Le colchique d’automne (Colchicum automnale)

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Synonymes : safran des prés, safran d’été, safran bâtard, lis vert, narcisse d’automne, oignon-de-loup, tue-loup, tue-chien, veilleuse, veillote, poulotte, vachotte, chénarde, flamme nue, dame nue, dame sans chemise, etc.

La flore, pour ne considérer que celle du continent européen, est vaste. Il est possible de porter une comparaison entre un spécimen découvert dans un écrit vieux de plusieurs siècles et l’expérience que l’on possède de la plante que nous évoque ce spécimen semblant comme issu des temps anciens. Mais ce que l’on oublie assez souvent, c’est que la distance ne se calcule pas qu’en siècles, également en kilomètres, parfois en centaines et milliers. La flore n’est pas seulement vaste, elle est également riche, et telle plante n’est pas forcément présente à l’identique dans un territoire autre que celui qu’on a communément sous les yeux. Ainsi, connaître le colchique de la comptine ou du poème d’Apollinaire, ça n’est pas vraiment connaître la plante, que l’on pourrait qualifier d’originelle, ayant donné son nom à cette petite représentante des Liliacées qu’est le colchique d’automne. Colchicum est issu du grec Kolkhikon, terme qui, littéralement, peut se traduire ainsi : « originaire de la Colchide », patrie reconnue comme étant celle de deux personnages passés maîtres ès poisons : la magicienne Médée et le roi Mithridate VI. Où se situe la Colchide ? Ce pays, qui n’existe plus, bordait la Mer noire. Il correspondrait aujourd’hui à la Géorgie. Si notre colchique est relativement bien représenté en France (plus rare au Nord, au Nord-Ouest et en région méditerranéenne), on le rencontre aussi en Europe occidentale et centrale. Mais il est absent d’Europe orientale. Par exemple, il n’existe pas en Roumanie. Aussi, le colchique décrit par Dioscoride dans sa Matière médicale au Ier siècle après J.-C. ne peut être le colchique automnal, mais très probablement l’une des espèces de colchiques balkaniques et sud-européens. Quand Dioscoride (MM, 4, 72) indique que le colchique possède une agréable saveur, on pourrait le prendre pour un fou, voire un inculte ignorant, si on devait comparer cette saveur à celle généralement âcre et amère que l’on accorde au colchique d’automne. Et Dioscoride n’est pas fou, ni inculte, il décrit seulement une autre espèce dont on dit que certaines possèdent un bulbe sans saveur particulière. Ces différentes espèces de colchiques propres à l’Europe du Sud-Est ont reçu le nom d’Hermadaktylos, autrement dit « doigt d’Hermès ». Cet hermodacte des Anciens était connu de Dioscoride et Galien pour sa toxicité, et le premier d’entre ces deux grands médecins de l’Antiquité indique clairement, à propos de « son » colchique, que ce qui est sans saveur n’est pas forcément sans malheur… Nicandre de Colophon, qui n’est même pas médecin, écrit dans son Alexipharmaka la chose suivante à propos du colchique : il « produit sur le corps une rougeur et une chaleur excessives, et il provoque des vomissements avec déchirement d’entrailles ».
Peut-on affirmer que les sources médicinales premières propres au colchique remontent bien après ? Bien possible. C’est à Byzance, au V ème siècle après J.-C., que Jacopus Psychestris mentionne la première utilisation « du » colchique contre une affection qui lui est restée, jusqu’à aujourd’hui, étroitement associée : la goutte. Puis, un autre médecin, Alexandre de Tralles, s’inspire de Psychestris, au siècle suivant : « Certaines personnes prennent en boisson le remède du colchique et prétendent que la douleur [de la goutte] cesse aussitôt, en même temps que se produit une évacuation intestinale. Le soulagement est tel, qu’elles veulent aussitôt marcher ». En effet, la goutte est une affection particulièrement douloureuse, touchant principalement les extrémités, surtout celles des pieds. Le gros orteil, le plus fréquemment touché, empêche quiconque de poser le moindre pied par terre. Au VII ème siècle, Paul d’Egine réitérera ces recommandations. Où donc est-on allé chercher tout cela ? Ceux, parmi mes lectrices et lecteurs les plus assidu(e)s, ne s’étonneront pas du fait que, une fois encore, j’en appelle à la fameuse théorie des signatures qui explique, grosso modo, que les semblables guérissent les semblables. J’ignore qui le premier a fait le rapprochement entre la forme du bulbe du colchique et celle d’un orteil goutteux (ou un doigt, ce qui expliquerait peut-être ce terme d’hermodacte, bien que j’imagine difficilement le dieu Hermès affecté d’une maladie pareille). Mise en place par Paracelse, théorisée par Jean-Baptise Porta, la théorie des signatures a toujours rencontré son lot de railleurs. Cependant, les anciens praticiens (beaucoup ont été jaloux des succès de Paracelse) et de plus récents (qui, pour la plupart, n’entendent rien à cette théorie) peuvent se gausser de ce qui, pour eux, n’est qu’une fable moyenâgeuse. Il n’empêche : aujourd’hui encore, au XXI ème siècle, le colchique EST le médicament antigoutteux par excellence.
La médecine arabe, au passage de l’an 1000 environ, fut prompte à s’emparer de ce qui était alors inconnu, voire méprisé en Europe occidentale. Il n’est qu’à considérer la magnificence des arts du « monde arabe » en ce temps, par rapport à ce qui se passait en Europe médiévale à la même époque. Cela n’a rien de comparable. Employés par la médecine arabe, les colchiques orientaux parvinrent d’Orient jusqu’en différents pays d’Europe occidentale, sous les noms d’hermodacte ou hermodatte, à destination de cette Europe occidentale et médiévale, incapable de saisir qu’elle possédait sur ses propres terres un remède équivalent : le colchique d’automne ! D’ailleurs, Macer Floridus n’en parle pas, je n’en ai pas trouvé trace chez Albert le Grand. Tout juste Hildegarde lui reconnaît-elle son caractère vénéneux : il « ne contient rien de sain ni de salutaire, et ne doit pas être consommé par l’homme » (1). Et puis, paf ! au XIII ème siècle, un autre médecin arabe, Ibn el Beïthar, le recommande de nouveau contre la goutte. Mais là, rien n’y fait, l’Europe médiévale et renaissante de l’Occident reste réfractaire à ce remède qu’elle possède sur son propre sol ! Même Matthiole, grand érudit toscan du XVI ème siècle s’arrache les cheveux à son sujet, si j’en crois ce que dit Fournier : il « n’arrive pas à se dépêtrer de ces errements et finit par donner le nom d’hermodactyle à un iris tubéreux que Busbeck lui avait envoyé de Constantinople » ! (2). Bon. Matthiole, d’un point de vue intellectuel, était une force de la nature, et il a accompli un travail colossal, assez esseulé à travers ce XVI ème siècle qui aura vu poindre la plupart de ses majestueux travaux. C’est sans doute en raison des « errements » dont parle Fournier qu’on ne parle plus tellement du colchique avant le siècle de Stoerck, c’est-à-dire le XVIII ème. Les propriétés toxiques du colchique sont alors connues. On ne l’emploie qu’avec une très grande prudence. Certains médecins recommandent seulement de le porter en guise d’amulette. Pourtant, Stoerck sera considéré comme le « père » fondateur d’un emploi rigoureux du colchique et c’est lui qui le fait entrer, de nouveau, dans la matière médicale de son temps. En 1763, il écrit que « le colchique convient dans tous les cas où il y a surabondance et stagnation des humeurs » (3). C’est donc tout naturellement, qu’à la suite du médecin viennois, on ait préconisé le colchique dans l’hydropisie, l’ascite, l’anasarque, l’hydrothorax, le catarrhe pulmonaire bronchique, etc. Jusqu’à ce que le début du XIX ème siècle mette enfin en évidence ce que les siècles précédents n’ont cessé de susurrer pendant des lustres. Tiens donc, la colchicine, découverte par Pelletier et Cavantou en 1820, serait un remède du rhumatisme et de la goutte ! Mais ces savants chimistes la confondent avec la vératrine, alors qu’en 1833, Geiger et Hesse déterminent son statut : alcaloïde. En 1884, Houdé obtient une colchicine cristallisée. Et puis, on rencontre le colchique chez Leclerc, Fournier, Valnet. Les laboratoires Houdé, crées en 1886, mirent sur le marché un médicament antigoutteux, Colchicine ®, finalement retiré en 2004.

Vivace, le colchique possède un bulbe souterrain duquel de grandes feuilles lancéolées, brillantes, groupées par quatre ou six, émergent au printemps. Puis, à la belle saison, la plante se sépare de son feuillage et laisse la place, dès le mois d’août, voire plus tardivement, à des fleurs tubulées dans la partie inférieure et en forme d’entonnoir à leur sommet. Mesurant 4 à 6 cm de hauteur, elles portent six anthères jaune orangé. Généralement de couleur lilas pâle, elles peuvent aussi se parer de mauve, de rose ou de blanc. Puis la plante fructifie, forme une capsule de 3 à 4 cm de longueur contenant des graines, que l’on retrouve au printemps suivant nichée au creux des feuilles, et ainsi de suite. Cependant, avant de seulement fleurir, le colchique peut passer par une longue période végétative pouvant durer une vingtaine d’années. « Étant donné cette lenteur de développement […], on peut assez facilement prévoir la raréfaction progressive du colchique et, dans un délai plus ou moins long, sa quasi-disparition des prairies françaises » (4), une raréfaction que Fournier imputait à la demande importante en colchique qui, par ailleurs, se cultive difficilement. Mais force est de constater que l’inquiétude de Fournier était infondée, puisque le colchique reste relativement fréquent en France, sur les sols calcaires et humides, hormis au Nord, au Nord-Ouest et dans le Midi de la France.

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Le colchique d’automne en phytothérapie

Mieux vaudrait dire thérapie que phytothérapie, quand bien même le colchique est effectivement une plante, mais par là, soucions nous d’indiquer qu’il ne peut faire l’objet d’une médecine familiale, soyons clair à ce sujet. En effet, toutes les parties du colchique (bulbe, feuilles, fleurs, semences) sont toxiques à un plus ou moins grand degré, en particulier en raison de la présence d’alcaloïdes dont le plus connu se nomme colchicine. C’est sans doute dans les semences qu’on décèle le plus fort taux de colchicine : 0,2 à 0,4 %. Dans le bulbe, cet alcaloïde présente un taux variable et assez faible : 0,003 à 0,006 %. Enfin, dans la fleur, ce taux se situe dans l’entre-deux : 0,1 à 0,2 %. Comme nous le voyons, ces taux sont loin d’être fixes. Par exemple, la teneur en colchicine contenue dans les bulbes est à son maximum en juin et juillet, c’est ce qui fait que le colchique ne doit en aucun cas être pris à la légère, car dans cette mécanique de précision qu’est le colchique, le moindre milligramme compte. Outre cela, le colchique contient des matières beaucoup plus anodines : tanin, résine, sucre, gomme, inuline, amidon, huile grasse, essence aromatique, etc.
La partie végétale la plus active du colchique sont les semences, bien qu’on ait accordé de l’intérêt aux fleurs et aux bulbes, sans doute parce qu’on a reconnu aux semences une meilleure conservation et une activité moins inconstante que fleurs et bulbes.

Propriétés thérapeutiques

  • Diurétique, anti-inflammatoire spécifique de la goutte, analgésique
  • Purgatif
  • Hydragogue
  • Antitussif, expectorant
  • Excitant des sécrétions hépatiques et intestinales
  • Anticancéreux : on lit parfois que le colchique est un inhibiteur des mitoses cellulaires, et il est vrai que, dans les années 1930, on a espéré lui voir jouer un rôle contre le cancer, « malheureusement, sa toxicité est telle qu’il est impossible de limiter son action destructrice des noyaux au seul tissu cancéreux » (5)

Note : la thérapie au colchique, ou devrais-je dire, à la colchicine, « demande une surveillance très étroite, à cause de la variabilité des mêmes préparations galéniques en substances actives, de la variabilité d’action considérable d’un sujet à un autre » (6). Il est également nécessaire de prendre en compte l’état du cœur et des reins de la personne à laquelle se destine la colchicine. En cas de crise de goutte aiguë, on administre 0,5 à 2 mg par jour pendant quelques jours, et l’on stoppe dès lors qu’apparaissent les phénomènes inévitables que produisent des doses modérées, c’est-à-dire diarrhée et vomissement.

Usages thérapeutiques

  • Crise de goutte, rhumatisme articulaire aigu
  • Hydropisie, ascite
  • Migraine, névralgie, névralgie rebelle, chorée, crampe
  • Catarrhe pulmonaire muqueux ou chronique, asthme
  • Leucorrhée, gonorrhée
  • Érysipèle, prurigo, cors
  • Mucoviscidose ? (K. Hostettmann, 2006)

Modes d’emploi

Autrefois, on préparait le colchique selon divers procédés bien connus : poudre, macération vineuse, macération acétique, oxymel, teinture alcoolique, etc. Aujourd’hui, tout cela est tombé en désuétude pour d’évidentes raisons de toxicité, et il n’est même pas question d’imaginer une quelconque infusion, et cela même en utilisant des fragments végétaux à l’état sec, car la dessiccation n’altère en rien la colchicine. De toute manière, gardons bien en tête qu’un traitement à la colchicine demeure du seul ressort d’un médecin.

Précautions d’emploi, contre-indications, autres remarques

  • Récolte : du temps où l’emploi du colchique n’était pas aussi encadré, on récoltait les semences (à maturité, soit aux mois de juin et de juillet), les bulbes (en juillet-août ; Cazin indique novembre), enfin les fleurs (en septembre, à plein épanouissement).
  • Toxicité : nous avons vu que même à dose raisonnable, le colchique n’est pas sans inconvénients. Ce n’est donc pas pour rien que cette plante est inscrite au tableau A des plantes toxiques mortelles. La DL50 est atteinte dès 1,2 à 1,5 g de semences chez l’enfant, 5 g chez l’adulte. Si l’on rapporte cela à la seule colchicine, 5 mg représentent déjà une dose toxique, le double une dose mortelle. A partir de seulement 0,5 mg/kg, on voit apparaître les premiers troubles, c’est-à-dire ceux accompagnant souvent un traitement à la colchicine (diarrhée, vomissements, douleurs abdominales). Puis, vers 0,8 mg/kg et au-delà, c’est une toute autre affaire en terme d’intoxication aiguë. Les désordres occasionnés ressemblent assez à ceux que provoque la belladone : inflammation et irritation violente des muqueuses digestives, soif intense, diarrhée, vomissements, gastro-entérite violente, douleurs viscérales, selles sanglantes, spasmes vésicaux, analgésie par paralysie des terminaisons nerveuses (d’où les sueurs froides aux extrémités), tremblement des membres, délire, diminution et insensibilité du pouls, salivation, évanouissement, paralysie respiratoire, cyanose. Pendant ce temps, volonté et intelligence restent peu affectées. Elles demeurent intactes « jusqu’aux périodes ultimes de l’intoxication mortelle » (7), qui survient, chez l’adulte, à la dose de 1,25 mg/kg. Il s’agit là d’un ensemble de phénomènes provoqués par une intoxication aiguë, dont on s’est rendu compte qu’elle avait de faibles effets sur les animaux à sang froid, sensibles chez les herbivores, très élevés chez les carnivores. « Tout se passe comme si l’alcaloïde favorisait l’espèce qui le contient dans la confrontation immémoriale de la plante désarmée à la voracité de l’animal » (8). Des accidents, occasionnés par des confusions entre espèces dans la nature, ont été recensés. Des suicides également. En dehors de ces cas guidés par l’ignorance ou le désespoir, il est notable que le colchique présente le même inconvénient que l’hellébore noir : la colchicine s’accumule plus vite dans l’organisme qu’elle n’en est excrétée. Aussi, un traitement même rigoureusement encadré doit-il être le plus court possible afin d’éviter une intoxication chronique. Le Dr Valnet indiquait l’angélique comme contre-poison, mais j’ignore véritablement si son efficacité est réelle.
  • Autres espèces : il existe cinq espèces de colchiques en France, dont les plus courants sont C. automnale et C. alpinum. Une espèce proche est le bulbocode du printemps ou campanette (Bulbocodium vernum). Il est tout aussi toxique que le colchique commun des prairies.
  • Confusions : le colchique peut occuper le même biotope qu’une autre plante, comestible, elle : l’ail des ours. Au printemps, quand on récolte cette dernière plante, il faut prendre garde de ne pas récolter des feuilles de colchique au passage. Cette confusion est possible, sachant que, comme nous l’avons dit, au printemps, le colchique n’est pas en fleurs. Les feuilles de ces deux plantes sont, en effet, assez semblables. Mais plusieurs points les distinguent : celles du colchique sont plus rigides et davantage pointues que celles de l’ail des ours. Différence de taille : le colchique est tout à fait dénué d’odeur, alors que les feuilles d’ail des ours exhalent un parfum aillé tout à fait reconnaissable. Enfin, certains noms vernaculaires du colchique (safran d’été, safran bâtard…) disent toute l’inconséquence qui a pu se produire dans la mauvaise identification du colchique avec le crocus qu’on appelle safran. Pourtant, il existe un moyen sûr de bien distinguer ces deux plantes : le colchique ne porte JAMAIS feuilles et fleurs simultanément. De plus, le safran possède trois anthères jaune d’or et trois longs stigmates rouge orangé, alors que le colchique, lui, est uniquement orné de six anthères de couleur jaune.
    _______________
    1. Hildegarde de Bingen, Physica, p. 41
    2. Paul-Victor Fournier, Dictionnaire des plantes médicinales et vénéneuses de France, p. 301
    3. Cité par François-Joseph Cazin, Traité pratique et raisonné des plantes médicinales indigènes, p. 316
    4. Paul-Victor Fournier, Dictionnaire des plantes médicinales et vénéneuses de France, p. 305
    5. Ibidem, p. 303
    6. Ibidem
    7. Henri Leclerc, Précis de phytothérapie, p. 321
    8. Jean-Marie Pelt, Drogues et plantes magiques, p. 122

© Books of Dante – 2016

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