Cette toile de Vincent Van Gogh représente le Docteur Gachet. Elle a été exécutée en 1890, durant les derniers mois de l’existence du peintre à Auvers-sur-Oise.
Si l’on observe cette toile, on constate, au premier plan, une plante : il s’agit d’une tige de digitale, plante hautement toxique et tonique cardiaque réputé.
Ce médecin s’occupa de Vincent lors de son ultime séjour (mai-juillet 1890).
Une hypothèse veut que le Docteur Gachet ait prescrit de la digitale à Vincent, car, croyait-on, elle aurait le pouvoir de guérir la folie. Pourquoi donc n’aurait-elle pas pu soigner Vincent après ses épisodes douloureux à Arles avec Gauguin et ensuite à Saint-Rémy de Provence ?
Cette hypothèse repose sur le fait qu’une intoxication à la digitale induit des hallucinations ainsi qu’une coloration de la vision en jaune. Or, nombreuses sont les toiles de Vincent à faire prévaloir cette couleur. Mais ce qui ne colle pas, c’est que ces toiles jaunes (Champ de blé avec vue d’Arles, La plaine de la Crau, Moisson en Provence, Les tournesols, La maison jaune, Le café de nuit, Le semeur, etc.) datent d’une période antérieure * à l’arrivée de Vincent à Auvers-sur-Oise et, donc, de sa rencontre subséquente avec le Docteur Gachet, l’homme à la digitale… Cette tendance au jaune se retrouve aussi dans la période suivante ** mais dans une moindre mesure.
La maison jaune, à Arles.
Des sources qui ont l’air de rumeur annoncent qu’en 1888, alors que Vincent était à Arles, le Docteur Gachet prescrivait sa fameuse digitale à Vincent : impossible. Les deux hommes ne se connaissaient pas encore ! Fraude intellectuelle ? A-peu-près ? Négligence ? Bref, exit la digitale.
Orientons nos recherches ailleurs. Plus d’une centaine de psychiatres se sont, à ce jour, penchés sur le cas de Vincent. Certains ont évoqué la schizophrénie, d’autres un trouble bipolaire. Enfin, l’épilepsie et la syphilis furent mis au banc des accusés.
Ces possibles maladies peuvent être aggravées par des problèmes supplémentaires qui s’y grefferaient donc : surmenage, manque de sommeil, alcool, etc.
Alcool. En particulier, l’absinthe, que Vincent consommait volontiers et, déjà, lors de son séjour à Arles, sa période « jaune ».
L’absinthe, fameuse fée verte, « atroce sorcière » selon Verlaine qui en bu lui-même pas mal, est bien connue, en particulier par l’un de ses principes actifs, la thuyone, un terpène semblable au THC. Or, la thuyone peut faire surgir, à haute dose, une maladie qui se nomme xanthopsie, trouble visuel qui amène à voir les objets en jaune, d’où, peut-être, la prédominance de jaune dans les toiles de Vincent lors de son passage dans le sud de la France.
Mais, en 1991, on met en évidence une aberration : avant d’avoir absorbé suffisamment de thuyone pour voir apparaître ce trouble visuel, l’ingestion d’alcool, à elle seule provoque la mort bien avant les effets désastreux de la thuyone en elle-même. La mort, sinon la démence. Quoique l’épisode de l’oreille coupée (Arles, le 24 décembre 1888) survienne en pleine crise de démence, après consommation d’absinthe par Vincent, coutumier du fait.
Lune de fiel pour Vincent. Ne peignit-il pas une petite toile sobrement intitulée « L’absinthe » (1887) lors de son passage à Paris, avant l’échappée belle en Provence ? La voici :
Comme l’indique Benoît Noël, auteur du petit livre Un mythe toujours vert : l’absinthe paru à L’esprit frappeur en 2000, cette toile porte en elle une symbolique mortuaire :
« À sa manière, cette nature morte est un autoportrait et l’on admettra ou pas, en l’observant en détail, que la croisée de la fenêtre puisse suggérer une croix fichée au beau milieu du tableau et que la table en marbre évoque plus ou moins une dalle mortuaire pour ne rien dire du verre à l’allure de calice. D’aucuns prétendront donc que l’absinthe creuse la tombe de l’artiste et que la messe est dite ! »
Une autre hypothèse a été avancée. Vincent aurait pu être victime d’un empoisonnement au plomb que contenaient les tubes de peinture qu’il utilisait ou… ingérait. Cette intoxication au plomb porte un nom : le saturnisme (Saturne est le symbole du plomb en alchimie).
C’est bien possible après tout, d’autant plus que le XIX ème siècle a vu une explosion des cas de saturnisme, en particulier à travers l’emploi de peintures à la céruse de plomb.
Le saturnisme est une intoxication aiguë ou chronique par le plomb. Il est inducteur de troubles qui sont réversibles ou non en fonction du seuil de toxicité.
En se rendant dans le sud de la France, Vincent chercha à fixer la lumière, ses jaunes, ses soufres, ses ors…
Lumière qui manquait cruellement à son Brabant natal et qui avait bien du mal à percer à travers ses toiles (cf. la loupiote falote de ses « mangeurs de pommes de terre »).
Le Sud fut une explosion solaire. Si le plomb est la cause indirecte ou non de la mort de Vincent, il reste encore incrusté dans ses toiles, là, sous le vernis…
Du plomb à l’or, telle aura été la mutation de Vincent, à l’image de ces vitraux sertis de plomb qui laisse passer la lumière céleste…
Il est vrai que la chaleur du Sud fait vibrer les couleurs. Si on prend en compte les toiles peintes par Vincent à Auvers-sur-Oise durant les deux derniers mois de son existence, on constate que le jaune est bien moins utilisé que lors de son passage dans le Sud. Faut dire qu’Auvers-sur-Oise c’est pas trop dans le Sud, aussi ! Au-delà de cet argument qui n’en est pas un, la quête de l’or du ciel par Vincent n’a rien d’un hasard comme nous l’apprend la lettre 522 à son frère Théo :
« Nous avons maintenant une merveilleuse et puissante chaleur sans vent, c’est mon affaire. Un soleil, une lumière qui, faute de meilleures appellations, je peux seulement qualifier de jaune, jaune soufre pâle, jaune citron pâle. Mais que le jaune est beau ! Et comme je verrai mieux le Nord après ! »
Vincent est très influencé par Monticelli, qui était pour lui un modèle et dont la couleur de prédilection était le jaune ! Il est vrai que Vincent était victime d’accès de paranoïa, de profonde mélancolie et de graves défauts psychiques. Il en a conscience lui-même comme il l’indique dans la lettre 481 :
« Notre neurose (névrose) provient en partie de nos mœurs artificielles, mais elle est aussi une part d’héritage lourde de conséquences, car, dans notre civilisation l’homme s’affaiblit de génération en génération. Prends notre sœur Wil ; elle n’a ni bu, ni vécu dans la débauche, et il y a pourtant une photographie d’elle, où elle a un regard d’aliéné – c’est la preuve que nous aussi, si nous ne voulons pas nous leurrer sur notre véritable état de santé, nous faisons partie de ceux qui souffrent d’une neurose longtemps préparée ».
A Arles, hallucinations visuelles et auditives se poursuivent, Vincent s’imagine qu’on veut l’empoisonner, ses comportements inquiètent la population, une pétition est signée par le voisinage et vise son internement. Mais nous ne sommes pas encore à Saint-Rémy.
« Au lieu de manger suffisamment et régulièrement, je me serais maintenu avec du café et de l’alcool. Mais pour atteindre le ton jaune intense que j’ai atteint cet été, il a fallu que je me stimule pas mal ».
On peut se poser la question de savoir ce que Vincent entend par « stimulant »… dans cette lettre n° 581.
En mai 1889, Vincent demande son propre internement à l’asile de Saint-Rémy de Provence, à condition de pouvoir encore travailler. Mais de nombreuses crises de démence pendant lesquelles il ingurgite le contenu de ses tubes ont pour conséquence de le voir être interdit de toute activité créatrice, d’autant plus que les crises de plus en plus fréquentes, de plus en plus intenses, de plus en plus rapprochées mettent Vincent sur le carreau.
Désireux de revenir dans le Nord, il entreprend donc son ultime voyage à Auvers-sur-Oise. « Mais que le jaune est beau ! Et comme je verrai mieux le Nord après ! » indique-t-il dans la lettre n° 522.
Enfin, le 27 juillet 1890, soit deux jours avant sa mort, il se tire un coup de pistolet en pleine poitrine. Du plomb dans un cœur d’or…
Vincent est une étoile, et, pour le citer une dernière fois :
« Ces étoiles brillent toujours et existent dans d’autres sphères ; elles poursuivent dans d’autre mondes le travail qu’elles ont interrompu sur Terre ».
*[Arles, février 1888-mai 1889]
**[Saint-Rémy de Provence, mai 1889-mai 1890]
© Books of Dante – 2008