C’est la faim qui permit aux Lakotas d’entrer pour la toute première fois en contact avec Pte San Win, la Femme Bison Blanc. En effet, il y a des lunes et des lunes de cela, les ventres affamés des membres des différentes tribus que comportait la nation sioux obligèrent deux pisteurs à partir en quête d’un bison qui demeurait introuvable. Ils marchèrent longtemps, errant du Nord au Sud, de l’Est à l’Ouest. Mais rien n’y fit, nulle part ils ne trouvèrent le moindre bison encore moins la trace de son passage.
En proie au désespoir le plus complet, à bout de forces, les deux hommes prirent la décision de repartir au camp, mais avant qu’ils ne rebroussent chemin, l’un d’eux s’exclama : « Mon frère, je vois un bison, au loin, qui vient vers nous ! » L’autre guerrier observa la direction indiquée par son compagnon et répondit, interloqué : « Ce n’est pas un bison, mais une femme qui vient par là ! » Et quelle femme ! D’une si rare beauté qu’elle la rendait irréelle presque… Vêtue d’une robe de peau de daim blanche, longs cheveux aux vent, elle avançait avec assurance au devant des deux guerriers. Avant même qu’elle fut assez proche d’eux, l’un des deux hommes eut des paroles et des pensées libidineuses à son endroit. L’autre, davantage doté de perspicacité, avait bien remarqué qu’elle flottait au-dessus du sol plus qu’elle n’y marchait. Il n’eut pas le temps de faire recouvrir la raison à son ami qu’un furieux nuage s’abattit sur l’homme aux paroles insensés. Il ne restait de lui plus qu’un petit tas d’os.
La Femme Bison Blanc, parce que c’était elle, indiqua au guerrier encore en vie que son compagnon avait péri par excès d’orgueil. Elle lui expliqua une multitude de choses qu’il s’empressa d’aller conter à son peuple en ces termes : « J’ai rencontré une femme merveilleuse alors que nous désespérions de trouver un seul bison. Elle nous demande de préparer un tipi spécialement dédié à sa venue toute proche ».
Ce qui fut dit fut fait. Le lendemain, tout était fin prêt pour accueillir cette femme que tous virent arriver à l’aube naissante. Sans un mot, elle pénétra dans le tipi et s’assit à la place d’honneur. Elle tenait dans ses mains la Chanunpa – la Pipe sacrée – dont tous comprirent que sa provenance était supra-humaine, une offrande de Wakan Tanka. Elle présenta la pipe aux quatre directions, de l’Ouest au Sud, adressant une prière particulière à chacune d’entre-elles. Elle présenta la pipe vers le ciel, et, enfin, au-dessous pour honorer Maka, la Terre Mère.
Le chef de la tribu, subjugué, était très malheureux. Les Indiens ont pour coutume d’offrir à manger à chacun d’entre leurs visiteurs, quels qu’ils soient. Hélas, en ces temps de disette, il n’avait pas de quoi offrir le repas à cette femme dont il savait très bien qu’elle était wakan. Contrit, il lui offrit une tresse de foin d’odeur qu’elle accepta de bonne grâce tout en souriant et en adressant au chef ces mots : « Il est des nourritures qui ne se mangent pas mais qui sont douces au cœur des hommes, je te remercie ».
Mais elle ne partit pas sans avoir révélé et expliqué à la tribu les 7 rites sacrés de la nation sioux que sont l’Inipi, la quête de vision, la danse du soleil, la garde de l’esprit, le rite de la puberté des jeunes filles, l’apparentement et le lancer de la balle.
Ce n’est qu’au bout de quelques jours qu’elle décida de partir, sa tache achevée. S’adressant à tous, elle dit alors : « Un jour je serai de retour, et cela sera pour toujours. Alors commencera une nouvelle vie, et une nouvelle intelligence ». Ils la regardèrent s’éloigner dans la prairie, tous nimbés d’une pieuse admiration pour cette mystérieuse femme. Alors qu’elle allait passer la colline, elle se métamorphosa en jeune bison blanc qui poursuivit le chemin sans se retourner. Éberluée, la tribu toute entière emprunta le même chemin, gravit la colline où avait disparu le bison blanc. Quelle ne fut pas leur surprise de découvrir de l’autre côté de la colline un troupeau de bisons si immense qu’ils n’en virent pas les limites !
© Gilles Gras – 2012