La prêle des champs (Equisetum arvense)

Tiges fertiles de la prêle des champs apparaissant en début d'année. Ce sont elles qui portent les cônes sporifères

Tiges fertiles de la prêle des champs apparaissant en début d’année. Ce sont elles qui portent les cônes sporifères

La prêle est une plante primitive sans fleurs ni feuilles dont on a découvert des empreintes fossilisées datant de plus de 250 millions d’années. C’est à l’époque du Carbonifère (il y a 320 millions d’années) qu’on voit apparaître des plantes géantes dans des forêts humides et des marécages profonds : les fougères, les sigillaires, les lépidodendrons mais surtout les calamites, espèce de prêles géantes qui pouvaient atteindre 30 m de hauteur. Autant dire que les prêles actuelles sont des modèles réduits puisque la plus grande d’entre-elles, Equisetum maximum, ne mesure pas plus d’1,50 m, voire 2 m.
Munies d’un squelette qui deviendra du bois, les calamites peuvent se tenir à la verticale, ce qui n’est pas le cas des mousses qui seront donc supplantées par ces géantes. Elles se développent à l’aide d’une structure souterraine, le rhizome, qui peut porter plusieurs tiges. Actuellement, la prêle utilise encore ce mode de propagation.
Malgré cela, ces plantes ont disparu il y a environ 200 millions d’années (fin Trias – début Jurassique), vaincues par des plantes dont les appareils reproducteurs étaient plus performants. Cependant, le passage des calamites sur Terre a laissé des traces d’importance que l’on retrouve aujourd’hui encore sous forme de gisements de charbon.
Pour l’heure, les prêles se partagent encore quelques niches écologiques avec leurs voisines d’antan, les fougères, lesquelles ont également subi un effet de « nanification. » Ce sont des plantes rustiques qui ne demandent que peu d’eau et de l’ombre si possible. Elles s’aventurent sur des terrains guère engageants que les végétaux plus « évolués » n’ont pas encore colonisés.

La prêle des champs comporte des tiges fertiles brunes et articulées qui portent des épis sporifères en forme de cône, puis des pousses stériles vertes. Ces tiges fertiles meurent après sporulation en mars/avril. C’est une plante très fréquente dans l’hémisphère Nord (Europe, Asie, Amérique du Nord) qui pousse jusqu’à 2 500 m d’altitude et peut aisément mesurer 60 cm de hauteur (au grand maximum ; la plupart du temps deux fois moins). Elle affectionne les sols sablonneux et argileux, humides et marécageux, mais aussi les haies, friches, talus et bords de route.

Spores de prêle des champs vues au microscope

Spores de prêle des champs vues au microscope

Autrefois, quand on brûlait un champ pour en débarrasser les prêles présentes, on remarquait les gouttes de « verre » qu’elles laissaient en disparaissant. Il s’agit de la silice dont la plante est riche et qu’elle excrète sans cesse, laquelle silice est la composante du verre. C’est donc cette silice qui rend les prêles si âpres et râpeuses. D’ailleurs, le mot prêle, qui n’apparaît qu’au XVI ème siècle, provient des dénominations asperella et asprele, dans lesquelles on reconnaît le mot asper qui, en latin, signifie âpre, rude, rugueux (et que l’on retrouve dans aspérité, par exemple). La prêle rend donc compte de l’une de ses particularités, liée à la silice qu’elle contient : tout comme le papier émeri, l’on a fait d’elle une plante à polir, comme le souligne Olivier de Serres au début du XVII ème siècle : cette plante est employée « pour sa grande âpreté et rudesse, dont les ouvriers imagiers, peigniers et autres faisant chose délicate, se servent pour polir leur ouvrage en le frottant ». Ainsi polissait-elle, sans rayer, le bois et les métaux travaillés par les artisans. Dans l’économie domestique, elle permettait de lustrer les objets en argent et en étain, ainsi que les batteries de casseroles. Elle mérite donc amplement son sobriquet d’herbe à récurer !

L’un des surnoms de la prêle est queue de cheval. On retrouve ce nom vernaculaire dans le nom latin même de la prêle : Equisetum, de equus, « cheval » et seta, « soie », « crin », allusion évidente au « plumeau » de la prêle qui a évoqué aux Anciens la forme de la queue d’un cheval (quand ce n’était pas celle d’un renard, d’un chat ou, plus curieux, d’un rat ou d’une chèvre). Equisetum est un mot que l’on rencontre chez Pline qui, peu précis, semble recopier l’hippouris de Dioscoride (hippo, « cheval » en grec). Sous ce nom, le médecin grec décrit une plante astringente, diurétique et hémostatique, soit les trois principales propriétés de la prêle. C’est donc elle ! Pas sûr… puisque Dioscoride mentionne que c’est une plante grimpante… Pourtant, à le lire, on s’y tromperait : « elle a une vertu astringente, son jus étanche le sang coulant du nez, il est bon aux dysenteries et bu en vin provoque l’urine ». Si ce n’est pas la prêle, c’est, en tout cas, un parfait portrait pour elle. Galien parle aussi de ce que l’on pourrait penser être une prêle, puisque les indications qu’il nous livre concordent parfaitement avec le profil thérapeutique de cette plante : hémoptysie, diarrhée, plaie, etc.

Au Moyen-Âge, Hildegarde en dit peu de bien, Albert le Grand lui accorde une vertu hémostatique. Dès la Renaissance, on se réveille un peu : Agricola (1494-1555) placarde très nettement les trois vertus majeures de la prêle (hémostatique, diurétique, cicatrisante). Il sera suivi par Tragus qui confirmera ces mêmes propriétés en 1552, concédant de plus à la prêle un pouvoir sur l’hématurie. Six ans plus tard, Tabernaemontanus loue ses effets sur la tuberculose. Puis, les XVII ème et XVIII ème siècles oublient la prêle qui reviendra en force dès la fin du XIX ème siècle, sans doute après que Jacob Berzélius (1779-1848) ait isolé le silicium en 1823. En 1890, l’abbé Kneipp écrit à son sujet qu’il la tient en haute estime, et c’est un peu (beaucoup) cet homme qui relance la carrière thérapeutique de la prêle des champs.

Tige stérile de prêle des champs. C'est elle qu'on emploie en thérapeutique

Tige stérile de prêle des champs. C’est elle qu’on emploie en thérapeutique

La prêle des champs en phytothérapie

La partie médicinale offerte par la prêle réside dans ses parties aériennes, non les fertiles mais les stériles. Malgré leur caractère, nous verrons que ces tiges inodores et à la saveur peu agréable sont dotées d’une puissance extraordinaire.
Concernant la composition de la prêle, il n’est pas possible de passer sous silence d’importantes données. La prêle des champs est constituée de flavonoïdes, de saponines telle que l’équisétonine, de vitamine C, d’équisétine (un complexe d’alcaloïdes dont la palustrine), de calcium, de potassium, de magnésium, de thiaminases (qui ont le fâcheux effet de dégrader la vitamine B1), etc. Mais ce par quoi la prêle se distingue par-dessus tout, c’est par son incroyable teneur en silice (SiO2), le minerai le plus fréquent sur Terre. C’est l’un des douze éléments majeurs de la composition élémentaire des organismes. Chez l’homme adulte, on en trouve jusqu’à 7 g, soit deux fois plus que le fer. On la localise principalement dans le pancréas, l’aorte (le sang humain en contient 10 mg/l). On la rencontre aussi dans la rate, le foie et le rein, tandis que dans le cerveau, la silice n’existe qu’à l’état de traces.
La silice, par son absence ou sa présence au sein de l’organisme, est impliquée dans différents phénomènes. Elle joue un rôle dans les domaines osseux, vasculaires, nerveux et respiratoires. De plus, elle favorise l’élimination des déchets, participe au mouvement de détoxication de l’organisme, relance l’activité de l’hypophyse dans le métabolisme des sels minéraux (le calcium, entre autres), favorise l’assimilation du phosphore, purifie l’organisme sans éliminer potassium et sodium. Les végétaux pourvoyeurs de silice sont nombreux : les céréales (sauf le maïs), le millet, le sucre de betterave et de canne, le pollen, l’ail, l’échalote, le radis, le pissenlit, le topinambour, l’olive, la plupart des fruits (dans leur peau principalement), etc. Malheureusement, « on comprend qu’actuellement, il y a de très nombreuses carences d’apport. Ces carences disparaîtront le jour où seront remises en honneur les cultures et l’alimentation biologiques, comme nombre de spécialistes le demandent depuis longtemps ». Jean Valnet, à qui l’on doit ces quelques lignes, les a écrites dans les années 1960. Aujourd’hui, force est de constater qu’on est encore loin du compte, et l’on constate que l’agriculture non-biologique nous prive d’une partie des apports nécessaires en silice (20 à 30 mg/j), car les herbicides et pesticides chimiques que cette agriculture utilise à foison enrobent littéralement la peau des fruits et des légumes où sont nichées les précieuses substances indispensables dont la silice. Pourtant, malgré son étonnante présence partout dans le monde et les végétaux qu’il porte, l’on constate des phénomènes carentiels. Or, l’on a remarqué que les cancers étaient moins fréquents dans les régions riches en silice, que l’artériosclérose coïncide avec la chute de la teneur en silice des parois artérielles, etc. Louis Pasteur ne disait-il pas en 1878 que « l’action de la silice en thérapeutique est appelée à jouer un rôle grandiose » ? Privé de silice par une alimentation non-biologique, il est toujours possible à l’être humain de se tourner vers la prêle qui, question silice, n’a pas son pareil.
On lit parfois que la prêle des champs contient entre 70 et 90 % de silice, mais non rapportés à une masse à l’état frais, mais à l’ensemble des cendres obtenues après combustion complète d’une quantité donnée de prêle. Par exemple, si on brûle 100 g de prêle fraîche, on obtient 14 g de cendre (c’est-à-dire de sels minéraux et d’oligo-éléments). Ce sont sur ces 14 g qu’il faut appliquer les taux de 70 et 90 % :

  • (14/100) x 70 = 9,8
  • (14/100) x 90 = 12,6=> Autrement dit, dans 100 g de prêle fraîche, on trouve entre 9,8 et 12,6 g de silice, soit un taux effectif de 10 à 12 %.

Propriétés thérapeutiques

  • Détoxifiante, dépurative, diurétique, stimulante rénale (en médecine traditionnelle chinoise, on considère la prêle comme tonifiante de l’énergie du méridien du Rein ; on en comprendra la raison en prenant connaissance des usages thérapeutiques associés)
  • Hémostatique, cicatrisante, astringente, détersive
  • Facilite la capacité de la peau à absorber l’eau (ce qui est rendu plus difficile avec l’âge)
  • Antiseptique cutanée
  • Apporte du silicone aux cheveux, ongles, peau et muqueuses qui en consomment beaucoup
  • Stimule la synthèse du collagène
  • Favorise la reconstitution des cartilages
  • Améliore la souplesse des tendons
  • Renforce la structure osseuse
  • Reminéralisante
  • Hémopoïétique
  • Emménagogue
  • Stimulante des réactions de défense de l’organisme (Dans son intéressant ouvrage Médecines du monde, histoire et pratique des médecines traditionnelles, la sociologue Claudine Brelet écrit la chose suivante : « Une cure d’Equisitum arvense, ou prêle des champs, en décoction à raison de 50 g de plante sèche pour un demi-litre d’eau, est utile pendant les courtes et sombres journées d’hiver pour ‘réchauffer’ nos cellules. Les propriétés de la silice la font comparer à une batterie solaire ». Du reste, le silex, composé de silice, n’est-il pas celui qui, frotté l’un contre l’autre, a crée le feu ?)

Usages thérapeutiques

  • Troubles de la sphère urinaire et rénale : infections urinaires (cystite, etc.), œdème de l’appareil urinaire, énurésie, néphrite, lithiase rénale, colique néphrétique, hématurie, oligurie, albuminurie
  • Troubles de la sphère digestive : aérophagie, diarrhée, dysenterie
  • Affections bucco-dentaires et de la gorge : aphte, gingivite, pharyngite, maux de gorge, carie dentaire
  • Hémorragies : hémoptysie, hémorroïdes, hémorragie viscérale (hématémèse), hémorragie utérine (métrorragie), épistaxis, tout autre flux sanguin accidentel ou anormal
  • États œdémateux : ascite, hydropisie, cellulite, obésité par rétention d’eau
  • Troubles locomoteurs : rhumatisme, arthrose, goutte, fracture, lésion osseuse, ostéite, lumbago, douleur dorsale
  • Affections cutanées : plaie, plaie difficile et longue à cicatriser, ulcère, ulcère fongueux, ulcère variqueux, inflammation, démangeaison, prurit, dartre, eczéma, acné, transpiration des pieds, contusion, vergetures
  • Troubles cardiovasculaires : hypertension, artériosclérose
  • Croissance difficile, retard d’ossification et de dentition, rachitisme, déminéralisation, asthénie, faiblesse générale, sénescence (autrefois, on mêlait de la poudre de prêle au lait des enfants comme fortifiant)
  • Tuberculose
  • Diabète
  • États cancéreux
  • Insuffisance des règles

Modes d’emploi

  • Infusion, décoction, décoction concentrée
  • Poudre
  • Suc frais
  • Teinture alcoolique
  • Extrait de plante fraîche
  • Cataplasme de prêle fraîche

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • Récolte et séchage : les désherbants chimiques favorisent l’apparition des prêles. C’est un comble qui est, de plus, un cauchemar pour cette agriculture non-biologique (la Nature est pleine d’humour). Il est donc judicieux de ne pas récolter des prêles poussant même aux abords des champs qu’elles colonisent parfois à grande échelle. Hormis cet inconvénient, une fois la cueillette achevée, la dessiccation se fait très simplement, ce qui est un avantage doublé de celui qui voit la prêle ne pas être altérée dans ses qualités une fois sèche.
  • Attention, si vous souhaitez utiliser une partie de votre récolte pour vous concocter une petite infusion, sachez que la prêle ne supporte pas le contact d’ustensiles en fer. Mieux vaut alors prévoir une casserole émaillée et une cuillère en bois par exemple.
  • Comme nous l’avons dit plus haut, les thiaminases contenues dans la prêle dégradent la vitamine B1. On se préservera donc d’un usage trop prolongé, d’autant que la silice, en surdosage, est problématique et s’inscrit dans le triste souvenir de la maladie des mineurs et des fondeurs, la silicose. C’est pourquoi il est préférable de procéder par cure épisodique de trois semaines environ, suivie d’une semaine de repos, et ainsi de suite. C’est, par exemple, ce que l’on peut envisager durant une grossesse et les mois qui suivent l’accouchement.
  • Comme nous le montre l’extraordinaire richesse du limon du Nil en silice (60 %) et des boues du massif du Saint-Gothard (80 %), la silice est un fertilisant du sol et un préventif contre certaines maladies des cultures. Ainsi, une décoction de prêle protège-t-elle les rosiers de la rouille. On utilise aussi la prêle pour lutter contre mildiou, chancre et monilie.
  • Alimentation : déjà, du temps des Romains, les très jeunes pousses de prêle se dégustaient comme les asperges. Cette habitude s’est pérennisée puisqu’au XVI ème siècle, Matthiole relate le fait que dans la campagne toscane on les faisait bouillir puis frire à l’huile d’olive, un usage qui s’est perpétué jusqu’au XIX ème siècle, et que l’on rencontre à l’identique au Japon.
  • Association : si l’on souhaite utiliser la prêle en complément d’autres plantes, on peut l’annexer au bambou et à l’ortie, en guise de synergie reminéralisante. Mais elle se débrouille aussi très bien toute seule.
  • Autres espèces : la prêle étudiée ici n’est pas le seul spécimen de prêle existant, raison pour laquelle on la dit « des champs », afin de la distinguer des autres les plus communes que voici :
    1 – prêle des bois (ou des forêts) : E. sylvaticum
    2 – prêle des marais : E. palustre ou E. limosum
    3 – prêle d’hiver (ou prêle à polir) : E. hyemale
    4 – prêle des fleuves (ou des eaux) : E. fluviatile
    5 – prêle ivoirine (ou grande prêle) : E. telmateia ou E. maximum
    Il n’y a pas encore si longtemps, on donnait ces cinq prêles comme équivalentes à la prêle des champs d’un point de vue thérapeutique. Cette observance n’a plus lieu d’être aujourd’hui car l’on a constaté que la n° 2 et la n° 4 contenaient des alcaloïdes beaucoup trop toxiques pour en faire l’expérience phytothérapeutique.
  • Cosmétique : pour des raisons que nous avons citées plus haut, la prêle permet de renforcer les ongles cassants et fragiles et de redonner de la vigueur aux cheveux ternes et dévitalisés. De plus, la prêle estompe les rides, en prévient l’apparition, et, en lotion pour le visage, procure un teint net et clair.
  • Plante tinctoriale : la prêle des champs contient un pigment de couleur jaune.

© Books of Dante – 2016

Coupe transversale d'une tige stérile de prêle des champs

Coupe transversale d’une tige stérile de prêle des champs

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2 réflexions sur “La prêle des champs (Equisetum arvense)

  1. Bonjour, Mille mercis pour la richesse de votre travail. Je me demande pourquoi la Prêle ne supporte pas le contact d’ustensiles en fer. je vous remercie pour votre réponse, Marine

    Aimé par 1 personne

    • Bonjour Marine, cela tient au fait que les tanins contenus dans la prêle sont incompatibles avec le fer (cette proscription vaut également pour toutes les plantes à tanin).
      Belle fin de journée, Gilles.

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