Ache et céleri

L'ache

L’ache

Avant toute chose, et ce afin d’apporter davantage de clarté aux propos qui vont suivre, l’ache désigne la variété sauvage et le céleri la variété cultivée. Nous utiliserons chacun de ces deux noms à chaque fois que cela sera nécessaire, histoire d’éviter les confusions et de bien distinguer ces deux plantes pour lesquelles les noms vernaculaires sont parfois trompeurs ! (1)

Du temps des Anciens de l’Antiquité, première évidence : on ne parle pas de céleri, qui n’existe pas encore, mais seulement d’ache, connue des pharmacopées égyptienne, grecque, romaine et celte (laquelle dernière l’appelle « herbe puante »). Le nom actuel de la famille botanique à laquelle ache et céleri appartiennent fait directement référence à ces deux plantes : les Apiacées (qui a remplacé l’ex Ombellifères, on se demande bien pourquoi…). Selon Paul-Victor Fournier, Apium est le nom de différentes plantes recherchées des abeilles (Apis ; il est vrai que l’ache est parfois surnommée « herbe aux abeilles »). Mais le mot ache pourrait provenir du sanskrit apya qui signifie « qui croît dans les lieux humides », ce qui est bien le cas de l’ache, qu’on appelle, en grec et en latin, selinon, assez proche d’un autre terme sanskrit, sala, « eau ». Par ailleurs, selinon se retrouve dans l’actuel nom latin du persil, Petroselinum, et c’est sous cette forme qu’il apparaît dans Homère, où l’on voit Achille (qui aurait, dit-on, donné le mot ache…) utiliser cette plante afin de soigner ses chevaux.
Au VII ème siècle avant J.-C. (vers – 628), des Grecs fondèrent la ville sicilienne de Sélinonte et frappèrent des drachmes à l’image de feuille d’ache. Selinon préfigure déjà ce que deviendra le céleri des siècles plus tard.

Drachme_Sélinonte

Bien qu’Achille soit nettement inscrit au sein de la mythologie grecque, il n’est pas pour autant un dieu. En revanche, celles d’entre les divinités dont le céleri est, en quelque sorte, l’emblème, méritent d’être listées : Hadès, dont l’un des attributs est la corne d’abondance, Linos, ayant eu l’audace de défier Apollon au chant, enfin pas moins qu’Asclépios lui-même qui, selon les mythes, recommandait déjà l’ache en cas d’indigestion. A ce titre, indiquons que des offrandes de semences d’ache étaient déposées dans le temple d’Asclépios de Cos, une île grecque ayant vu la naissance d’un grand médecin : Hippocrate.
En Grèce, au-delà de la mythologie, l’ache intervient dans les jeux isthmiques (jeux publics organisés à l’isthme de Corinthe). Selon Pindare, « les vertes tiges de l’ache couronnent le front » des vainqueurs (2). L’ache « symbolise une jeunesse triomphante et joyeuse. Si elle jouait un rôle important dans les cérémonies funèbres, c’était pour indiquer l’état d’éternelle jeunesse, auquel le défunt venait d’accéder » (3). En effet, les coronae sepulcrales étaient déposées sur les tombeaux. D’autres que les Grecs se couronnaient d’ache, mais pas pour les mêmes raisons : les Romains, lors de leurs banquets orgiaques, ce qui peut paraître étonnant au prime abord, sachant ce que dit Pline au sujet de l’ache. Selon lui, cette plante rend stérile autant les hommes que les femmes, ce qui, disons-le, est contraire à l’idée que l’on se fait de ces orgies en général.

Et toujours pas de céleri à l’horizon… En attendant, on retrouve l’ache dans la petite œuvre de Strabo, Hortulus (827), ce qui peut surprendre puisque l’ache est considérée comme une plante des côtes et des marais littoraux. Or la Suisse de Strabo en est quelque peu éloignée. Mais l’on sait aussi que l’ache pousse particulièrement bien sur des sols contenant du sel (et il n’y a pas que dans les paluds côtiers qu’on en trouve) et que la Suisse ne manque pas de mines de sel. Bref, Strabo indique les propriétés diurétique et digestives de l’ache. Hildegarde mentionne plus tard que l’Apium est recommandé « si l’estomac est refroidi par un écoulement de pituite » (4). L’abbesse a beau employer l’ache en cas de paralysie, de contractures musculaires et de troubles oculaires, elle la préfère cuite plutôt que crue dans l’alimentation, et encore : « Sous quelque forme qu’on la mange, il donne à l’homme du vague à l’âme, car sa verdeur tantôt fait du mal, tantôt plonge dans la tristesse » (5). On est bien loin du triomphe joyeux des jeux isthmiques. Mais seulement pour Hildegarde, puisque Pierre de Crescences dira que « l’ache sauvage est appelée ache de ris pour ce qu’elle purge les humeurs mélancoliques dont est engendrée tristesse ». Au Moyen-Âge, le célèbre sirop des cinq racines (ache, asperge, persil, fenouil et fragon) avait cette même réputation de chasser les idées noires. Très présente dans les herbiers médiévaux, comme dans, par exemple, Le livre des simples médecines de Platearius, l’ache ne donnera naissance au céleri que bien plus tard. Tout d’abord cultivée en Italie, où elle remplace le maceron alors exploité en grand, l’ache est « travaillée » de telle sorte qu’apparaît le céleri domestique dit à rave (6) au XVI ème siècle, puis le céleri-branche (7) au siècle suivant. En France, le céleri n’est pas cité comme plante potagère avant 1562. Les variétés maraîchères que sont ces deux céleris ne partagent pas l’odeur un peu nauséeuse et la saveur âcre de l’ache, ayant été, bien évidemment, améliorés pour en favoriser la consommation alimentaire.
L’ache est une espèce bisannuelle. D’une racine épaisse, filandreuse et pivotante, une tige de 30 à 80 cm de hauteur, parfois ramifiée, se forme. Creuse, glabre et fortement cannelée, elle porte des feuilles lobées et dentées, de couleur jaune vert. La floraison est constituée d’une ombelle terminale peu fournie en rayons, portant de petites fleurs verdâtres à cinq pétales. Parfois, ces ombelles naissent à l’aisselle des feuilles.
Comme nous l’avons dit, l’ache est coutumière des lieux humides, des marais et eaux saumâtres du littoral, mais aussi des abords de sources salées (Alsace-Lorraine, Savoie, Suisse, etc.).

Le céleri-branche

Le céleri-branche

L’ache et le céleri en phyto-aromathérapie

Bien que fort dissemblables dans leur structure botanique respective, l’ache et le céleri s’utilisent tant par leur racine, leurs feuilles que leurs semences.
Ces deux plantes contiennent de nombreuses vitamines (A, B, C, E et P) et sels minéraux (magnésium, manganèse, fer, iode, cuivre, sodium, potassium, calcium, phosphore), ainsi qu’une essence aromatique. Dans l’ache, on trouve de l’asparagine et de l’apiine, tandis que le céleri recèle de la choline, de la tyrosine, ainsi que de l’acide glutamique.

Propriétés thérapeutiques

  • Ache : diurétique déchlorurante, apéritive, digestive, stomachique, carminative, cholagogue, stimulante, tonique, expectorante, anti-asthmatique, antiscorbutique, fébrifuge, résolutive, détersive
  • Céleri : diurétique, apéritif, digestif, stomachique, carminatif, stimulant surrénalien, tonique général et nerveux, antiscorbutique, résolutif, cicatrisant, reminéralisant, rafraîchissant, dépuratif, drainant hépatique, rénal et pulmonaire, hypoglycémiant, hypocholestérolémiant, régénérateur sanguin et hépatique, veinotonique, vasoconstricteur, antirhumatismal, antiseptique urinaire, sédatif, anxiolytique

Usages thérapeutiques

  • Ache : insuffisance hépatique, engorgement hépatique, ictère, catarrhe pulmonaire chronique, bronchite, asthme humide, extinction de voix, oligurie, albuminurie, lithiase rénale, rhumatisme, goutte, œdème, ascite, fièvre intermittente, inappétence, adénite, contusion, ulcère, cancer ulcéré, plaie atone, engelure, engorgement laiteux
  • Céleri : inappétence, digestion lente, lithiase urinaire, colique néphrétique, insuffisance rénale, hépatisme, congestion du foie, ictère, diabète, toux, asthme, bronchite, asthénie, fatigue, insuffisance surrénalienne, surmenage, déminéralisation, convalescence, stress, anxiété, arthrite, rhumatisme, goutte, fièvre, angine, hypertension, obésité, hémorroïdes, scrofule, plaie, ulcère, engelure, taches brunes (dites taches de vieillesse), excès de cholestérol

Huile essentielle de céleri

Il existe plusieurs huiles essentielles de céleri en réalité : racine, parties aériennes fleuries et semences. Les deux premières sont peu productives et la littérature est très succincte à leur sujet. La plus connue reste encore l’huile essentielle extraite des semences du céleri cultivé. D’un rendement compris entre 2 et 3 %, c’est une huile essentielle de couleur jaune pâle, à l’odeur chaude, citronnée, épicée, bien charpentée.

  • Monoterpènes (dont limonène) : 50 à 70 %
  • Sesquiterpènes (dont bêta-sélinène) : 15 à 30 %
  • Phtalides (dont sédanolide) : 15 %
  • Coumarines (dont célerine, apigravine et ombelliprénine) : traces

Voici ses propriétés : diurétique, drainante hépatocytaire, rénale et cutanée, apéritive, digestive, hépatoprotectrice, décongestionnante veineuse, antiseptique urinaire, antibactérienne, tonique, neurotonique, sédative.

Le céleri est-il, oui ou non, aphrodisiaque ?

Selon les sources, les thèses varient : « Depuis fort longtemps, la médecine populaire lui a fait la (fausse) réputation d’être aphrodisiaque » (8). Par ailleurs, Jean Valnet la conseille contre l’impuissance et Guy Fuinel en fait un aphrodisiaque de premier plan, arguant que « toutes les civilisations qui ont utilisé le céleri comme aliment l’ont considéré comme aphrodisiaque, de l’Europe à l’Afrique, en passant par l’Asie et l’Amérique » (9). Il est vrai que bien des dictons et proverbes attestent ce fait : « Si les femmes savaient ce que le céleri fait aux hommes, elles courraient en chercher jusqu’à Rome » ; « Qui mange du céleri le dimanche, du lundi au samedi jouira » ; « Si l’homme savait tous les effets du céleri, il en mettrait plein son courtil » (un mot désignant la couette dont on recouvre un lit…). Selon ce que rapporte Henri Leclerc, le céleri était même utilisé comme oracle permettant de déterminer le sexe de l’enfant d’une femme enceinte…
La sagesse populaire n’est pas toujours très sage. Qu’importe, Guy Fuinel ne lâche pas le morceau : le céleri contient de l’apigénine « qui agit favorablement sur la production de sperme et la vasodilatation des petits vaisseaux, d’où un gonflement de la verge » (10).

Modes d’emploi

  • Dans l’alimentation, cru ou cuit (céleri-branche et céleri-rave)
  • Infusion de feuilles et/ou de semences
  • Décoction de racines
  • Suc frais
  • Alcoolature
  • Teinture-mère
  • Huile essentielle (voie interne, voix externe, inhalation, olfaction, diffusion atmosphérique)
  • Cataplasme de feuilles fraîches

Mais aussi : liqueur, vin, sirop…

Contre-indications, précautions d’emploi, autres usages

  • Récolte (ache) : les feuilles en juillet/août, les graines en septembre, la racine au mois d’octobre de la seconde année. Toutes les parties de l’ache se prêtent à la dessiccation.
  • Cuisine : les céleris cultivés se préparent de multiples manières, crus comme cuits. Les feuilles hachées aromatisent, fraîches comme cuites, certains plats. Les graines aromatiques sont très parfumées. Moulues, elles remplacent le sel.
  • Photosensibilité : l’huile essentielle de céleri, comme toutes les huiles essentielles issues d’Apiacées, est photosensibilisante. Pas d’exposition au soleil après application cutanée et ingestion.
  • Potentiel allergique : l’ache et le céleri sont potentiellement allergisants (cf. présence de limonène).
  • L’emploi de l’ache et du céleri est déconseillé aux dyspeptiques et aux personnes sujettes aux irritations rénales.
  • Grossesse : on pense l’huile essentielle de céleri oestrogen like. Dans le doute, mieux vaut s’abstenir d’en faire l’usage durant la grossesse.
  • Il existe un élixir floral à base de fleurs de céleri. A utiliser lorsqu’on sort d’une maladie longue et/ou grave et qu’on a puisé dans ses ressources. Ce qui rappelle la vertu reconstituante du céleri.
  • Le suc vert contenu dans les feuilles de céleri peut faire office de colorant alimentaire.
    _______________
    1. On appelle parfois l’ache céleri sauvage et le céleri ache douce !
    2. Il est aussi question de guirlandes de pin comme trophée.
    3. Jean Chevalier & Alain Gheerbrant, Dictionnaire des symboles, p. 6
    4. Hildegarde de Bingen, Physica, p. 29
    5. Ibidem, p. 54
    6. Apium sativum var. rapaceum
    7. Apium sativum var. dulce
    8. Petit Larousse des plantes médicinales, p. 239
    9. Guy Fuinel, L’amour et les plantes, p. 56
    10. Ibidem

© Books of Dante – 2016

Le céleri-rave

Le céleri-rave

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