Le chardon-marie (Silybum marianum)

Chardon-Marie

Synonymes : chardon marbré, chardon bénit, chardon argenté, chardon de Notre-Dame, lait de Notre-Dame, artichaut sauvage, silybe, épine blanche. En anglais : milk thistle. En allemand : mariendistel.

Bien que le mot silybum désigne durant l’Antiquité une espèce de chardon sauvage comestible, le chardon-marie est difficilement distingué des autres chardons (onopordon, cirses, etc.) durant cette période. Peu usité au Moyen-Âge, peut-être est-il permis de penser que le Cardo d’Hildegarde de Bingen représente bien le chardon-marie. Quand bien même cela ne serait pas lui, les indications qu’en donne Hildegarde évoquent assez les propriétés médicinales du chardon-marie : « Si on a mangé ou bu du poison, réduire en poudre du chardon, tête, racines et feuilles, et prendre cette poudre dans un aliment ou une boisson, et le poison sera chassé » (1). Hildegarde fait clairement référence aux propriétés détoxifiantes et dépuratives du chardon, propriétés que l’on reconnaît au chardon-marie, lesquelles sont renforcées par le fait qu’Hildegarde prescrit le Cardo en cas d’éruptions cutanées et de boutons sur le corps, qui sont souvent à l’origine d’un déficit de dépuration corporelle et l’expression d’une intoxication par les déchets que produit l’organisme. Il est possible qu’Hildegarde souligne les propriétés drainantes de son Cardo.
Bien plus employé par la médecine populaire, le chardon-marie devra attendre l’orée du XVI ème siècle avant que les thérapeutes le prennent enfin en considération. On a souvent reproché aux médecins de la Renaissance leur extravagance. Paracelse le préconisait contre les « brûlures intérieures » et le botaniste anglais John Gerard pour les « maladies de la mélancolie ». La racine, apéritive et pectorale, ainsi que les feuilles toniques amères furent vantées durant la Renaissance contre diverses affections. Matthiole, beaucoup plus précis, l’annonce hydragogue, cholagogue et diurétique. Aujourd’hui, la médecine traditionnelle chinoise indique que le chardon-marie tonifie l’énergie des méridiens du Foie et des Reins, cela en dit long sur la perspicacité du médecin toscan, ayant vraisemblablement constaté l’action du chardon-marie sur les états congestifs et surtout sa capacité circulatoire à bien des égards. Cependant, dès le XVIII ème siècle, les vertus du chardon-marie, aussi diverses soient-elles, sont jetées aux orties par les praticiens. Cazin écrit ceci : « On a exalté les propriétés antipleurétiques de la graine de chardon-marie donnée en poudre ou sous forme d’émulsion. Triller rejette avec raison comme illusoire la vertu spécifique attribuée à des semences presque inertes » (2). La charge est massive, mais peut-être pas dénuée de fondement, puisque les données actuelles ne permettent pas d’envisager une action du chardon-marie sur la pleurésie. Le docteur Cazin ne s’arrête pas là : « La propriété antihydrophobique de ces semences, annoncée par Lindanus, est depuis longtemps vouée au ridicule », écrit-il en 1858. La même année, Lobach remet en cause les vertus hémostatiques du chardon-marie, mais elles seront confirmées par Lange deux ans plus tard, puis par Rademacher en fin de XIX ème siècle. C’est une véritable bataille d’experts qui fait rage dans les années 1800. Cazin poursuit son réquisitoire : « Les prétendues vertus désobstruantes, apéritives et emménagogues du chardon-marie seraient dues, suivant une ancienne superstition, à des gouttes de lait tombées du sein de la Vierge, et qui en auraient taché les feuilles » (3) !!!? Là, j’avoue ne pas comprendre le rapport entre ces propriétés et la légende médiévale qui a donné son nom à la plante et qui cherche avant tout à mettre en relation un végétal avec un épisode biblique. Lors de la fuite en Égypte, Marie sait que son enfant est menacé par Hérode. Aussi le cacha-t-elle sous les larges feuilles d’un chardon. Dans sa hâte, des perles de lait tombèrent de son sein et tracèrent les fameuses marbrures blanches bien visibles sur le feuillage du chardon-marie. Non, je ne vois pas le rapport. Cela n’empêche pas Cazin de conclure, assénant que « cette plante est aujourd’hui [nda : en 1858] tout à fait inusitée en médecine » (4). Qu’importe. Le XX ème siècle saura redorer le blason de cette plante répudiée. En 1921, Borutteau et Cappenberg, travaillant longuement sur l’un des principes actifs du chardon-marie, établissent que la plante possède une action assez proche de celle de l’ergot de seigle, dans le sens où elle augmente la pression sanguine, ce à quoi le docteur Leclerc fera écho, précisant que « la médication présente […] l’avantage […] de pouvoir être continuée aussi longtemps que nécessaire, sans jamais substituer à l’hypotension de réaction hypertensive. »

On a accordé au chardon un caractère revêche et désagréable, faisant de lui l’emblème de l’austérité et de la vengeance. Pourtant, hérissée, sa « fleur » en forme d’astre, évoque la défense périphérique et la protection du cœur. Il est aussi un symbole solaire, tel que l’explique Angelo de Gubernatis : « On devine aisément que l’esprit humain […] ait identifié le chardon qui pique et qui ensanglante les mains de ceux qui le cueillent, avec l’astre du jour, qui, à l’heure de son apogée céleste, a été choisi pour représenter le sang qui jaillit de la tête de Jean-Baptiste » (5). « Reprochant sa conduite à Hérode à propos de sa vie conjugale qu’il qualifiait de scandaleuse, saint Jean-Baptiste fut condamné à mort par décapitation après que Salomé eut réclamé sa tête sur un plateau en argent » (6). Saint Jean-Baptiste est aujourd’hui fêté le 24 juin, soit à une date proche du solstice d’été représentant l’apex solaire.

Le chardon-marie est une solide et rustique plante bisannuelle qui élit domicile sur des lieux incultes, tels que décombres, décharges, friches riches en nitrates, bordures de chemin, ruines, etc. Assez souvent implanté dans le voisinage des villages, le chardon-marie opte aussi pour des terrains secs et broussailleux, des sols bien drainés et ensoleillés de toutes les régions méditerranéennes. Plus au nord, soit au-delà de la Loire, cette plante se fait rare, mais se rencontre tout de même en Angleterre ainsi qu’au Danemark, par exemple.
Constitué d’une tige cannelée dotée de feuilles lobées, brillantes et épineuses, ce chardon se caractérise par les fortes nervures centrales de ses feuilles marbrées de blanc. Au sommet de cette haute tige (qui peut parfois atteindre 1,50 m), on trouve un capitule de fleurs pourpres, lesquelles donneront naissance à de petites graines brunes et allongées, surmontées d’une aigrette.
Parfois cultivé dans les jardins, le chardon-marie est autant une plante médicinale qu’ornementale, mais c’est aussi un légume dont les lapins sont très friands.

Chardon-Marie_feuillage

Le chardon-marie en phytothérapie

La pratique moderne accorde beaucoup de place à la semence de ce grand chardon, alors qu’autrefois l’intérêt allait aux feuilles et à la racine. Ces deux dernières parties végétales contiennent surtout des tannins et des principes amers, tandis que les graines sont riches en lipide et en amidon, mais aussi en flavonoïdes et en silymarine (composée de silibyne, de silychristine et de silydianine), laquelle « est à la base de spécialités pharmaceutiques prescrites comme hépatoprotectrices dans les états congestifs du foie et les séquelles d’hépatites virales ».

Propriétés thérapeutiques

  • Hépatoprotectrice (le chardon-marie protège la cellule hépatique), hépatostimulante, décongestionnante hépatique, cholagogue, antilithiasique biliaire
  • Tonivasculaire, tonicardiaque, tonique circulatoire, vasoconstrictrice, hypertensive, hémostyptique, hémostatique
  • Apéritive, digestive, stimulante gastrique
  • Tonique (par action sur les surrénales)
  • Potentiellement fébrifuge
  • Diurétique, dépurative, détoxifiante
  • Cicatrisante, résolutive

Usages thérapeutiques

  • Troubles de la sphère hépatobiliaire : hépatite, insuffisance hépatique, congestion hépatique, cirrhose, lithiase biliaire, ictère, hypertrophie du foie, effets secondaires des traitements chimiothérapeutiques sur le foie, sevrage alcoolique et cure de désintoxication
  • Troubles de la sphère cardiovasculaire : défaillances de l’appareil cardiovasculaire et ses conséquences (hypotension permanente, varice, nausée, urticaire, migraine, distension douloureuse des veines intercrâniennes, hémorroïdes, ectasie veineuse, hypotonie avec vertige, mal des transports (7))
  • Hémorragies : métrorragie, métrorragie liée à fibrome, cancer et/ou sclérose de l’utérus, hémoptysie, ménorragie, règles trop abondantes, dysménorrhée, hématurie, saignement de nez
  • Affections cutanées : ulcère, furoncle
  • Maladies infectieuses, tuberculose, grippe
  • Empoisonnement au cadmium
  • Surmenage intellectuel
  • Névrose de guerre (Leclerc)

Modes d’emploi

  • Infusion de feuilles ou de semences concassées
  • Teinture-mère de feuilles ou de semences
  • Gélules de poudre de semences
  • Alcoolature

Contre-indications, précautions d’emploi et autres usages

  • Le chardon-marie est, comme l’indiquait le docteur Leclerc au siècle dernier, dénué de toxicité. En revanche, il protège le foie lors de la prise d’huiles essentielles hépatotoxiques (sarriette des montagnes, origan vulgaire, thym vulgaire à thymol…).
  • Il est possible d’associer le chardon-marie à la fumeterre pour un effet drainant sur le foie et à l’artichaut pour un effet protecteur.
  • Alimentation : on peut être surpris qu’une plante au tel aspect puisse être comestible, mais c’est bien pourtant le cas. Les racines du chardon-marie, quand elles sont tendres et charnues, se consomment à la manière des salsifis. Elle peuvent être ajoutées à un ragoût, à l’instar de la carotte et du navet. On en fit même des confitures. Les très jeunes pousses, cuites ou crues, ainsi que les feuilles (dont on aura pris soin d’ôter les épines) sont également comestibles. Quant aux nervures centrales des grosses feuilles (qui peuvent parfois atteindre 50 cm de long sur 25 de large), elles se cuisinent à la manière des cardons. Enfin, les capitules se mangent, une fois cuits à la vapeur, comme les artichauts.
  • La silybine contenue dans les semences du chardon-marie est parfois employée comme principal antidote de l’amanite phalloïde dont l’ingestion est, dans la plupart des cas, mortelle. Le seul hic dans ce cas, c’est que lorsque les premières symptômes d’intoxication apparaissent, les dégâts causés au foie sont déjà importants…
    _______________
    1. Hildegarde de Bingen, Physica, p. 107
    2. François-Joseph Cazin, Traité pratique et raisonné des plantes médicinales indigènes, p. 255
    3. Ibidem
    4. Ibidem
    5. Angelo de Gubernatis, La mythologie des plantes, Tome 2, p. 62
    6. Gilles Gras, Herbes et feux de la Saint-Jean, une survivance du paganisme ?, p. 35
    7. Le chardon-marie est, selon Fournier, un « préventif du mal de mer et des troubles causés à certains hypotendus par les voyages en automobile ou en chemin de fer. »

© Pour le texte : Books of Dante © Pour les images : Pescalune photography – 2016

Chardon-Marie_2

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