me dis qu’ils incarnent à merveille ces parasites venimeux.

Venons-en maintenant au méridien du Gros intestin. Première remarque : parmi la liste de troubles et d’affections communiquée au paragraphe précédent (cf. Usages thérapeutiques), il n’en est aucun qui correspond à ce second méridien. Par exemple, nous ne lisons nulle part que l’huile essentielle de lavande aspic est bénéfique contre une diarrhée ou un ulcère intestinal. Cependant, tout comme le méridien du Poumon, un dysfonctionnement de celui du Gros intestin peut se traduire par des désagréments cutanés identiques. Ce méridien étant un transporteur, il est nécessaire que son débit soit bien réglé, afin de situer le transit entre la constipation d’une part et la diarrhée aqueuse d’autre part. Entre stase et extrême mobilité, il importe de trouver un équilibre qui, bien sûr, peut être rompu pour des raisons similaires à celles qui viennent perturber le méridien du Poumon. Des événements pénibles, désagréables, stressants, peuvent avoir chez certaines personnes des répercussions sur le colon. Un vécu psycho-émotionnel qu’on ne parvient pas à digérer pourra avoir pour conséquence une diarrhée, moyen violent et rapide mis en place par l’organisme afin de se débarrasser au plus vite de quelque chose qui nous apparaît comme indésirable, toxique, etc. Donc, l’intérêt de l’huile essentielle de lavande aspic sur le méridien du Gros intestin est de retrouver, si vous l’avez perdu, votre calme, ainsi que de le conserver.
A l’inverse, la peur de manquer peut se cristalliser par quelques désordres digestifs comme, par exemple, la constipation, qui est, en soi, une forme de rétention. En ce cas, on fera intervenir la lavande aspic, mais non sous forme d’huile essentielle, mais en en faisant un usage phytothérapeutique, parce que par ce biais il a été remarqué que la lavande aspic avait une action profitable sur l’atonie des voies intestinales. Dans ce dernier cas, psycho-émotionnellement parlant, l’huile essentielle de lavande aspic permet de relâcher les tensions.

Modes d’emploi

  • Infusion de sommités fleuries. A l’occasion, rappelons la recette des cinq fleurs sudorifiques et diurétiques, bien utile en cas de grippe, affection durant laquelle il est souhaitable d’exonérer les voies d’excrétion des toxines qui les encombrent : lavande aspic (10 g), souci (5 g), bourrache (5 g), genêt (5 g) et pensée sauvage (5 g)
  • Teinture
  • Macération acétique
  • Bain
  • Huile essentielle : voie orale, voie cutanée, olfaction, inhalation, diffusion atmosphérique

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • Récolte et séchage : on coupe les tiges fleuries à l’été, lorsque les fleurs sont à peine écloses. Si vous possédez une faucille, servez-vous en, c’est l’instrument idéal. La dessiccation se réalise très facilement et la lavande aspic présente l’intérêt de ne rien perdre de sa vigueur une fois sèche. Cazin indique que « celle qu’on récolte dans les terrains secs, pierreux, arides, est plus active » (4), une information qui ne doit nullement nous étonner.
  • L’huile essentielle de lavande aspic doit s’employer avec prudence, en particulier durant les trois premiers mois de grossesse, le camphre étant neurotoxique et potentiellement abortif. Mais notons qu’il faut faire attention à l’origine de cette huile. Par exemple, celle qui provient du Portugal peut afficher un taux de cétones compris entre 50 et 70 % ! A ce niveau, ça n’est plus du tout la même farine, et une telle huile utilisée sans discernement pourrait poser des problèmes. De même que l’huile essentielle de romarin officinal, celle de lavande aspic est sujette à d’importantes variations biochimiques. Dans le cas d’une huile essentielle de lavande aspic comportant un raisonnable taux de camphre (10 %), on la proscrira tout de même chez l’enfant de moins de 36 mois, mais on n’en évitera pas l’usage en cas de geste d’urgence où elle peut alors, bien sûr, être employée en première intention. Il n’est pas question de pinailler lors de piqûres, morsures, brûlures. Dans tous les autres cas, cette huile essentielle gagne à être diluée dans des huiles végétales qui travaillent de concert : huile végétale de rose musquée du Chili, macérât de millepertuis (huile rouge), de souci, d’arnica, etc., ce qui explique parfaitement sa présence au sein de compositions magistrales telles que le vulnéraire du Codex ou bien le baume tranquille. Enfin, faisons remarquer que le linalol est une molécule porteuse d’un potentiel allergisant.
  • Autres usages : la parfumerie et la savonnerie se sont emparées de l’huile essentielle de lavande aspic, ainsi que, et cela depuis fort longtemps, la médecine vétérinaire (gale, ecchymose, seime, etc.).
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    1. Hildegarde de Bingen, Physica, p. 37
    2. Ibidem, p. 34
    3. La lavande mâle n’a pas démérité de son surnom d’aspic qui fait bien évidemment référence au serpent du même nom, Vipera aspis. Autrefois, les campagnards frottaient de lavande aspic les animaux mordus par cette vipère. Notons qu’aspis, en grec, signifie « bouclier ». La lavande aspic en est un contre ce serpent.
    4. François-Joseph Cazin, Traité pratique et raisonné des plantes médicinales indigènes, p. 528

© Books of Dante – 2017

2 réflexions sur “Huile essentielle de lavande aspic (Lavandula spica ou latifolia)

  1. Avec plaisir. Pour renforcer le côté antispasmodique, on peut l’utiliser conjointement avec l’huile essentielle de lavande fine, en particulier dans ces deux affections, ce qui aura bien sûr comme effet de calmer le système nerveux autonome.

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