La rose de Provins, Rosa gallica officinalis

La rose de Provins, entre mythes et réalité…

 Rosier de petite taille dont les feuilles, composées de cinq folioles dentelées, vert franc, contrastent nettement avec la couleur de ses fleurs veloutées rose vif. Ses tiges, vertes également, sont munies de petits aiguillons très acérés.

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Avicenne (980-1037), médecin arabe du Moyen-Âge, recommande déjà le confit de pétales de rose afin de lutter contre des affections pulmonaires telles que celle que nous connaissons aujourd’hui sous le nom de tuberculose. Mais, bien avant cela, puisque Pline l’Ancien l’évoque déjà, la rose est très prisée durant l’Antiquité. Elle entre alors dans la confection de boissons, de confitures, etc. qui semblent avoir tant des vertus culinaires que médicinales. La rose étant un végétal polyvalent (horticulture, parfumerie, vie sociale, etc.), il n’est pas étonnant qu’on en ait fait un aliment qui est également un médicament. Car ce qui a bon goût peut également soigner. Les gelées, sirops et autres liqueurs, avant même de tomber dans le domaine culinaire, ont avant tout été employés comme thérapeutiques, à l’image de ce que l’on nomme aujourd’hui les apéritifs et les digestifs. Les vertus médicinales de ces boissons s’oublient à travers l’emploi qu’on peut en faire actuellement, qui a donc davantage à voir avec le plaisir qu’avec une nécessité de guérir une affection (cf. la bénédictine, la grande chartreuse, le génépi et tant d’autres).

Bref. Revenons-en à la rose. Attar (1), zuccar (2) (ou djelendjoubin), miel, pommade et vinaigre rosâts sont autant de termes qui expriment bien la place de la rose dans la pharmacopée et dont certains d’entre-eux, « exotiques », indiquent l’implication des Arabes dans l’obtention de produits issus de la rose.

Au XIX ème siècle, le même confit de pétales de rose qu’Avicenne préconisait neuf siècles plus tôt, est toujours recommandé par Rocques, de même que par Henri Leclerc un siècle plus tard, même s’il est vrai qu’au cœur du XIX ème siècle, la rose de Provins, et, plus largement, la thérapeutique à base de rose, est très loin de faire florès comme cela était encore le cas aux XVII ème et XVIII ème siècles. Dès la fin du XVIII ème siècle, la rose de Provins est déjà persona non grata. Pourtant, comme nous l’avons évoqué plus haut, elle possède des qualités médicinales indéniables. Tonique, astringente et détersive, elle s’emploie aussi bien lors d’hémorragies et de diarrhées qu’en gargarisme contre l’angine et en soin de la peau pour venir à bout des plaies suppurantes, par exemple.

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Au XIII ème siècle, « un personnage flamboyant […] a joué un grand rôle. Il s’appelait Thibaud IV le Chansonnier, Comte de Champagne. Il rapporte de sa croisade personnelle (1239-1240) la gallica officinalis, rapidement surnommée rose de Provins. Elle devient alors produit de commercialisation » (Marcel Mazoyer, p. 157). La culture de la rose à Provins représente une manne au Moyen-Âge. C’est à cette époque qu’elle sera baptisée gallique (= gauloise de France), terme « qui entretient une confusion avec la Rosa gallica, son églantine de mère » (Marcel Mazoyer, p. 158).

Si l’on accorde à Thibaud IV (1201-1253) d’avoir ramené la Rosa gallica officinalis à Provins, certaines sources contestent cette paternité. On évoque Robert de Brie, ainsi que le bon Roi René… Polémique qui date déjà de deux siècles. Ce qui n’exclue pas que des rosiers étaient déjà présents dans les jardins monacaux du Moyen-Âge (3). Certains estiment que les roses qui y étaient cultivées à des fins médicinales seraient celles que l’on appelle aujourd’hui les roses de Provins, ce qui accréditerait la thèse de son introduction par Thibaut IV au XIII ème siècle. Ceci étant dit, il est bon de noter que la guerre des roses n’a pas eu lieu qu’en Grande-Bretagne. Si aucun épisode de l’histoire française n’est désigné comme tel, il n’en reste pas moins que s’arroger la propriété d’une rose comme la rose de Provins n’a pas que vertu identitaire, il en va également de considérations économiques non négligeables…

Si l’on sait que les principales artères provinoises étaient bordées d’échoppes vendant une multitude de produits issus de la culture de la rose aux XVII-XVIII ème siècles, on sait moins si de tels usages avaient lieu quatre siècles auparavant.

Si du XVII ème au XVIII ème siècle, on trouve des traces d’éloges, ils deviennent de plus en plus rares au XIX ème siècle. Petit florilège :

Pierre Pomet, un botaniste du XVII ème siècle indique que les roses de Provins « surpassent en beauté et en bonté toutes celles qui viennent des autres endroits […]. Elles se conservent beaucoup plus longtemps que les autres, tant dans leur couleur, que dans leur odeur […]. Les véritables roses de Provins sont si estimées aux Indes qu’il y a des temps où elles s’y vendent au poids de l’or, et qu’il en faut à quelque prix que ce soit ». Apologie dithyrambique, s’il en est.

Louis Liger, dans sa Maison rustique (1762) évoquera aussi la rose de Provins, « dont on se sert en conserve dans les cours du ventre. On employe aussi ces mêmes fleurs dans le vin aromatique et les ulcères ».

Au XIX ème siècle, bien que la rose de Provins soit tombée dans une relative désuétude (pour ne pas dire disgrâce), certains irréductibles médecins la tiennent toujours en haute estime. « On avait l’impression, dix-neuf siècles après Pline, qu’elles étaient toujours aussi prisées » (4).

Comment expliquer le déclin de la rose de Provins ?

A la fin du XVIII ème siècle, Jacques-Louis Descemet (1761-1839), pépiniériste et rosiériste de son état, cultivait quatre roses différentes au jardin des apothicaires de Paris, dont la rose de Provins. Celle dont Linné établira le nom latin en 1759 n’était pas encore totalement discréditée en cette toute fin de XVIII ème siècle, même si certains provinois, comme Opoix en 1775, s’alarmaient du déclin de la rose de Provins.

  1. La concurrence

Dès la fin du XVIII ème siècle, d’autres villes françaises telles que Fontenay-aux-Roses et Puteaux et des pays, comme c’est le cas de l’Inde, mettent à disposition du marché français des rosiers ornementaux. Les modes changent, comme nous le verrons plus loin. Fontenay-aux-Roses fut, dès le XVII ème siècle, fournisseur officiel de la cour du roi de France en matière de roses. C’est dire si la concurrence était déjà historiquement et politiquement établie.

  1. Les progrès médicaux

On alloue à la rose de Provins de moins en moins d’usages médicinaux, lesquels étaient jusque là relayés par des apothicaires qui, peu à peu, laissent la place à la corporation des pharmaciens et aux progrès balbutiants de la chimie de synthèse.

Les tiraillements entre médecine officielle et apothicaires/herboristes ne datent pas d’hier, cela ira en s’accélérant lors des premières décennies du XIXème siècle. Devant l’explosion des découvertes scientifiques en matière de médecine, le rosier de Provins sera progressivement dédaigné.

  1. L’apparition d’un phénomène nouveau

Dès le début du XIX ème siècle, on cultive la rose non plus pour ses qualités médicinales mais pour ses vertus ornementales. C’est ce que fit, par exemple, l’impératrice Joséphine à château de Malmaison. A la veille d’un siècle qui verra le phénomène de l’hybridation se répandre comme une traînée de poudre, on ne peut dire que le rosier de Provins surfe sur la vague des rosiéristes, bien au contraire : « l’heure était aux hybrides de thé des rosomanes et aux nomenclatures des rhodologues, non aux roses rouges des potions magiques de jadis » (5).

Tout cela a pour conséquence l’arrachage des derniers champs de rosiers de Provins à la fin du XVIII ème siècle. La culture de la rose à Provins est quasi inexistante au début du XIX ème siècle, sans compter que le rosier de Provins, rustique et non remontant (il ne fleurit qu’une fois l’an, en mai/juin) est alors beaucoup moins attrayant que bien des hybrides, issus de la frénésie des rosiéristes, qui inonderont le marché à la même époque, même si nombre de ces hybrides à visée ornementale ont depuis lors disparu…

Depuis, après un XIX ème siècle qui ne lui aura laissé que peu de place, puis la Première Guerre Mondiale qui a sonné le glas de l’hégémonie française en matière de roses (même s’il est vrai que la rose française se porte bien, même encore en ce début de XXI ème siècle), on peut se demander comment le rosier de Provins a bien pu arriver jusqu’à nous après quasiment deux siècles de dénigrement, voire d’indifférence (6).

Ainsi donc, quelles traces le rosier de Provins a-t-il laissées dans cette ville ? Où sont passés les champs de rosiers, ainsi que les échoppes qui bordaient la rue centrale de Provins ? De tout cela, il n’y a presque plus rien sinon l’actuelle Roseraie de Provins qui s’étend sur trois hectares et qui, contrairement à ce qu’indique son nom, n’expose pas que des rosiers mais également un jardin de simples médiévaux. Une roseraie qui semble davantage être un hommage posthume à la rose de Provins que l’expression concrète d’une empreinte laissée là par le rosier de Provins (7). Laissée à l’abandon entre 1994 et 2006, la Roseraie de Provins accueille le public, à nouveau, depuis 2008… (8).

Pour la première fois cette année, la ville a fêté sa rose. En effet, la fête de la rose rend honneur à la fleur qui a fait toute la renommée de cette petite cité médiévale, une rose qui est devenue l’un des symboles de la ville, patrimoine historique de Provins.

Outre la Roseraie, il existe l’Alambic rose de Provins mais il se situe dans les Yvelines, à Versailles, et distille de la Damas ! Quelques commerces (cf. annuaire), principalement situés en ville haute – particulièrement touristique ! – tentent, malgré tout, de se faire le relais de la rose de Provins en proposant divers produits élaborés à base de Rosa gallica officinalis.

Dans la réédition du guide illustré Provins et ses environs (dont l’édition originale date de 1911), on ne trouve qu’une seule mention relative à la rose de Provins, page 31 : « Les roses de Provins ont une juste place dans l’histoire. Écarlate et simple, douée de parfum durable et de vertu médicale, cette fleur fut, dit-on, apportée des croisades par Thibaut IV […]. Toujours vivace bien que peu apparente, elle a valu à Provins le poétique synonyme de Ville ou Cité des roses ». Bien maigre témoignage… La rose de Provins ne serait-elle qu’une mystification ? N’est-elle qu’un « faire-valoir » permettant à la ville d’asseoir une relative hégémonie touristique, une arlésienne botanique dont tout le monde parle mais que personne ne voit jamais ? Est-il tout à fait normal que certains massifs de rosiers de Provins aient été mis en place au Jardin Garnier alors que ces rosiers sont toujours dans leur bac en plastique ? N’est-ce qu’une mise en scène qui, une fois la fête de la rose terminée, verra ces mêmes rosiers être relégués dans des serres inaccessibles au public ? Bien des questions demeurent, raison pour laquelle il va être nécessaire et incontournable d’aller enquêter sur place. Alors, nous en saurons sans doute davantage sur les traces que la rose a laissé à Provins.

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1. Attar : mot arabe qui signifie « huile essentielle ».

2. Zuccar : autre mot arabe qui désigne le confit de pétales de roses.

3. A cette époque, elle n’est plus diabolisée comme cela a été le cas lors des premiers siècles de notre ère, ayant été christianisée via le culte de Marie, il est donc tout à fait normal de la trouver dans les jardins de simples.

4. Michel Joyaux, La rose, une passion française, p. 127.

5. Ibid. p. 127.

6. Michel Joyaux (La rose, une passion française, p. 221.) indique que « dans certaines expositions de province, les roses commençaient à tenir la vedette. Par exemple, à celle de Provins, en 1894, les Cochet, de Grisy-Suisnes, avaient fait sensation en présentant une collection de roses de… Provins, auxquelles, d’ailleurs, la ville ne s’était jamais vraiment intéressée. » Étonnante ironie de l’histoire.

7. Près de 400 variétés sont présentes à la Roseraie, parmi elles, des hybrides de thé et des rosiers dit modernes, ceux-là même qui ont relégué la rose de Provins aux oubliettes, il y a deux siècles…

8. La roseraie de Provins a été créée au milieu du XX ème siècle par un certain Jean Vizier dont l’histoire provinoise a, semble-t-il, oublié le nom…

Annuaire :

La Roseraie de Provins, 11 rue des prés, 77 160 Provins.

L’Alambic rose de Provins, 2 rue de la concorde, 78 000 Versailles.

A la croisée des chemins, 8 rue couverte, 77 160 Provins.

Elixior, 7 rue couverte, 77 160 Provins.

La savonnerie de la rose, place du Chatel, 77 160 Provins.

La ronde des abeilles, 3 rue des beaux-arts, 77 160 Provins.

Breth’s, 9 place Saint-Ayoul, 77 160 Provins.

Pâtisserie Gaufillier, 2 rue Victor Garnier, 77 160 Provins.

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